Compte-rendu
                    du deuxième ‘Samedi de la NLS’ du Kring voor
                    Psychoanalyse, le 18
                    janvier 2014
    
    
        Éloge
                    de la perversion
    
    
        Par
                  Abe Geldhof
      Samedi
              18 janvier 2014, Hervé Castanet, professeur et
              psychanalyste à
              Marseille, était notre invité au Kring pour le deuxième
              ‘Samedi de
              la NLS’. Sa conférence, ayant pour titre “L’Œdipe n’épuise
              pas
              le désir”, commençait par une note personnelle: il avait
              déjà
              lu le sixième Séminaire de Lacan plusieurs fois avant sa
              parution
              officielle. Lorsqu’à cette occasion Jacques-Alain Miller
              mettait en
              valeur une citation de ce séminaire, celui-ci recevait
              dans un effet
              rétroactif un tout autre éclairage. Lacan y déconstruit
              notamment
              tout ce qu’il avait développé lors des séminaires
              précédents.
              Dans la dernière leçon (p. 569) il dit la chose suivante:
              “C’est
              en ce sens que nous pouvons poser que ce qui se produit
              comme
              perversion reflète, au niveau du sujet logique, la
              protestation
              contre ce que le sujet subit au niveau de
              l’identification, en tant
              que celle-ci est le rapport qui instaure et ordonne les
              normes de la
              stabilisation sociale des différentes fonctions.” Toute la
              conférence de Hervé Castanet pourrait être considérée
              comme un
              commentaire rigoureux de cette seule citation.
      Et
              en effet, quelle citation importante! Elle devrait alerter
              ceux qui
              ont suivi le débat sur les mariages homosexuels en France
              et où on
              pouvait noter comment la psychanalyse y a été
              instrumentalisée.
              Elle y a été utilisée par certains pour rejeter
              l’homosexualité
              comme une perversion bien que cela ne concorde aucunement
              avec
              l’enseignement de Lacan. Dans cet usage de la
              psychanalyse, le père
              est considéré comme le garant qui fonde les semblants de
              ‘homme’ et
              de ‘femme’ dans un rapport biblique. De ce point de vue,
              l’homosexualité ne se conforme pas à cet idéal établi et
              serait
              ‘donc’ une perversion. Ceci n’est pas l’avis de la
              psychanalyse
              lacanienne.
      Cependant,
              une lecture des Séminaires
                III, IV et V
              pourrait nous fourvoyer en ce qui concerne le désir. Lacan
              y pose
              encore que pour qu’il y ait désir, il y faut de la loi, du
              père, de
              la structure et du complexe d’Œdipe. Dans ce contexte il
              cite
              souvent l’Épître aux Romains où Saint Paul considère que
              la loi
              morale ne fait que consolider le péché. La loi joue en
              faveur du
              péché puisqu’elle ne fait qu’exacerber le désir du péché.
              Désirer n’est dans ce sens possible qu’avec le
              franchissement de la
              troisième phase du complexe d’Œdipe, lorsque le sujet
              aurait obtenu
              son diplôme de ‘névrosé’. À cette époque, Lacan avait déjà
              fait le pas de disjoindre le désir de la mythologie
              freudienne et de
              l’idéal normatif de l’amour génital accompli. Il ne
              croyait pas, à
              l’encontre de Maurice Bouvet, que les pulsions partielles
              se
              relient dans une seule pulsion génitale qui ne vise qu’un
              objet.
              Contre Melanie Klein et ses conceptions duelles sur le
              rapport
              mère-enfant, il posait une structure à quatre éléments. Il
              y faut
              le phallus comme terme médiateur entre la mère et l’enfant
              et
              c’est la figure paternelle qui met le phallus à sa place.
              Ceci est
              notre doxa, comme le soulignait Castanet, mais cela reste
              une doxa
              qui, en tant que telle, doit être remise en cause de façon
              permanente. Nous pouvons maintenant, vu du sixième
              Séminaire,
              affirmer que le concept du désir était chez Lacan toujours
              une
              entité imaginaire. Complexe d’Œdipe et perversion y
              restaient
              diamétralement opposés avec pour conséquence que
              l’homosexualité
              par exemple pouvait être considérée comme un complexe
              d’Œdipe
              inaccompli et que seulement les névrosés (au sens
              orthodoxe du
              terme) pouvaient devenir psychanalyste.
      Lacan
              fait un grand pas en avant dans le Séminaire
                VI. Il y voit la
              perversion comme une
              protestation! Et dans ce contexte, cela produit une
              certaine
              approbation. La perversion n’accepte pas ce que l’Autre
              débite.
              Elle n’est pas d’accord avec l’identification imposée à
              l’ordre social et qui rend le sujet bête. Lorsque Lacan
              prend
              cette position, il laisse derrière lui le structuralisme
              qui cherche
              les structures de la parenté, suivant Lévi-Strauss, ou qui
              examine
              les règles du patriarcat, suivant par-là Durkheim. Lacan
              introduit
              avec la perversion une rupture, une coupure à l’égard de
              la
              structure. C’est ainsi que le Séminaire
                VI peut être considéré
              comme un
              moment clé: c’est le séminaire de l’inexistence du rapport
              sexuel.
      Dans
              un certain sens, Lacan y fait l’éloge de la perversion.
              Cet éloge
              concerne particulièrement le point où un parlêtre assume
              son
              rapport le plus intime à son corps vivant. Néanmoins, on
              voit
              toujours un double mouvement chez Lacan dans ses
              conceptions de la
              perversion: après l’éloge initial de la perversion suit
              toujours
              une dépréciation de la perversion. Lacan pose ainsi, dans
              le
            Séminaire XIV
              sur La logique du fantasme,
              que le masochisme est de la pure frime: « Le masochisme,
              c’est
              du chiqué ». Lacan est beaucoup plus résolu dans son éloge
              de la psychose, entre autres du fait de sa rigueur. Dans
              ce sens,
              Lacan ne fait l’éloge de la perversion que dans la mesure
              où elle
              démasque et défie le désir.
      Hervé
              Castanet présentait, après cet exposé théorique, un cas de
              sa
              propre pratique, un cas en rapport direct avec ce qui
              précédait.
  
