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Messager 498 – 2011/2012 |
A. Stevens : 3ème samedi de la NLS au Kring
20 juillet 2012 Troisième samedi de la NLS au Kring (05/05/2012) avec Alexandre Stevens ‘La racine du symptôme’ Vous auriez aimé savoir pourquoi, pour un psychanalyste, le symptôme analytique équivaut à la dépendance ? Pourquoi, selon une définition lacanienne, un éthylique est celui qui s’arrête après le premier verre et boit à nouveau toujours le même verre ? Pourquoi la bouteille, pour l’éthylique, est comme le corps pour l’autiste, Dieu pour les mystiques et l’écriture pour certains psychotiques ? Vous auriez aimé savoir où se situe la répétition inlassable du ‘même Un’ pour les analystes ? Pour ceux qui n’étaient pas présents le samedi 5 mai à Gant, quand Alexandre Stevens, face à un public nombreux, nous a mis au fait, de manière passionnée et limpide, de ce que veut dire lire un symptôme : une courte impression. Rappelez-vous le lapsus freudien d’un président qui ouvrait une séance avec les illustres paroles : ‘Je considère la séance close !’ Formation de l’inconscient. Freudien par excellence car le lapsus révèle un effet de vérité, fait entendre un autre sens que celui que le président avait prévu. Alexandre Stevens reprenait cet exemple pour caractériser quelque chose du symptôme tel qu’il a été façonné dans les débuts de la psychanalyse : une infinitude de sens (est-ce que la réunion promettait d’être difficile ? Est-ce que le président voulait rentrer ? Est-ce que sa femme l’attendait ? …) et – important pour cerner la raison d’être du symptôme – non sans bénéfice pour le patient. C’est cette dimension de profit qui conduit Freud dans les années 20 à attribuer au symptôme un bénéfice primaire de la maladie : à côté du fardeau qui y est mêlé, le symptôme procure une jouissance. Freud parlera plus tard de la concession somatique et aussi de la réaction thérapeutique négative qui illustre que le symptôme possède un caractère permanent au-delà de son effet de vérité fugace. Un analysant arrive en retard au rendez-vous avec son analyste. L’analysant s’épuise en se justifiant par des explications : ‘pourquoi maintenant !?’ Ici apparaît le Sujet qui veut dire quelque chose au-delà de l’intention de l’analysant. Il se dégage de l’écart qui a été créé par l’acte manqué. Tout comme le lapsus du président, ce type de ‘retard’ se caractérise par un effet de vérité explosif : d’abord c’est la faute du bus, puis au fait qu’on ne trouvait pas ses clefs, et en fait on n’avait pas vraiment envie de venir parce que… Et puis il y a encore, selon Alexandre Stevens, les ‘retardataires’ : les rebelles entre ceux qui arrivent en retard, qui sont seulement en retard quand il arrivent encore plus en ‘retard’ que d’habitude. Ici nous ne parlons plus d’acte manqué, mais nous voyons apparaître quelque chose du réel. Eh bien : c’est ici qu’écouter ne suffit plus et qu’il s’agit de lire. Se référant à Jacques-Alain Miller et à Lacan, A. Stevens le prône ainsi : évidemment qu’écouter constitue le point de départ au sein de la cure analytique, mais l’interprétation du signifiant n’est pas suffisante pour mener la cure vers sa finalité, justement en raison des restes symptomatiques qui forment le noyau réel du symptôme. L’écoute de ce qui est dit doit être complétée par la lecture de ce qui se transcrit dans la cure comme ‘hors sens’, comme opaque et point fixe de la jouissance. Ainsi, Stevens arrive, au sens propre comme au figuré, au cœur du matériel de travail de l’analyste. L’opération de la lecture est destinée à introduire une différence entre ‘parole’ et ‘sens’, et l’interprétation ‘équivoque’ nous montre la voie à suivre. En ce qui concerne l’homophonie, il a été stipulé qu’elle était redevable à la lecture. Les petits enfants, avant qu’ils ne puissent lire, semblent parfois témoigner de l’homophonie dans l’oreille des adultes, tandis qu’il s’agit indéniablement de naïveté infantile. Il y avait l’exemple d’une jeune fille (francophone) qui, à la stupéfaction de ses parents, enchaînait sur la discussion entre adultes sur les risques de ‘Tétanos’ : ‘je connais ça, on peut mourir !’, ‘comment ça, mourir ?’, ‘c’est aussi dangereux que quand on prend la médication avec ‘une tête en os’ sur l’emballage !’ Il ne peut être question d’homophonie ici étant donné que la condition nécessaire de la lecture est en défaut. Suivant cet exemple, Stevens a décrit les différentes modalités d’interprétations où (la lecture de) la matérialité de la lettre, beaucoup plus que le sens, est au premier plan. Pourquoi cette insistance sur la lettre ? Ceci nous rapproche un peu plus du titre de la conférence de Stevens : la racine du symptôme. Peut-être pouvons-nous dire que nous avons d’un côté l’architecture du symptôme : la matérialité et la forme dynamique de l’effet de vérité, le ‘par-être’. D’autre part il y a la base qui permet de créer la construction. La lettre constitue le témoin silencieux d’une rencontre contingente, un événement de jouissance, ‘un choc initial’ qui a comme produit la formation des symptômes. C’est cette rencontre, ce choc initial, que la racine du symptôme a en commun avec la toxicomanie comme répétition inextinguible du même Un. La toxicomanie est la racine du symptôme dûe au fait que la dépendance répète quelque chose qui ne se calcule plus. L’ivrogne ne compte plus. Il boit un verre et il le répète, ‘une fois de plus, toujours’. À travers un fragment clinique, A. Stevens a illustré comment l’alcoolisme d’un homme fonctionnait comme une commémoration d’un phénomène de jouissance originel qui a pénétré le corps ; la commémoration hors-sens dans une interminable et monotone répétition du même Un éternel. Dans la discussion qui suivait, la contingence de la rencontre avec la bouteille a été reconstruite. L’homme semblait s’être mis à l’abri dans la cave de la maison parentale en réponse au bruit insupportable des querelles entre ses parents. Ou comment la fuite, face au bruit, dans la bouteille a créé un partenaire-symptôme que l’homme en question n’a jamais pu vider. Ces répétitions inlassables de jouissance hors-sens sont ce que nous retrouvons également, par exemple, dans la relation entre l’autiste et son corps, entre Joyce et le langage, entre la mystique et Dieu… Si nous adoptons la question de la finalité de la cure avec cette notion de la racine du symptôme – la dépendance – , alors il s’agit d’examiner la relation du sujet avec sa dépendance, qui est le rapport entre le Sujet et le même Un qui se répète. Stevens a précisé qu’il s’agissait de chercher au cas par cas les restes symptomatiques, la construction, le montage du même Un. Dans la clinique de la toxicomanie, nous examinons dans quelle mesure nous pouvons éteindre la dépendance et nous constatons qu’il est plutôt exceptionnel que la consommation de drogue s’arrête. Dans la plupart des traitements de la dépendance, le travail psychanalytique consiste à implanter d’autres supports (à côté des drogues) afin d’obtenir un amortissement de la consommation. Si nous affirmons que Joyce a été accro à la langue, nous ne pouvons ignorer qu’il a travaillé énormément sur cette langue, et que cela a entraîné des changements énormes, y compris en ce qui concerne son alcoolisme par ailleurs. Considérer la racine du symptôme comme une dépendance ne signifie pas que la clinique de la dépendance devrait devenir un nouvel idéal, non, il s’agit, par exemple, aussi dans les témoignages de la passe, d’examiner minutieusement le rapport du Sujet et le reste symptomatique de jouissance. Cette connaissance en main, un cas fascinant, apporté par Frédéric Cauwe, a été la cerise sur le gâteau pour le public. Un cas qui a été lu et habilement reconstruit avec l’aide d’Alexandre Stevens. Ce qui le rendait intéressant, sans doute aussi pour celui qui l’avait construit à l’origine, était le point de départ. Le cas a été présenté à partir d’une difficulté, à partir d’une question de l’analyste qui a été transmise au public et autour de laquelle un travail s’est effectué. Il est incontestable que cette conception est propice à la clinique. Tranquille et ferme dans la construction de son argumentation, A. Stevens fut très pertinent et prêt à répondre aux questions qui étaient loin d’être évidentes (psychosomatique ? La fin de la cure pour le toxicomane ? Le trait unaire et la relation avec la lettre ?). Ce fut un plaisir d’accueillir Alexandre Stevens pour ce dernier ‘samedi’ de notre année de travail.
Vic Everaert |