A propos du cartel, par Dominique Holvoet

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Intervention au Congrès de la SLP à Milan le 12 mai 2013

par Dominique Holvoet

 

 

 

 
Lorsque la présidente de la Scuola Lacaniana di psicoanalisi, Paola Francesconi m’a sollicité pour parler du Cartel à la SLP je me suis trouvé mal pris. Je venais d’interrompre un travail de cartel dans lequel j’étais plus-un, sous prétexte d’autres charges qui m’incombaient mais aussi du fait d’un malaise discret dont je ne tirais pas toutes les conséquences. Je me trouvais appelé dans ce cartel à la place de celui qui saurait et dont on attend un enseignement, sans parvenir à fonctionner suffisamment comme plus-un, à me déplacer dans la position juste. Quant à la proposition de Paola, j’ajouterai que j’avais toujours eu l’idée jusque-là que des cartels, il valait mieux en faire que d’en parler ! Je révise mon jugement après ce travail : le cartel, il faut en connaître la structure si l’on veut éviter ses écueils. JAM en fait la série en partant des 4 discours : absence de production s’il y a eu du maître au départ, association libre sans filet si le plus-un a cru devoir occuper une position d’analyste, crise du cartel s’il n’y a que du « plus-un-de-savoir ».  Un savoir ne s’obtient que si le plus-un est mis en position de S/.
 

En traversant les textes fondateurs de Lacan et les interventions de JAM à propos du Cartel je retrouvais pourtant après cette crise de cartel le point vif qui m’a fait choisir il y a 30 ans la Cause freudienne comme Ecole de psychanalyse.  J’avais en effet été extrêmement surpris et encouragé que des analystes prennent le temps de s’arrêter sur mon modeste travail, de l’écouter, de le commenter et m’aider ainsi à avancer dans mes questions. Cette position singulière que je n’avais jamais rencontrée à l’université ou ailleurs me donnait beaucoup de cœur à l’ouvrage et le cartel d’emblée m’est apparu comme l’outil par excellence pour lire Freud et Lacan, d’autant que s’adjoignait à ce soutien du plus-un la présence stimulante des autres pour hisser l’effort au-delà de la modestie toujours un peu fausse ou lâche. Le cartel à ce titre m’est toujours apparu comme un moyen incomparable d’élaboration contrôlée et je crois que la plupart des collègues de l’AMP partagent cet avis.

 

Pourtant le Cartel ne cesse de poser problème. Il faut en effet reconnaître que le Cartel rencontre une résistance qui semble structurelle. Sans cesse dans les Ecoles de l’AMP on y revient, on en reparle, il faut inventer quelque chose pour redonner au cartel sa vigueur. Et vous observerez comme moi que, tout comme le cartel, la Passe ne cesse de poser problème. On pourrait dire que la passe et le cartel sont les deux poumons de l’Ecole de psychanalyse lacanienne. Sans le cartel et la passe l’Ecole étouffe.  Mais on pourrait même dire que la passe et le cartel sont les deux grains de sable dans le fonctionnement du groupe, deux petits grains de sable que Lacan a placé là pour gripper la machine, pour enrayer le « ça marche » du groupe qui se trouve être l’envers du discours analytique, deux grains de sable pour faire Ecole. Comme l’a montré Jacques-Alain Miller dans son texte « Le Cartel dans le monde »[1], l’invention du Cartel en 64’accompagne un mouvement anti-autoritaire. Le cartel répond certes à la logique freudienne du collectif qui ne se constitue comme groupe que grâce à un leader ou encore qui répond à la logique de la sexuation mâle. Mais dans le cartel la place du au-moins-un, du leader, est minorée. C’est d’ailleurs une fonction, permutative qui plus est. Pas de au-moins-un, mais un en plus qui s’ajoute donc aux quatre pour être l’agent hystérique voire socratique d’une élaboration provoquée. Le plus-un est ici extime, ne s’ajoutant au cartel qu’à le décompléter. Le plus-un est celui qui sélectionne et discute le travail de chacun, celui qui choisit l’issue à réserver à ce travail, écrit Lacan dans l’acte de fondation. Bref le plus-un c’est celui qui se donne de la peine pour se pencher sur le travail des autres, pour donner au travail de chacun la place qui lui revient. Mais c’est aussi celui qui féminise le cartel en le faisant passer de la logique du tout vers celle du pas-tout.

 

 

Les Cartel dans la NLS

 
 

Dans le rapport à l’Ecole le cartel est donc un de ses organes, càd quelque chose qui la rend vivante… ou moribonde si l’organe est malade. Le cartel, Lacan le voulait lieu d’ébullition du travail de l’Ecole. Qu’est-ce donc que le « travail d’école » ? Vu du cartel c’est l’élaboration soutenue par chacun, élaboration soumise à l’écoute et à la critique des pairs dans un petit groupe, élaboration qui peut connaître un destin public puisque le plus-un veille à l’issue à donner aux travaux.  C’est ici que s’inscrit le dispositif mis au point il y a 10 ans dans la NLS par le premier délégué au cartel, Gil Caroz, dispositif affiné au fil des années. Il ne s’agit pas du travail des cartels dans leur ensemble. Il y a la version classique du travail des cartels dont la publicité est faite dans le Catalogue des Cartels en ligne sur le site de l’Ecole. Et puis, il y a une autre version, celle de l’intercartel électronique. Je distinguerais la question de l’usage « électronique » du cartel, de celle de l’intercartel proprement dit.

 

La question de l’usage électronique devrait faire l’objet d’un travail en soi et déborde d’ailleurs la question du cartel – elle concerne nos modes de vie totalement bouleversé par le chat, l’email et les réseaux sociaux dans lesquels la dimension temporelle et celle du corps de l’autre sont mise en suspens. Le cartel électronique fonctionne essentiellement par le biais de l’email càd par le biais d’une forme d’écrit. C’est un choix pragmatique qui permet de travailler ensemble malgré les distances. Mais l’absence des corps dans ce travail n’est pas sans effet. Elle est pour certains contraire à la logique du cartel, d’autres voient dans le passage par l’écrit un effet positif de désimaginarisation. Je ne suis pas convaincu par ces positions. Le passage par l’écrit et l’absence des corps réellise la solitude et du coup ajoutent une exigence supplémentaire qui requiert du plus-un un désir fort qui confine avec le pas-tout.

 

L’intercartel de la NLS se déroule de septembre à mai avec le thème du congrès en ligne de mire. Il prend exclusivement en considération des travaux cliniques. Il est attendu du plus-un qu’il sélectionne une vignette clinique présentée par un des participants. Cette vignette fait alors l’objet d’un travail continu d’élaboration qui commence à l’intérieur du cartel. Ensuite la vignette élaborée est confrontée à la lecture d’un autre cartel. Les cartels sont ainsi constitués en binôme auquel est adjoint un extime qui joue le rôle de plus-un du binôme. Chaque vignette est ainsi élaborée au niveau du cartel initial, lue et ré-élaborée au niveau du cartel binôme avec l’extime, et relue et finalisée à nouveau dans le cartel initial. Ces travaux finalisés sont diffusés à l’ensemble des cartels participants et seulement à eux pour des raisons de confidentialité. Un rapport général public est rédigé par le délégué aux cartels qui met en valeur ces travaux en tirant les conséquences théoriques et cliniques de cette élaboration provoquée. Ce dispositif suppose une part très active du délégué aux Cartels qui anime cet ensemble. Il collationne les cartels qui se forment, compose les binômes, choisit les extimes et rédige deux rapports publics par an. Le résultat est la réalisation d’un nouage des groupes via un travail effectif et critique. Grâce à ce travail, l’intercartel est, avec le Congrès, ce qui fait effectivement Ecole dans la NLS et la rend vivante.

 

 

 


[1] J-A Miller, Le Cartel dans le monde, Intervention du 8 octobre 1994, La lettre mensuelle 134

 
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