Notre corps nous dit des choses à tout instant. Pour
les médecins, ses signes renseignent sur l’état du
fonctionnement de la machine. Le corps peut pourtant
nous dire bien davantage, puisqu’il est aussi notre
histoire vivante, le résultat de tout ce qui, dans nos
rencontres, et avant même notre naissance, nous aura
marqué et constitué.
C’est
ce que Freud
découvrit et c’est en touchant ces dits du corps
— faits non seulement de paroles mais aussi de
sensations et de fragments d’images —que
l’on touche à la vie même du corps et à sa jouissance.
De
cette pluie des mots qui nous tombent dessus, qu’est
ce qui compte ? Qu’est-ce qui nous marque et fera
partie de nous, en nous constituant comme sujet ?
Déjà, l’unité de
notre corps n’est pas un fait.
Il faut quelqu’un, la mère ou celui qui s’occupe de
nous, pour lui donner peu à peu consistance et c’est
en tant que je suis capable de vivre l’essaim de
sensations et de pensées qui me traversent comme étant
miennes, que ce corps jusques-là parlé
devient un corps qui parle,
mon corps.
Aujourd’hui,
ce qui faisait support d’identification imaginaire
risque d’être remplacé par l’éclatement de la masse de
tous les savoirs qui interviennent en temps réel
depuis Google
auprès de l’enfant. On est en droit de se demander si
quelque chose n’a pas
bougé dans le miroir de l’Autre.
C’est
ce que veut tout d’abord montrer notre affiche. Elle
reprend l’œuvre de Vik Muniz, artiste peintre
brésilien, qui a pris un tableau classique
d’Eckersberg et l’a refait à l’aide des morceaux
déchirés de magazines. L’artiste appelle la
série
d’images
dont cette œuvre fait partie: miroirs
de papier.
L’œuvre
nous donne ce sentiment tellement contemporain :
l’image de soi ne tient que tant qu’on la regarde de
loin. Ce n’est pas que
l’idée commune : « en se rapprochant, on voit les
vices et les secrets cachés ». C’est surtout qu’on
voit à quel point l’image de soi, corps inclus,
est
fabriquée.
Mais
l’affiche veut aussi indiquer quelque chose d’autre
(incarné par le titre qui vient flotter quelque part
entre l’image et nous). Il propose le thème de notre
Congrès :
Le
corps parlant.
Sur
l’inconscient au XXIe
siècle.
Il
ne s’agit pas, du corps tel
qu’on vient de le décrire.
Ce n’est pas le corps parlé
ou le corps qui aurait acquis la faculté de parler,
mais le corps parlant.
Prendre,
en effet, le pari de l’inconscient, revient à accepter
ceci : ce qui nous soutient comme Un n’est pas ce que
le miroir nous renvoie, c’est retrouver ce soutien
plutôt du côté d’un foisonnement de souvenirs où se
trouvent mélangées
des images et des bribes de discours.
Lorsque
l’on poursuit l’expérience
le plus loin possible, chaque fois que
l’on s’approche au plus
près de la jouissance la plus essentielle d’un
corps, quand on s’approche de ce qui tient quelqu’un
en vie, à la pointe ultime de sa singularité, on ne
rencontre aucune unité, d’une part, et toujours
quelque chose qui est fait en même temps
de langage et
de jouissance (ce que Lacan appellera
lalangue).
C’est ce qui se découvre avec les
témoignages de ceux qui ont mené leur analyse
jusqu’à ce point et qui,
d’avoir proposé
leur récit au dispositif de la passe, ont été nommés
Analystes de l’École.
Qu’en
est il du corps ?
Depuis la passe, notre corps est un véritable
« collage
surréaliste » (comme le dit Lacan dans
le Séminaire
XI
à propos de la pulsion). Il est un peu comme celui de
la femme de l’affiche.
Or,
il y a quelque chose qui fait
la différence entre le corps éclaté d’aujourd’hui
et le corps tel
qu’une analyse nous le fait considérer :
c’est que l’analyse nous révèle à quel point on se
soutient précisément de
ces morceaux de jouissance qui sont en même
temps des morceaux de langage.
Ils
ne sont pas si nombreux que
cela. Au fil des rencontres, on s’aperçoit qu’il y a
quelque chose qui leur donne le la,
comme une note
qui revient sans cesse dans la mélodie (et
ce n’est pas un hasard si l’on parle ici souvent de
percussion car ce quelque chose n’a pas
beaucoup de sens, juste une ré-incidence continuelle
dans
nos dires). Nommons-le, avec
Lacan,
sinthome.
De
ce point de vue, la femme de l’affiche n’a de corps
que parce que le
sinthome,
cette frappe première de l’Autre du
langage sur le vivant, se fait parole et que de passer
au parler, elle s’imbrique avec d’autres
paroles et compose une mosaïque langagière
qui fait semblant d’unité. C’est de parler, donc,
qu’elle peut avoir un corps, et se croire l’être,
d’où le terme proposé par Lacan dans
ces derniers séminaires :
parlêtre.
Cela
ne veut pas dire que l’on sait comment s’y prendre. On
est plus habitué à avoir affaire à un sujet qui vient
nous voir en tenant à son corps plutôt comme
à une unité fermée
qui, par exemple, n‘accepte pas de le modifier à tout
instant car il y tient
comme au lieu sacré de son âme.
Supposons qu’on soit de plus en plus aux
prises avec un corps comme celui de cette femme, qui
ne croit plus tellement qu’elle a un corps, mais
plutôt qu’elle l’a et le travaille comme elle le peut,
sans toutefois pouvoir se servir de l’appui donné par
son
sinthome.
Je
comprends ainsi pourquoi J.-A. Miller nous
a proposé, dans
sa présentation du thème,
d’aborder l’éclatement
de l’imaginaire contemporain appuyé sur le concept
lacanien du parlêtre et
de faire un pari.
On fera,
donc, notre
sa proposition : « Faisons le pari qu’analyser le
parlêtre on le
fait
déjà il suffit de
savoir le dire ».
Il
ne s’agit pas simplement d’opposer sujet et parlêtre,
comme si l’un appartenait au passé et l’autre à
l’avenir,
mais d’examiner
les effets de la substitution, au présent, de l’un à
l’autre dans
l’abord de l’expérience
clinique. Il
s’agira de bien dire ce qui se passe dans notre
pratique quand elle se donne comme partenaire
le parlêtre, c’est-à-dire, quand
elle vise le parlant du corps et pas tellement ce que
ce parler engendre comme semblant d’identité.
C’est
que notre pratique a de plus en plus affaire à une
autre division que la division de tout temps théorisée
comme celle de l’âme et du corps.
On
peut penser
à celle de quelqu’un qui a le pouvoir et
en jouit, mais voit que
son usage sans limites de la cocaïne le met en danger.
On peut aussi penser à cette
femme qui ne peut être dans l’amour que comme objet maltraité
mais qui en même temps réussit dans
les affaires comme nulle autre. Il s’agit donc de la
division des jouissances, toutes deux du corps, et non
pas de celle de l’âme et du corps.
Il
faudra se servir de la tension proposée par
Jacques-Alain Miller entre sinthome et escabeau,
puisque ce dernier part de « la
négation de l’inconscient » par quoi on peut se
« croire maître de son être ». On puise alors de la
culture un escabeau, ce quelque chose « sur quoi le
parlêtre se hisse, monte pour se faire beau »
pour « se pousser du col et faire le glorieux ».
Nous
aurons aussi à reprendre ce qu’il
nous propose comme une triade composée
par débilité, délire et duperie comme des véritables
axes cliniques en ce qui concerne les trois registres
imaginaire, symbolique et réel dans le cadre de
l’expérience avec le parlêtre. En effet, le sinthome
vient nouer la débilité de se prendre comme Un corps,
le délire d’articuler ce qui permet d’y croire et la
duperie de
se laisser aller par leur pouvoir de cerner :
« un réel
auquel croire sans y adhérer, un réel qui n’a pas de
sens, indifférent au sens, et qui ne peut être autre
que ce qu’il est ». Peut-on
dire que nous avons accès à ce plan dans l’expérience
clinique quotidienne ? Il me semble plus prudent de
s’en servir comme d’une table
d’orientation pour parcourir
les formes actuelles de nos souffrances, errances et
jouissances.
C’est
une grande exigence clinique. Elle
commencera par l’effort de réduire l’écart qui se
produit parfois entre
ce que l’on lit,
ce qu’on écrit et
ce qu’on fait.
Seule
une communauté
comme
la nôtre peut se proposer une telle tâche.
Nos
congrès, tous les deux
ans, sont le moment de convergence du travail de cette
communauté,
des membres de l’Association Mondiale de Psychanalyse.
Nous
sommes éparpillés dans
le monde mais nous
travaillons
avec
une même orientation. La
garantie de ce que
cette orientation soit à l’œuvre
dans notre association
est le
travail de notre président qui suit de près la
préparation de cette
rencontre.
Vous
allez bientôt connaître le site du Congrès ainsi que
tous les renseignements pratiques concernant
les inscriptions et les moyens de s’y rendre.
Pour
terminer,
un mot pour vous dire que le Brésil, siège
de ce congrès, peut jouer rôle
important.
C’est un pays qui prend très au sérieux,
pour le meilleur et le pire, la
puissance des
corps, qui a la tradition des immenses manifestations
où
le parlant du corps se fait présent, ordonne et
fait tenir ensemble
des
masses qui se comptent parfois en millions. Les
membres de l’École Brésilienne de Psychanalyse, sont à
l’écoute
de ce que l’enseignement de Lacan peut
en extraire comme conséquences.
Je
pense que l’important est de souligner ce qui
se passe quand le parlant du corps
est là, soutenant un dire dans
ce qu’il pourra engendrer de rire ou de scandale.
N’est-ce
point
cela qui explique le grand
nombre de
ceux qui viennent aux événements que nous organisons ?
C’est
qu’ils
savent que tout peut se lire sur
Google et se
voir sur
Facebook
mais que,
pour être
au fait du pari, le pari de l’indicible,
de ce peut provoquer un dire quand il rencontre le
corps, il faut être là.
C’est
le fait même
de
la rencontre avec un dire en tant qu’elle change une
vie, qui reste le
défi d’une
analyse et,
pour cela, selon le poète, il n’y a pas d’équilibre
seulement des équilibristes.
C’est
à ce titre que je vous invite à
venir
rencontrer les membres de l’AMP dans ce temps de
travail,
au Brésil.
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