Compte rendu 40e rencontre du Pont Freudien à Montréal avec R. Adam





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of the Societies and Groups of the NLS



Compte
rendu de la
40ème rencontre du
Pont Freudien à Montréal



Qu’appelle-t-on « faire son deuil » ?
Le deuil, entre travail, traversée et coupure
avec Rodolphe Adam

Par Benjamin Mortagne

Pour sa 40ème rencontre les 30, 31 janvier et
1er février 2015, le Pont Freudien a eu le plaisir d’accueillir
Rodolphe Adam pour un séminaire de travail sur la
question du deuil. Psychanalyste à Bordeaux (France), membre de
ECF, il a travaillé en unité de soins palliatifs et dans
différents services de médecine.

La rencontre s’est ouverte avec la conférence : « Qu’appelle-t-on

« faire son deuil » ? » Devant une salle comble, Rodolphe
Adam est parti des travaux de Freud pour introduire l’idée que
le deuil n’est pas une affaire de volonté, et que la médecine
contemporaine tend à oublier que c’est un processus inconscient.
Un siècle plus tard, c’est au médecin que l’on s’adresse dès
lors qu’un sujet est confronté à cette expérience de la perte.
Le deuil met en crise la frontière entre le normal et le
pathologique, et dont on sent le flou à lire le texte freudien
même. Le syntagme « Faire son deuil » tend à devenir un
impératif conjugué en deuxième personne équivalent à une demande
de se taire. La douleur de l’endeuillé, insupportable, renvoie à
sa propre mort. Le XXe siècle est corrélé à la mort intolérable
de l’autre, à la phobie de la mort pour les sujets
contemporains. Or, pour Lacan, il n’y a pas d’angoisse de la
mort, mais une angoisse de vivre.
Rodolphe Adam montre comment la question du traitement de la
mort est éminemment en lien avec la façon dont les sociétés
gouvernent. À l’âge classique selon les travaux de Michel
Foucault, il s’agit de gouverner les corps : laisser vivre et
faire mourir. Dans notre époque moderne, c’est le regard qui
contrôle le social. Désormais, il s’agit de faire vivre
(soigner, vacciner, recenser, faire naître) et laisser mourir
(absence de sacré). Plus encore, nous serions entrés dans une
nouvelle idéologie, celle du corps augmenté selon le
courant du transhumanisme. Avec la médecine et la puissance de
la technique, le corps du patient et la parole du médecin
disparaissent. Le projet devient une transformation de l’humain
pour gommer ce qui fait dans l’homme sa limite. La médecine, qui
avait pourtant comme fonction de « dire ce qu’il y a », un dire
du réel, s’attache désormais par sa technicité à un certain déni
de l’impossible. Notre époque refuse la perte et veut faire
disparaître le manque : faire du plus avec du moins. Or, selon
Freud, le risque de la vie est pourtant ce qui fait se sentir
désirant.
Rodolphe Adam propose une autre voie de pensée, celle du
discours analytique et ce qu’il peut éclairer pour un sujet en
deuil au cours d’une analyse. Dans le deuil, si le sujet sait
qui il a perdu, il ne sait pas ce qu’il a perdu. En effet, dans
l’expérience analytique, le sujet fait l’expérience que le
« senti ment » (Lacan). Pour Lacan, la peur fondamentale n’est
pas la mort elle-même mais celle de l’atteinte narcissique du
corps propre.
L’expérience du deuil consiste à repasser en détail les images
et symboles liés au mort. À la place du trou, vient l’image. Le
deuil a souvent cet effet d’idéalisation et donc de refoulement
de la haine pour le défunt. L’analyse redouble le travail de
deuil d’une opération de subjectivation, à même d’inventer un
nouvel objet à partir de la perte même et non pas de simplement
la remplacer.

Le séminaire du Champ Freudien a démarré par le séminaire
théorique : « Le deuil, entre travail, traversée et
coupure »
. Rodolphe Adam propose un retour sur l’article
de Freud « Deuil et mélancolie ». Freud étonnamment et
contrairement à son geste inaugural éclaire la maladie mentale
par la normalité, soit, la mélancolie par ce qu’il appelle
l’affect normal du deuil. La paire conceptuelle
normal/pathologique s’avère problématique en tant que le deuil
ne peut être pensé à partir de la norme. Pour preuve cette
évocation de la rébellion du sujet jusqu’à une psychose
hallucinatoire de désir. Dès lors, un lien entre deuil et
psychose est articulable. Il est fréquent d’entendre à l’annonce
de la mort l’endeuillé énoncer un « Ce n’est pas vrai ! ».
L’énoncé montre qu’il est moins question de réalité que de
vérité et montre que le réel de la mort est reçu d’abord par un
dit. La mort devient donc une affaire de tension entre le
signifiant et le réel lui-même. La logique de répétition des
signifiants est remise sur le métier inlassablement, ce qui fait
dire à Lacan que le sujet du deuil est une tâche qui serait de
consommer une seconde fois la perte.
Le thème du deuil, égrené particulièrement dans les Séminaires

VI et X, est repensé par Lacan à partir du ternaire
réel/symbolique/imaginaire. Avec la théorie du symbolique, le
problème de l’objet perdu et substitué selon Freud, est reposé
car il n’y a au fond d’objet que substitutif. Lacan propose une
articulation topologique inédite entre réel et symbolique, celle
inverse même de la psychose. Avec la mort, le sujet est
confronté à un trou dans le réel. A noter que c’est le réel
lui-même qui est troué et cela a pour conséquence d’y faire
réapparaître le symbolique. Derrière l’absence, surgissent les
souvenirs, les images, les signifiants. Ce trou dans le réel
évoque cette formule de « Subversion du sujet et dialectique du
désir dans l’inconscient freudien » : « cette offre au
signifiant que constitue le trou dans le réel ». Il faudrait
donc une mort pour qu’adviennent le langage et le symbolique,
idée qui peut se déduire de Totem et tabou ou le meurtre
du père est l’événement inaugural de l’Histoire. Ce qui permet à
Rodolphe Adam de poursuivre sa réflexion sur la question de la
mort du père. Celle-ci fait chuter la protection du sujet à
l’égard de la mort et à la douleur d’exister pour Lacan.
Entre le sujet et la mort insoutenable, il y a un désir qui peut
apaiser la douleur du deuil. Le deuil rend férocement désirant.
Jacques Lacan avance dans le Séminaire L’angoisse que
nous sommes en deuil que de quelqu’un dont je peux dire :
« J’étais son manque ». C’est autour de cette assertion que
Rodolphe Adam s’attarde pour poursuivre son exposé. Il y a dans
le deuil quelque chose qui vient  percuter l’objet a que
l’endeuillé a été pour l’autre, articulable avec l’expérience
même du laisser-tomber.

La fonction de l’analyste est également concernée par le deuil.
Le dernier chapitre du Séminaire Le transfert montre
qu’il y a un deuil à faire pour être en position d’analyste,
celui de croire que sont conjoint l’idéal et l’objet cause du
désir. Fonctionner comme analyste implique que pour lui l’objet
a n’est pas du côté de l’Idéal, découplé du désirable. Être
analyste signifie qu’il ne faut pas considérer qu’il y a un
Idéal qui fonctionnerait pour tous et cela suppose une certaine
disparation pour celui qui s’autorise comme analyste.

Contre l’idée classique que le deuil est un travail, l’analyse
permet de montrer que dans son effectuation, il y a des effets
de dits singuliers, où un mot a produit une coupure. Tous les
dits ne se valant pas, il y a des effets topologiques de
découpe, de chute et de franchissement. Il y a donc à repenser
le deuil à la lueur de la topologie des surfaces dépliée dans
« L’étourdit » pour montrer qu’il n’est pas forcément le fruit
d’une continuité d’un « travail » mais aussi celui d’un acte où
se déleste le rapport à l’objet.
Le séminaire théorique s’est achevé avec un cas clinique
permettant de penser la question suivante : si la psychose est
un trou dans le symbolique avec retour du signifiant dans le
réel et que le deuil est l’inverse, alors quid du deuil chez le
psychotique ? Le sujet psychotique endeuillé est-il empêché pour
faire appel du symbolique dans le trou du réel ? Rodolphe Adam
pose deux hypothèses de réponse, celle de l’inséparation de
l’objet et celle de la castration réelle dans le corps. À partir
d’un cas de syndrome de Münchhaüsen rencontré à l’hôpital,
Rodolphe Adam montre que la demande de chirurgie peut se
comprendre comme l’appel d’une soustraction réelle d’un bout de
chair. Ainsi, dans la psychose, la « dette à payer » serait une
livre de chair, non pas symbolique comme dans la névrose, mais
un bout réel du corps que le sujet ne peut pas dialectiser.

La 40ème rencontre du Pont Freudien s’est poursuivie avec la
présentation de deux cas cliniques présentés par Louise
Pepin
(psychanalyste, membre du Gifric et de l’ÉFQ) et Ruzanna

Hakobyan, (psychanalyste, membre de la NLS et de l’AMP),
commentés par Rodolphe Adam. Le premier cas clinique, celui
d’une jeune femme confrontée au deuil impossible d’un utérus
retiré douze ans auparavant, rend compte des questions
théoriques soulevées par l’invité, à savoir que le travail de
deuil est aussi dépendant de l’effectuation de la symbolisation
du signifiant du Nom-du-Père. Comment faire un deuil quand on a
été moins l’objet du désir de l’Autre que celui de la jouissance
de l’Autre ? Le second cas, celui d’un homme psychotique, montre
comment, dans une logique borroméenne, un décès peut entraîner
une série de pertes pour un sujet, dont l’image du corps vient à
se dissocier.  

La rencontre s’est achevée avec un commentaire des chapitres
17 et 18 du Séminaire VI Le désir et son interprétation
.
A ce stade du texte, un pas crucial dans l’enseignement de Lacan
vient donc d’être franchi, celui contenu dans la formule : « Il
n’y a pas d’Autre de l’Autre ». L’Autre, par tous ses
signifiants, manque à tout signifier. En effet, avec Hamlet,
Lacan remet en cause sa première théorisation. Si le Nom-du-Père
faisait le signifiant ensembliste de l’Autre, il ne l’est
désormais plus. Le Nom-du-Père reste un signifiant particulier,
celui de la castration symbolique, mais l’Autre révèle un manque
désormais structural, à pouvoir dire quelque chose de l’être de
vivant.
Rodolphe Adam montre combien Lacan a recours à la topologie pour
appréhender les coordonnées de la subjectivité : le sujet et le
signifiant sont disjoints. Elle permet de rendre compte que
l’inconscient pour un sujet « ex-siste ». L’inconscient du
sujet, c’est – notion spatiale – son intimité extérieure. Dans
la névrose, le sujet est ce qui disparaît devant l’objet
(fading).

Lacan rappelle que le personnage d’Ophélie est un personnage clé
car elle est l’objet du désir. Toutefois, cela oblige Lacan à
faire un détour pour construire une nouvelle théorie de l’objet
car selon lui, « l’objet, en tant qu’objet du désir, a un autre
sens » que celui de la théorie postfreudienne de la relation
d’objet. Pour cela, Lacan lui donne le statut d’une lettre pour
en arriver à faire mathème du fantasme fondamental. L’objet a
prend la place du phallus dont le sujet est privé. Le phallus
est l’objet de la castration et l’objet a est l’effet de la
castration. L’objet a devient à la fin du séminaire ce
résidu, au-delà de toute demande. Il n’est plus imaginaire mais
d’une manière inédite réel. Le fantasme d’Hamlet ayant été
touché (désidéalisation de l’Autre), l’objet n’est reconquis
qu’au prix du deuil et de la mort. Le désir revient avec la
perte de l’objet, devenu impossible.

Enfin, Rodolphe Adam reprendra le détour que fait Lacan dans sa
lecture du Capital de Marx pour penser cette théorie de
l’objet du désir. En effet, pour Marx, le capitalisme a une idée
de comment fonctionne le désir à partir de la question du
« fétiche » de la marchandise. Quelque chose dans l’objet figure
le rapport du travail social et du rapport entre les hommes et
cela est lié au signifiant (« hiéroglyphe », dit Marx). Les
objets du discours capitaliste ont une valeur signifiante.

Rodolphe Adam s’est enfin prêté au jeu des questions de
l’assemblée, non sans humour. Tout au long de cette fin de
semaine, il nous a permis d’entrevoir une pensée en élaboration
et a suscité de nombreuses réflexions qui laissent à chacun le
soin de poursuivre ce séminaire d’une grande qualité. Nous le
remercions vivement et chaleureusement pour sa présence et la
clarté de son propos.

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