Compte rendu 41e rencontre Pont Freudien à Montréal, avec D. Holvoet

 

Compte rendu 41e rencontre du Pont Freudien,
Montréal, 16, 17, 18 octobre 2015

avec Dominique Holvoet

« Le corps parlant, un nouveau concept pour
l’inconscient »

La 41e rencontre du Pont Freudien s’est
déroulée du samedi 17 au dimanche 18 octobre 2015 à l’Université
du Québec à Montréal devant une salle pleine. C’est sous le titre
« Le corps parlant, un nouveau concept pour l’inconscient »
que Dominique Holvoet a transmis un enseignement portant
sur la théorie et la clinique psychanalytiques référées au dernier
enseignement de Jacques Lacan.

Plus tôt dans sa visite montréalaise, Dominique Holvoet a donné
une conférence co-organisée par NLS-Québec et le CARPH
– association d’étudiants en psychologie de l’Uqam – sur le thème
de la place de l’enfant dans la psychanalyse.

À l'occasion de la venue de Dominique Holvoet, directeur du
Courtil, une projection du film de Mariana Otero « À ciel
ouvert », a été organisée le 16 octobre, dans une
collaboration du cinéclub « psy » avec NLS-Québec. Dans
une salle comble, la discussion très vivante à l’issue de la
projection, a montré que le public avait été particulièrement
sensible au propos du film. Dominique Holvoet a pu préciser les
conditions dans lesquelles le film avait été tourné, et surtout ce
qui faisait la spécificité du travail en institution orienté par
la psychanalyse lacanienne.

Dans le cadre des Séminaires du Champ Freudien, Dominique
Holvoet a animé trois séminaires pour un auditoire très au travail
: un séminaire théorique sur « le corps parlant », un commentaire
de deux cas présentés lors du séminaire clinique ; enfin, un
séminaire de lecture introduisant à « La Troisième » de Jacques
Lacan (« La troisième », texte établi par Jacques-Alain Miller, La
Cause Freudienne No 79, 2011, pp. 11-33).

Dans le séminaire théorique, Dominique Holvoet a articulé
les points sur lesquels s’appuie Jacques-Alain Miller quand il
propose le « corps parlant » en tant que nouveau concept pour
l’inconscient, mettant ainsi en valeur le parlêtre développé par
Lacan dans son dernier enseignement. Autre siècle, autre époque.
La nôtre est celle où l’Autre n’existe pas. Qu’en est-il du corps
parlant dans une époque où l’Autre n’existe pas ? Qu’en est-il de
la psychanalyse au 21e siècle ? Comment prend-elle en compte le
lien social ? Qu’en est-il de l’inconscient ?
Notre époque est, pour la psychanalyse, celle du retournement du
paradigme reposant sur la prééminence du langage et de l’être.
Présenté jusque-là comme venant mordre sur le réel, le symbolique
est lui-même jouissance. Quelque chose s’est dévoilé de la
dimension de fictionnalisation des constructions langagières. Le «
je suis » du cogito cartésien est mis hors-jeu à partir du moment
où le « je » pense à partir du savoir du monde, à partir du
discours, de la civilisation : le « je » est aliéné au savoir dans
la mesure où il procède du discours dans lequel il est né. Le
sujet ne pouvant s’assurer de sa subjectivité, le « je suis »
reparaît alors dans le réel du « se jouit ».
Ce retournement n’est pas sans effet dans l’opération analytique.
Après l’interprétation œdipienne de l’inconscient transférentiel –
l’inconscient pris dans sa dimension signifiante – l’analyse
lacanienne opère, à partir de l’équivoque, en visant l’inconscient
réel, celui du corps parlant. Cet inconscient met en jeu le
langage mais comme appareil de jouissance dans le corps, corps qui
devient une surface où s’écrit, s’imprime, l’empreinte du signe.
Le symbolique prend consistance et l’ex-sister prend le pas sur
l’être. Le symptôme échappe alors au statut de métaphore que lui
conférait la psychanalyse classique pour entrer dans la dimension
de marque sur le corps. Ce changement de paradigme invite à
travailler avec une lecture nouvelle de l’inconscient, celle du
corps parlant, lecture articulée aux catégories de la lettre, de
lalangue, des objets a et de la jouissance.

Lors du séminaire clinique, Mercedes Rouault,
psychiatre, a présenté un cas reçu au CPCT en France, où il a pu
être repéré des signes discrets de psychose ordinaire.

Éléa Roy, psychologue, membre de NLS-Québec, a présenté le
cas d'un sujet psychotique pour lequel tout le symbolique est
réel. Il fut très intéressant de repérer combien ce sujet est pris
dans un travail acharné sur la lettre et non sur le signifiant.

Dans son séminaire de lecture du dimanche matin, Dominique
Holvoet a poursuivi le travail d’orientation dans ce nouveau
paradigme. Pour introduire les participants à la lecture de « La
Troisième », Dominique Holvoet a choisi de reprendre les balises
du texte de la conférence de 1974 pour les resituer dans un
tissage très serré entre la chaîne de l’enseignement de Lacan
(« Fonction et champ de la parole », « Discours de Rome », … ou
pire, Encore, …) et la trame de celui de Jacques-Alain Miller
(« En direction de l’adolescence », « L’être et l’Un »). Dominique
Holvoet a approfondi le cheminement articulé dans son séminaire
théorique en faisant de « La Troisième » une lecture visant la
langue et le corps dans le rapport nouveau indiqué par Lacan. Côté
signifiant, « La Troisième » constitue un pas décisif sur le
chemin qui part du signifiant rhétorique vers le signifiant
mathématique. Le S1 devient un signifiant tout seul, détaché du
S2, vidé du sens, séparé des effets de signification. C’est de se
frotter les uns contre les autres que les signifiants assurent un
effet de jouissance dans le corps. Du coup, le corps référé au
stade du miroir ne suffit plus à rendre compte de la jouissance.
Du « ça parle » à l’inscription de la demande dans l’écriture même
de la pulsion, S barré poinçon D, le ça avait été jusque-là
englobé dans la dimension symbolique. C’est désormais à partir de
la logique et non plus de la parole et du langage que Lacan va
attraper le symptôme comme quelque chose qui jouit avec du
signifiant.

L'énonciation habitée de Dominique Holvoet a favorisé la
transmission aux participants de cet enseignement. Nous l'en
remercions beaucoup.

Québec, 19 octobre 2015.