Compte-rendu de la 35è rencontre du Pont Freudien à Montréal sur la psychose ordinaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


                            Compte-rendu de la 35è rencontre du Pont Freudien à Montréal
                                                                    sur la psychose ordinaire

 

Par Anne Marché Paillé

 

Les 22, 23 et 24 mars 2013 a eu lieu à l’Université du Québec à Montréal la 35e rencontre du Pont Freudien. La rencontre s’est déroulée en trois temps. La première journée a été consacrée à deux conférences, l’une portant sur la pratique orientée de la psychanalyse lacanienne en institution médico-pédagogique pour enfants et adolescents psychotiques et autistes en Espagne, présentée par Marta Serra ; la seconde sur le traumatisme, donnée par Guy Briole. Les deux journées suivantes ont été consacrées à la question de la psychose ordinaire traitée par Guy Briole dans le cadre de Séminaires du Champ Freudien.
Enfin, une soirée a été organisée sur la passe, faisant une place toute particulière au témoignage de Guy Briole comme A.E., lors de laquelle il nous parla de l’amour.

C’est Marta Serra, psychanalyste à Barcelone, membre de l’ELP et de l’AMP, qui a ouvert les travaux par une conférence intitulée « Le travail avec les enfants psychotiques : comment leur faire une place ? » Elle y a témoigné du « travail à plusieurs », exposant comment le travail était réalisé au un par un dans le respect des trouvailles que chaque enfant invente pour se tenir dans la vie et habiter le monde qui l’entoure. Marta Serra a montré comment chacun d’entre eux était accueilli et accompagné dans la singularité de son symptôme par une équipe de professionnels travaillant ensemble à un tissage très fin du psychologique et de l’éducatif. Les vignettes cliniques que Marta Serra a dépliées ont été d’une grande richesse, permettant notamment de mesurer l’importance accordée par chacun des intervenants, enseignants, éducateurs, tuteurs, psychologues, au principe de se laisser enseigner par l’enfant. L’auditoire de la conférence était composé essentiellement d’étudiants et de cliniciens qui ont posé à Marta Serra de nombreuses questions au sujet du traitement pharmacologique, des relations avec les familles, de l’après institution. L’humilité et la générosité avec laquelle Marta Serra a témoigné de sa pratique a permis une transmission des plus précieuses pour un public nord-américain certes peu accoutumé aux institutions médico-pédagogiques orientées par la psychanalyse, mais extrêmement attentif et intéressé. Cette conférence destinée aux étudiants sur l’heure du midi inaugurait une collaboration entre le Pont Freudien et une Association d’étudiants en doctorat de psychologie.

Le soir, Guy Briole, membre de l’ECF et de l’AMP, AE en exercice, a fait porter une conférence intitulée « Regard sur la modernité du traumatisme » sur la place du traumatisme dans le discours hypermoderne et dans la pratique. Le propos a été de pointer la centralité du regard dans le traumatisme. L’effraction du traumatisme, c’est d’abord la fulgurance d’un regard qui ne s’oublie pas dans la rencontre avec la mort, la sienne ou celle de l’autre. C’est ensuite le lancinant regard porté par l’autre sur la tache honteuse et indélébile du traumatisé, lui-même objet du regard d’un autre, objet du jugement. C’est aussi le regard porté par les soignants et intervenants exposés, quant à eux, non seulement à la fascination du trauma mais au trauma lui-même : « avec le traumatisme pas d’anticipation, seulement l’effet de surprise de la brutalité du déchirement du voile qui recouvrait le réel », dit Guy Briole. Le regard sur le trauma porte les marques de la modernité, avec, provenant du corps social et politique, mais aussi parfois des praticiens mêmes, cette volonté farouche que le sujet n’en dise rien, les menant jusqu’à intervenir directement sur le symptôme. Dans quelle langue dire ce qui relève de ce que Guy Briole a appelé « la marque de l’homme », c’est-à-dire de ce qui, dans le trauma, « fait mémoire de l’homme comme être parlant » ? Comment mettre au travail la part qui revient au sujet ? Guy Briole nous a offert en réponse la position éthique de Jorge Semprun : « il faut que je fabrique de la vie sur toute cette mort ».

Le séminaire avait pour titre : « La psychose ordinaire et le psychanalyste : clinique et acte ». Il s’est ouvert par le séminaire de lecture avec une lecture serrée du chapitre XVI « Les corps attrapés par le discours », du Séminaire XIX … ou pire, de Jacques Lacan. Guy Briole nous a donné une lecture de ce chapitre en exposant comment dans le dernier enseignement de Lacan va se développer une autre conception de la subjectivité dans laquelle le sujet cède la place au parlêtre : certains signifiants que le sujet prélève dans le monde extérieur vont affecter le monde intérieur qui est le sien, faisant de lui un parlêtre. L’action, c’est quand le corps prend acte de l’impact du signifiant. Lors du passage du primat de l’Autre à celui de l’Un, la jouissance supplante le désir. Guy Briole a exposé les conséquences de ce glissement dans le rapport au réel en fin d’analyse en articulant le passage de l’ontologie de l’être un corps à l’hénologie d’avoir un corps. Il s’agit dès lors du passage du désir à la jouissance, de la traversée du fantasme au réel incurable considéré comme impossibilité logique.

Le séminaire clinique s’est déroulé autour de deux cas. Le premier, présenté par Anne Marché Paillé qui a rencontré le sujet quelques fois en tant que conseillère d’orientation, il s’agissait d’un cas de psychose non floride à propos d’un sujet qui, à aucun moment de son existence, ne trouve sa place. Le défaut dans le symbolique est repéré du côté de l’impossibilité à faire lien.
Dans le second cas, Anne Béraud a exposé le travail d’un sujet en analyse depuis 5 ans : un cas de psychose ordinaire, où le sujet face à un corps dont l’espace n’est pas défini, devait chaque matin s’astreindre à une série de bricolages singuliers comme condition pour retrouver son propre corps et le séparer de l’espace dans lequel elle va évoluer. Progressivement, le sujet a trouvé de quoi se fabriquer un corps avec les mots de l’analyse et avec les mots de la poésie qu’elle écrit. Ici, l’analyse fait ici partie du sinthome. Dans son commentaire des deux cas, Guy Briole a insisté sur la formule de Jean-Pierre Deffieux dans La conversation d’Arcachon (1997) qui dit que le sujet psychotique ordinaire est un psychotique en costume de névrosé.

Guy Briole a poursuivi par un séminaire théorique intitulé « La psychose ordinaire et le psychanalyste : clinique et acte ». En s’appuyant sur l’indication de J.-A. Miller à Arcachon « la psychose ordinaire, ce n’est pas de l’à-peu-près », Guy Briole a montré, justement, comment c’était très précis. Le syntagme inventé par J.-A. Miller à Arcachon ne renvoie pas à un concept ou à une catégorie. Il s’inscrit dans une clinique borroméenne où le nouage vaut pour le sujet, qu’il dispose ou pas du Nom-du-Père. La psychose ordinaire est d’abord une psychose. La clinique des psychoses comprend la clinique florissante de la psychose extraordinaire et celle de la psychose ordinaire qui se repère aux franges. Ce n’est pas non plus une psychose non déclenchée dont le nouage se serait fait très tôt. Dans la psychose ordinaire, la forclusion tend à être compensée, par ajustement, à l’aide d’un faire-croire au Nom-du-Père, le compensatory make believe forgé par J.-A. Miller (2009), mais l’Autre n’existe pas. Pour l’analyste, cela implique un acte en conséquence : une pratique du plus ou moins, une pratique de l’ajustement.

Une soirée sur la passe qui avait été préparée par les participants avec la lecture des différents témoignages de passe de Guy Briole, a conclu ces quatre journées montréalaises. Elle fut consacrée à l’amour. Anne Béraud a introduit la soirée par une présentation de la procédure de la passe. Guy Briole est parti de l’amour, voie par laquelle opère la psychanalyse, amour porté au savoir supposé à l’analyste. L’amour est aussi ce qui tente de recouvrir le y’a pas du rapport sexuel. Si Lacan souligne dans Les non-dupes errent : « ce à quoi les corps tendent, c’est à se nouer. Ils n’y arrivent pas », il finira ce séminaire en disant « qui n’est pas amoureux de son inconscient erre ». La condition pour ne pas errer, c’est d’aimer son inconscient, c’est-à-dire aimer le savoir supposé à l’analyste. Mais à la fin de l’analyse et du vidage du sens qui s’y est produit, on peut se demander si l’on peut continuer à aimer. Guy Briole explique comment la chute du supposé savoir, par conséquent la chute de l’amour pour son inconscient, ouvre sur ce qu’il appelle l’amour civilisé, c’est-à-dire le désir de l’analyste. L’amour civilisé serait un amour au prix d’avoir accepté ce ratage, c’est-à-dire un amour séparé de la demande infinie que suppose l’amour. Alors, la question de l’amour, pour un homme, peut se poser du côté du pas-tout en passant de comment l’autre vous aime à comment, cet autre, on l’aime. Cette lecture de l’amour autoriserait alors à sortir du piège de l’amour qui consiste à offrir ce qu’on n’a pas qui suppose une demande où le partenaire se trouve aliéné. Dans ce nouvel amour il s’agirait plutôt d’un intérêt singulier pour l’autre sans exigence de réciprocité. Et donc, pour l’homme, le premier pas c’est d’entendre que c’est comme pas-toute qu’une femme aime.
L’exposé fut suivi d’une conversation entre les participants et Guy Briole. 

L’ensemble de cette rencontre fut une vraie réussite, d’une part en raison de la qualité des interventions des deux invités que nous remercions chaleureusement pour leur généreux apport à la psychanalyse au Québec, d’autre part par le nombre de participants (salle pleine à chacune des activités), et pour finir par cette exceptionnelle soirée sur la passe.

Québec, le 5 avril 2013.

 

 

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