Compte-rendu de la matinée des cartels du Pont Freudien-Montréal

 

 

Compte-rendu de la matinée des Cartels du Pont Freudien – Montréal

 

 

Par Anne Béraud

 

Samedi 5 octobre 2013, une matinée des cartels, organisée à Montréal par le Pont Freudien, préparée par Ruzanna Hakobyan et Pierre Lafrenière, puis présidée par Pierre Lafrenière, nous a permis d’entendre trois exposés. Ces travaux, traversés par la question de chacun, révèlent toute la qualité du travail en cartel, qui met à l’épreuve le désir de savoir, au joint de la rencontre entre la psychanalyse de chacun et le travail des textes. Dans les textes théoriques, les butées, tout autant que les découvertes, croisent les questions rencontrées au sein de sa propre expérience psychanalytique.

Deux exposés proviennent d’un même cartel sur le cours de Jacques-Alain Miller de 2011 « L’être et l’Un »i, dont le Plus-Un a la particularité d’être hors Québec puisqu’il s’agit de Luc Vander Vennet (membre de la NLS et de l’AMP), résidant en Belgique.

Le premier exposé présente l’intérêt de révéler la fonction du Plus-Un, en montrant la part qu’il a pris aux échanges et aux effets produits.

Michel Johnson a intitulé sa présentation « Mes trouvailles au sein du cartel montréalais ». Le Plus-Un, dit-il, « nous a suggéré de se laisser attraper par un dit (un écrit) qui nous renvoie à une question. » « Mon attention a été retenue par cette proposition que fait J.-A. Miller, tôt dans la 2e séance de son cours : « La question du réel est instance pour toutes les parlothérapies — une façon de les nommer qui fait résonner le mot parlote. En quoi la parlote peut-elle atteindre au réel ? Et que faut-il que ce réel soit pour qu’une parlothérapie ait des effets ? Je ne sais si là nous pouvons aller plus loin que l’axiome classique qui veut qu’il y ait une homogénéité de la cause et de l’effet, que cause et effet soient du même ordre. Enfin, si nous nous rangeons à cet axiome — au moins pour aujourd’hui —, si nous admettons qu’il faut que le réel soit du même ordre que ce qui a des effets sur lui, alors il faut que par quelque biais le réel subsiste de parole. » Qu’est-ce que le réel dans la parole ?

La question, dont Michel Johnson est parti pour tirer un fil dans sa lecture du cours de J.-A. Miller, est : «  Pourquoi chercher à atteindre le réel ? »

Michel Johnson est alors encouragé par le Plus-Un, pour aller de l’avant avec sa question, qui lui répond : alors que « le réel est vraiment le truc lacanien qui le différencie de toutes les orientations des parlothérapies, y inclut les thérapies analytiques, que toute notre clinique s’oriente vers le réel, etc… Et Michel, lui, pose la question « pourquoi alors vouloir atteindre au réel ? » Il faut oser ça. Et cela me semble un très bon point de départ. Je constate aussi qu’il s’introduit dans cette question par le biais de la fonction de la parole et du langage. Oui, il me semble que c’est un des grands fils rouges dans ce séminaire, notamment comment la fonction de la parole et du langage change du tout en tout dans l’enseignement de Lacan. Du langage en tant qu’instrument de mortification et de négativation de la jouissance, vers le langage et la parole en tant qu’il véhicule une jouissance. Ce qui a des conséquences en effet sur le parlêtre pour qui le rapport n’existe pas. »

Michel Johnson nous fait part de son trajet à travers quelques séances du cours de Miller, ainsi qu’à travers sa lecture du Séminaire XIX pour retenir cette phrase de Lacan, issue du Séminaire XIX … Ou pire, « (…) la création du dispositif dont le réel touche au réel, soit ce que j’ai articulé comme le discours analytique. »ii M. Johnson termine son exposé sur ce réel qui touche au réel dans le discours analytique. Lors du débat, une question lui est posée sur le statut accordé à ces deux réels : sont-ils les mêmes ? Michel Johnson conclut que « le premier serait la parole, alors que le second, c’est le constat que je suis appelé à disparaître. »

 

Luis Villa, dont l’exposé s’intitule « Le symbolique à sa limite », part de la question sur laquelle il a buté dans sa lecture de « L’être et l’Un » de Jacque-Alain Miller : Qu’est-ce que la séparation de S1 et de S2 ? Question qui l’a amené à s’intéresser tant à l’Un, S1, qu’à S2, c’est-à-dire au dernier enseignement de Lacan, comme au précédent.

Ainsi, Luis Villa découvre que « dans le texte de Lacan de 1957, « Fonction et champ de la parole et du langage », Lacan dit : « il est déjà tout à fait clair que le symptôme se résout tout entier dans une analyse de langage, parce qu’il est lui-même structuré comme un langage, qu’il est langage dont la parole doit être délivrée. »iii Alors, le « symptôme se résout tout entier », c’est l’optimisme, tout peut être guéri. Comme Miller l’a montré, nous sommes dans le maniement de deux entités égales. Le symptôme est langage, et par le langage, la parole doit être délivrée. » Luis Villa amène qu’« au fur et à mesure que l’enseignement de Lacan avance, il peut constater qu’il y a un côté qui n’est pas maniable par la parole. Par conséquent, il y a des restes symptomatiques dans une analyse qui ne sont pas maniables par la parole. » « Dans la grande partie de l’enseignement de Lacan, il a donné la primauté au signifiant. C’est-à-dire qu’il a considéré le réel à partir du signifiant. Par la suite, il nous oriente, dans son dernier enseignement, à faire une clinique à partir du réel. »

Luis Villa s’interroge : « Miller a montré comment Lacan, pour arriver au réel, « a réduit le symbolique à l’Un ». Lacan a réduit le vaste océan du symbolique à l’Un nommé aussi S1. Lacan a séparé le S1 de l’Autre. Mais qu’est-ce que l’Autre ? »

Luis Villa conclut : « L’Autre, c’est le discours de l’inconscient qui relève le discours du maître, et comme tout discours appartient à l’Autre, il s’agit de ne pas continuer à alimenter la jouissance du discours du maître, il s’agit plutôt de la sevrer, de la limiter, de la réduire. Et pour cela, Lacan a réduit le signifiant à la lettre dans la séparation de S1 et de S2 ; et du même coup, il va changer l’Autre du langage pour l’Autre du corps. Plus précisément, S1 est du côté de la lettre qui a frappé le corps ou qui a percuté le corps.
S1 sans le S2, c’est aller au-delà de tout idéal, incluant la psychanalyse elle-même. C’est la rupture la plus radicale qui soit, comparable juste à celle de l’art, rupture comme telle qui pousse au travail. »

 

Guylaine Massoutre, a présenté un travail issu d’un cartel sur le texte de Lacan des Écrits « Kant avec Sade »iv. « Le temps de la répétition, d’après Kant avec Sade » est le titre de son exposé.

La citation de Lacan qui ouvre son exposé : « Dire a quelque chose à faire avec le temps. L’absence de temps c’est une chose qu’on rêve, c’est ce qu’on appelle l’éternité ; et ce qu’on rêve consiste à imaginer qu’on se réveille. On passe son temps à rêver, on ne rêve pas seulement quand on dort. L’inconscient, c’est très exactement l’hypothèse qu’on ne rêve pas seulement quand on dort. »v donne le ton de sa question.

Guylaine Massoutre nous dit que « Sade, bien réveillé, rêve de jouissance répétée, libérée et d’un désir consenti, instituée universellement. » « Sade a tout son temps pour rêver et dire comment jouir éternellement. Il dit ce qui n’est pas de son temps. » C’est ce qui retient Guylaine Massoutre dans son exposé. Les questions posées sont celle du rapport entre la répétition et le temps, à la fois borné et éternisé ; et celle du rapport de la répétition et de l’interdit.

« Que fait donc Sade avec le temps ? » « La répétition disloque le temps vécu très concrètement par Sade, jeté au fond de sa geôle ; mais voilà que le prisonnier fait fi, par ses rêves littéraires, des interdits et des verrous et qu’il franchit le temps. Il atteint quelque chose dans le langage hors de l’ennuyeuse chaîne associative. Rien n’arrête donc Sade, et personne ne l’oublie. »

« La répétition a affaire avec la recherche impossible de la première satisfaction, continue G. Massoutre, jusqu’à « l’intolérable » (Lacan, « Kant avec Sade ») « l’extrémité singulière » où « L’horreur renforce l’attrait! » (G. Bataille, Madame Edwarda). » « Chez Kant, au contraire, le temps est une catégorie a priori de la connaissance, qui concerne non la connaissance sensible mais suprasensible de la loi. »

Reprenant le conte de Borges « La secte du Phénix », qui illustre l’idée que le coït annule la disparition du monde, acte que tout le monde pratique et dont personne ne parle, G. Massoutre montre que Sade n’est pas de cette secte. « Il en parle abondamment et est empêché de s’y livrer justement parce qu’il parle et en fait trop. »

« Lacan donne un relief à ce temps immuable de la répétition sadienne, qu’il distingue du relief kantien : ce temps qui ne cesse de courir vers le néant, c’est le masculin féminin de Sade, là où on l’attend le moins. » « Ainsi, le secret de tout le monde s’est ritualisé chez Sade dans l’accroissement de langage. »

Guylaine Massoutre conclut que « Lacan pénètre le rêve que Sade fait de l’impératif kantien en le rapportant à son désir de puissance absolue : « Kant avec Sade » est une analyse… de l’interdit d’interdire (mais pas au sens surréaliste). La jouissance pure de Sade, sans autre lieu que le langage, parce que le désir de souiller la loi consiste à la déplacer dans un au-delà de la morale, où ni l’homme n’est homme, ni la femme n’est femme, produit une angoisse insondable d’être humain, qui consiste à figer l’horreur du coït, sidérante, indicible, dans sa contemplation obsédée.

Le véritable désir, quant à lui, consiste à n’en rien dire, tout en le disant, évidemment : de là, ce temps où le sujet demeure noué, ce temps qui ne passe plus. Et, incidemment, la force intuitive du Sade de pierre, emmuré, dessiné et peint dès 1937 par Man Ray. »

 

Ces trois exposés furent suivis d’un riche débat, puis de la formation de nouveaux cartels.

 

Cette matinée des cartels, lieu d’adresse pour le produit de cartels, est une expérience qui sera renouvelée l’année prochaine, et cette fois, sous l’égide de NLS-Québec.

 

Montréal, octobre 2013

 

Anne Béraud.

 

iMiller J.-A., « L’être et l’Un », L’orientation lacanienne, Département de Psychanalyse de Paris VIII, (Paris), Cours, inédit.

 

iiLacan, J., Séminaire XIX … ou pire, Seuil, p. 234.

iiiLacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », In Écrits, Seuil, Paris, 1966, p 269.

ivLacan J., « Kant avec sade », In Écrits, Seuil, Paris, 1966, p. 765.

vLacan J., Séminaire XXV Le Moment de conclure, 1977, Inédit.

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