Compte Rendu des journées d’études de la London Society-NLS sur la jalousie







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London Society Study Day

Les multiples facettes
de la jalousie

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Samedi 15 décembre 2012

Compte Rendu par Penny Georgiou

La Société de Londres et ses invités se sont réunis pour examiner « Les
multiples facettes de la jalousie
 » et de prêter une attention
particulière à ce phénomène banal qui fait que le sujet se retrouve
pris au piège dans sa relation à son objet et dans sa place vis a
vis de l’Autre. La question se pose désespérément : « Comment
abordons-nous cette souffrance intime – cet état d’exil où le sujet
se trouve à côté de ce qui lui est le plus précieux ? »
Nous avons eu au cours de cette journée le loisir de nous arrêter
sur des détails discrets qui faisaient signe de l’irruption de la
jalousie et ce, à partir de perspectives différentes.
Nous n’avons eu de cesse de revenir à des détails infimes issus à la
fois des séances cliniques, mais aussi des subtilités du traitement
du pathos inscrit depuis toujours dans la littérature.
Le résultat en fut une rencontre intense, finement nuancée en même
temps qu’elle nous a amenés à un effort soutenu dans la construction
et l’examen d’hypothèses basées sur la présentation des indices dont
nous disposions, en prêtant une grande attention au temps, au lieu
et à l’interaction avec une multitude de dimensions elliptiques.

                                                    ***
Le texte de Veronique Voruz « Lecture de Catherine M. à
propos de la jalousie » fait référence à un extraordinaire matériau
publié dans deux livres (La Vie Sexuelle de Catherine M. et La
Jalousie : L’autre Vie de Catherine M.
), ainsi qu’à une
conversation publique qui a eu lieu à Bruxelles en Mai 2012 entre
l’auteur et Marie-Hélène Brousse. L’énigme tourne autour de « cette
femme qui n’a accepté aucune limite dans sa propre liberté sexuelle,
qui tirait une grande fierté de sa capacité à se sentir totalement
libérée au plan sexuel, ce qui lui conférait  d’une certaine façon
un statut d’exception auprès des hommes, et, par ailleurs, pour qui
le fait que son partenaire amoureux (l’homme de sa vie) puisse
désirer d’autres femmes était pour elle d’une douleur indicible. »
L’apparente contradiction entre ces deux facettes de sa vie nous
invite, à partir de l’orientation lacanienne, à une approche serrée
et nuancée, de la façon dont un sujet particulier s’efforce de
bricoler une solution singulière au rapport sexuel qui n’existe pas.
A partir de ses propres images du corps, elle met en scène un
Trompe-l’œil pour se rendre inviolable à partir de  bouts de réels
impossibles associés à la parole et au lien social. Veronique Voruz
rapporte comment au cours de ses échanges avec Catherine M.,
« Marie-Hélène Brousse oppose rapport et lien, affirmant que si le
rapport est possible, alors le lien dans le discours n’a plus sa
raison d’être.”

                                           ***

Dans son texte intitulé : Amour, Jalousie et Honte,  Bodgam Wolf
a abordé  la question de la complexité du regard.
Tout en notant que la position de Freud était que l’envie du pénis
marquait pour la femme sa position en fin d’analyse, Bogdan Wolf
rajoute que « C’est avec l’entrée de l’objet sur la scène de la
jalousie que je veux m’avancer plus loin vers ce que l’on nomme
envie.” La jalousie, « la passion de la jalousie » est liée au désir
de celui qui est le troisième. Mais il isole, parmi plusieurs
cas, « l’objet dans le champ visuel… qui se cache derrière les
relations jalousie/amour.” Il poursuit en disant que « Si la
jalousie concerne le désir, l’envie est liée à la jouissance » et
plus loin, que « Lacan opère une distinction entre jalousie et
envie, reliant cette dernière au regard. En quoi ? Dans l’envie le
sujet fait la rencontre d’un objet inutile pour le sujet car il
concerne la possession. »

Bogdam Wolf pose la question, «  Où Lacan recherche-il la cause de
l’envie ? Si j’envie l’Autre, c’est parce que je suppose que l’Autre
est en possession de l’objet qui le/la fait jouir, l’objet
agalmatique. A partir de là, dit Lacan, je touche à l’image de la
complétude.
Lorsque le sujet est confronté à l’image de celui qui possède
l’objet agalmatique, il pâlit devant cette image. Pâlir implique une
forme de régression ou plutôt d’engourdissement, ce qui se produit
aussi dans la honte. »

                                        ***
A propos de L’Autre Homme de sa Vie, Laure Naveau « apporte un
éclairage sur ce qui est en jeu dans le cas d’un jeune homme qui
s’est présenté à elle comme étant en proie à une lutte entre deux
passions : l’objet oral de son addiction (sous forme de diverses
boissons alcoolisées) et son idéal féminin, la femme de ses rêves.”
Laure Naveau repère comment « d’un autre côté, il y a un
choix non-sexuel, un choix a-sexualisé, l’asexué de la jouissance
sous la forme de l’ objet oral de plaisir, où la satisfaction
substitutive qu’il procure crée une impasse dans l’Autre et lui
assure une sorte de paix sexuelle. Plus loin, « à cause des
difficultés qu’il avait à serrer le corps de sa bien-aimée très fort
contre lui, il décida de faire corps avec la bouteille au point de
l’incorporer. » Elle s’appliqua à « mettre en lumière la structure
du passage à l’acte en lien avec la jalousie que sous-tend une telle
substitution. » A son tour, au cours de son travail sur cette
question, le sujet « en vient à se demander comment il peut cesser
d’être à la fois le réalisateur et le spectateur d’une scène qui le
ravage tout autant qu’elle le ravit, pour devenir enfin l’acteur de
sa propre vie.”
                  
                              ***
Pierre Naveau a ouvert les séances de l’après-midi avec son
exposé sur « La jalousie et le regard caché » dans lequel il explore
un certain nombre d’hypothèses avec pour point de départ,
l’idée « que le regard caché est ce qui pousse à la jalousie. » Il
développe ce point à partir du lien qu’il repère entre la jalousie,
le regard caché et le savoir», citant Sartre, Proust et Les Exilés
de James Joyce. Pour l’homme jaloux dit-il, il y a un trou dans le
savoir… (il) ne sait pas qui est cette femme qui constitue pour lui
l’objet de sa jalousie  pas plus qu’il ne sait qu’elle demeure pour
lui un mystère et qu’elle lui échappe totalement. » Il rajoute, «
Exilé, dit Lacan, est le mot approprié pour signifier l’absence de
rapport sexuel… son âme est rongée de doute.  Il veut tout savoir ;
et pourtant, il est impossible de tout savoir. »

Ce trou dans le savoir est également présent dans le roman de
Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol  V Stein, cette fois
à travers un personnage féminin. Contemplant comme « d’ un regard
caché derrière un rideau de plantes », Lol est « transportée par le
spectacle ravissant du couple inséparable qui danse”; Michael
Richardson et Anne-Marie Stretter (la  femme au non-look) «  Le
fantasme d’être trois », propose Pierre Naveau est le nom donné par
Lacan à ce type de jalousie qui caractérise à partir de cet instant
la position subjective de Lol.
Concluant en référence à Catherine Millet, Pierre Naveau suggère
qu’il n’y a pas de jalousie à proprement parler mais qu’il y a des
jalousies singulières et, avant tout, que le sens du mot jalousie
est multiple. Ce sens doit être élaboré au cas par cas. Ainsi
peut-on distinguer jalousie masculine et jalousie féminine d’une
part et jalousie freudienne et jalousie lacanienne d’autre part. La
jalousie met l’emphase sur le phénomène de projection ; le sujet
jaloux accuse l’autre de tromperie alors qu’il est sinon en acte, du
moins en pensée, lui-même infidèle. La jalousie lacanienne a à voir
avec le nœud d’implication subjective : ainsi la femme jalouse veut
faire partie, refuse d’être exclue et d’être laissée seule. Voila
pourquoi l’hypothèse explorée dans ce travail est que la passion
d’être trois constitue l’une des variantes symptomatiques de la
jalousie lacanienne.

                                  ***

Heather Chamberlain a présenté un cas, à partir de la
question : Comment s’y prendre avec un patient jaloux ? Parmi les
éléments de réponse précieux  qui resteront discrets, lui fut
offerte une démonstration très claire montrant combien un énoncé de
l’Autre du transfert « Vous devez toujours…. »  peut  être entendu
par le sujet de l’inconscient comme un impératif susceptible de le 
projeter dans une compulsion de répétition.

                                  ***
Betty Bertrand-Godfrey a présenté “ Un cas de Jalousie
Masculine comme l’un des Noms du Père”, en faisant référence au
texte de Freud de 1922, « Jalousie, Paranoia et Homosexualité »,
dans lequel Freud distingue trois types de jalousie (normale,
projective et délirante). Betty Bertrand-Godfrey a aussi attiré
l’attention sur le fait que ce texte est le seul texte de Freud à
avoir été traduit par Lacan en français.

La jalousie normale est issue du complexe d’Œdipe et est en lien
avec la rivalité fraternelle : le sujet croit qu’il a perdu son
objet d’amour et a des sentiments hostiles à l’égard de « son rival
victorieux »(traduction de Freud par Stretcher),  terme traduit par
Lacan par « preferred », préféré.
Ceci conduit Freud à postuler que les sentiments homosexuels sont en
jeu dans la jalousie.

Un exemple de jalousie projective est celui des époux jaloux,
incapables de reconnaître leur propre désir d’infidélité, que chacun
projette sur l’autre. Freud donne une indication quant au traitement
de ce genre de cas : « Dans le traitement d’une personne souffrant
de ce type de jalousie, il faut s’abstenir de mettre en question le
matériau sur lequel le patient fonde ses soupçons ; on peut
simplement s’efforcer d’aborder le sujet d’un autre point de vue. Il
poursuit en disant que ce type de jalousie est déjà presque
délirant, d’où son indication concernant l’orientation du
traitement. Cette indication a été le fil directeur de Betty
Bertrand-Godfrey, au cours de son travail avec ce sujet relevant de
ce cas particulier.
Le troisième niveau de jalousie est véritablement délirant et est la
conséquence « d’une homosexualité qui a mal tourné » ainsi que du
fantasme « Je ne l’aime pas, elle l’aime », une version de « Je ne
l’aime pas, je le hais », comme on peut en trouver l’élaboration
dans Le Cas du Président Schreber.

A son tour, Lacan, dans le Séminaire XX par exemple, nous
offre une lecture utile quant à ce qui doit être mis en place entre
un homme et une femme pour faire avec l’absence de rapport sexuel, à
savoir, l’amour. En maintenant une menace constante, qu’il s’agisse
d’un rival pour ses femmes ou d’un homme potentiellement dangereux
pour lui, le patient invente et maintient l’existence d’un double
masculin jouisseur en lieu et place de sa propre castration.
La jalousie, appel au père est ainsi une tentative de recouvrir le
manque.

                                   ***

Cette journée de travail a permis de réaffirmer la signature de
Lacan dans les directions de travail qui nous accompagnent
continuellement : l’apprentissage permanent d’un savoir-faire pour
répondre à l’angoisse et se confronter aux trous dans le savoir. Si
la compulsion de répétition constitue le symptôme, le symptôme comme
permettant le encore et encore, de devenir à chaque fois, un
événement nouveau, apporte un nouvel éclairage.

                                                   
                                                                                        

        Penny Georgiou, Londres 2013
Traduit par Frédéric Rosenthal (Québec)
et Catherine Massol
(France)

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