Compte-rendu du séminaire Nouages à Poznan en Pologne

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Par Patrycja Ostaszewska

Le dernier week-end d’octobre, le séminaire Nouages a eu lieu à Poznań. C’est la sixième fois en Pologne que nous nous réunissions sous cette formule de travail de l’École. Cette fois, nous avons eu le plaisir d’accueillir deux invités : Yves Vanderveken, vice-president de la NLS, et Anna Pigkou de la Société Hellénique. De notre côté, le séminaire préparé par les membres du Cercle de Varsovie et du Cercle de Cracovie a été organisé en particulier par des collègues habitant et travaillant à Poznań. Les deux journées étaient présidées par Grażyna Skibińska du Cercle de Varsovie.

Samedi matin, la salle de Instytut Zachodni – lieu de plusieurs événements scientifiques -, a réuni une trentaine de participants (membres des Cercles, étudiants, praticiens) pour une introduction théorique d’Yves Vanderveken, dont le titre était :
“Qu’appelle-t-on psychose en psychanalyse, dans notre pratique aujourd’hui?”

Tout d’abord, l’idée-même des séminaires Nouages a été rappelée, cadre dans lequel un travail commun se déroule en perspective des Congrès annuels de la NLS.
En se référant au titre provisoire du prochain Congrès à Athènes : “La psychanalyse et le sujet psychotique. De l’invention forcée à la croyance au symptôme” et au texte de l’intervention d’Éric Laurent à Tel Aviv : “La croyance radicale au symptôme”; Yves Vanderveken a souligné que ce texte nous donne une mission d’enquêter sur la façon dont nous lisons ce que la psychose veut dire pour la psychanalyse. Qu’appelons nous psychose?

Un contexte historique a été rappelé avec, entre autres, la thèse de Freud du délire comme processus de guérison, comme tentative de reconstruction d’un nouveau sens. Nous avons une double dimension : de la maladie et de la guérison. Au moment du déclenchement, la signification qu’avait pour le sujet, les relations sociales avec l’Autre et le fonctionnement du corps, disparaît – il faut reconstruire une signification nouvelle, en dehors des normes et des discours courants.
Dans la perspective lacanienne, dans le processus de reconstruction, le délire prend fonction de la métaphore délirante comme celle qui supplée à la métaphore paternelle. Lacan, au cours de son enseignement, tend à généraliser ce phénomène en tant que concernant tout être parlant.

En s’appuyant sur le texte de Jacques-Alain Miller “L’invention psychotique”; Yves Vanderveken a souligné que c’est en sortant de la pathologie que nous pouvons saisir comment cela fonctionne pour tous. La clinique de la schizophrénie permet de voir que le rapport au corps du sujet parlant est problématique. Pour donner une fonction aux organes du corps, le sujet doit s’appuyer sur les discours établis, typiques. Le sujet schizophrène, pour résoudre cette difficulté, ne se réfère pas aux discours établis, il est forcé d’inventer, d’élaborer un savoir faire à lui sur les organes.
Mais le sujet ne s’insère dans les discours établis jamais tout à fait. De même pour le névrosé, lorsque quelque chose échappe aux discours établis, une invention symptomatique devient nécessaire. Ce savoir-y-faire symptomatique est un savoir délirant.
En dehors des fantasmes typiques du névrosé, Lacan isole quelque chose qui concerne chaque sujet – le trauma du signifiant énigmatique qui fixe la jouissance hors-sens du sujet et le force a une invention qui le fera entrer dans la chaîne de sens. La question se pose pour chacun : comment de ce langage qui est externe à lui, organe hors corps, faire un instrument de nomination.

Lacan a mis en question le discours de la civilisation comme un seul en pluralisant les Noms-du-Père. Ce qui intéresse la psychanalyse, ce sont les formes de discours en tant qu’inventions symptomatiques délirantes, par lesquelles le sujet entre dans les discours établis que nous appelons civilisation. C’est selon ce mode d’insertion, que pour le psychanalyste, des cas cliniques se définissent. L’effort de l’analyse va contre les tentatives de classifications – chaque sujet est une classe ou est inclassable.
À l’époque de l’Autre qui n’existe pas, la notion d’invention s’impose. Est-ce que cela mène à une psychotisation du champs de la clinique, une ordinarisation de la psychose?
Peut-être que la notion de psychose ne sera plus compatible à l’esprit de l’époque, et nous parlerons alors de délire ordinaire.
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Dans l’après-midi, Anna Pigkou de la Société Hellénique et Alina Henzel Korzeniowska du Cercle de Cracovie ont présenté chacune un cas clinique illustrant différents aspects du traitement des sujets psychotiques.

Anna Pigkou a présenté un cas de patient psychotique avec un symptôme psychosomatique. La discussion s’est concentrée autour de la fonction du symptôme psychosomatique pour ce patient et un travail possible sous transfert.
Ce qui empêche le déclenchement, c’est la prise à la lettre que le symptôme psychosomatique est déjà une solution – il produit une localisation de la jouissance et donne un nom au patient. Les commentaires mettaient l’accent sur le fait que dans ce cas, le symptôme ne venait pas à la place du Nom-du-Père forclos, qui nouerait les trois registres, le patient est bloqué dans son invention fondée sur ce symptôme. Anna a souligné que cette cure d’orientation psychanalytique ne porte pas sur le symptôme psychosomatique – celui-ci est considéré comme la certitude psychotique, à laquelle on ne touche pas. L’accent a été mis par Anna sur le fait que c’est le patient lui-même qui décide de faire quelque chose avec son symptôme. Il reste la question de s’il pourra faire un nouveau nouage.

La patiente d’Alina Henzel-Korzeniowska présente plusieurs symptômes – abus d’alcool, toxicomanie. Elle suit des entretiens depuis quelques années. Alina rendait compte, entre autres, des difficultés de la relation transférentielle et posait la question de la fonction des symptômes chez la patiente.
Par rapport au cas, Yves Vanderveken a évoqué la question de comment poser le diagnostic différentiel entre schizophrénie et hystérie, où nous n’avons pas affaire à une névrose claire, ni une psychose délirante avec des phénomènes élémentaires. Il a souligné que dans notre pratique, nous avons des points de repères qui nous permettent de nous orienter sur les point cruciaux, comme le rapport du sujet au corps, l’identification au déchet et le sentiment de vide.

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Dimanche matin fut entièrement consacré au travail des membres des Cercles sur la lecture du texte de Jacques-Alain Miller “Clinique ironique”. Chacun a pu rendre compte de sa lecture du texte. Durant une discussion très large, touchant plusieurs questions théoriques et cliniques, nous avons pu profiter des remarques et commentaires éclairants d’Yves Vanderveken.
Nous avons discuté de la différence entre l’humour, le witz et l’ironie, entre l’ironie du névrosé et celle du sujet psychotique.
Lorsque la question du rapport du sujet à l’Autre a été soulevée, Yves Vanderveken a précisé ce qu’est cet Autre – c’est
d’abord l’Autre du langage, en tant qu’il produit des significations. En suivant l’enseignement de Lacan et de Miller, il faut considérer que tous les sujets “ont une partie à jouer avec l’Autre” – tous sont du même côté. L’humour fait exister l’Autre des significations, alors que l’ironie, si elle vise l’Autre, le détruit. L’ironie du schizophrène est-elle sa maladie? Le sujet schizophrène est-il instrument de cette ironie ou en fait-il un instrument?
À la fin, la question du traitement du sujet psychotique a été évoquée: comment accompagne t-on le sujet? Comme témoin, secrétaire, assistant? Selon la proposition de J.-A. Miller dans son texte “Sur la leçon des psychoses” – en tant que semblable, partenaire du sujet, pour permettre des effets de création de symptôme, soutenir sa construction.

Nous remercions nos invités et tous les participants de ces deux journées de travail intense.

Poznań, le 27-28 octobre 2012

 

 

 

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