Compte-rendu Séminaire Nouages et cartel fulgurant à Athènes

 

 

 

 

 

 

 

SOCIÉTÉ HELLÉNIQUE DE LA NLS

Séminaire Nouages à Athènes

Samedi, le 21 septembre 2013
 

 

                                                                                                                Compte-rendu

 

 

par Thanos Xafénias

 

Le séminaire annuel « Nouages » organisé par la Société hellénique de la NLS a eu lieu samedi 21 septembre 2013 en présence de Dominique Holvoet, président de la NLS dans un amphithéâtre bondé à l’hôpital général G. Gennimatas à Athènes. Le thème du séminaire reprenait celui du prochain congrès de la NLS : « Ce qui ne peut se dire – désir, fantasme, réel ».

Lors de son introduction théorique, intitulée « L’os de la fonction de l’objet dans le désir », Dominique Holvoet a suivi l’intervention de J.-A. Miller à Athènes, en se concentrant sur la dernière partie du Séminaire VI concernant la « dialectique du désir ». Il nous a rappelé que le grand secret de la psychanalyse est qu’« il n’y a pas d’Autre de l’Autre»i, alors que jusque-là c’est le Nom-du-Père qui apparaissait comme étant « l’Autre de l’Autre ». Le succès de l’ordre symbolique et de ses loisii voilait la révélation du dit « secret ». Le refoulement de cette vérité intolérable est l’objet même de la psychanalyse.

La chose freudienne, étant irréductible à l’ordre du père, conduit à un incessant verbiage qui témoigne de son authenticitéiii. Il y a un noyau irréductible, qui est celui du désir. L’ordre symbolique doit être lu comme une défense contre ce qui ne peut être dit. À partir du Séminaire VI, Lacan commence méticuleusement la déconstruction de l’ordre symbolique, en entrant dans l’espace de l’indicible, celui du réel.

Au début de l’analyse, le sujet est à la recherche de ce qui le représente, la vérité de son désir, son propre Nom-du-Père. Plus tard, il vise « la rencontre avec lui-même, avec son vouloir »iv. Le sujet doit chercher sa vérité chez l’Autre, où il finira par rencontrer l’absence de signifiant, puisqu’« aucun signifiant n’existe qui garantisse la suite concrète d’aucune manifestation de signifiant »v. C’est le sens du : « il n’y a pas d’Autre de l’Autre ».

Ce qui rend ce mécanisme de renvoi indéfini indispensable est ce qu’il appellera plus tard l’objet cause du désir. C’est quelque chose qui précède et propulse le désir. Dans les termes du Séminaire VI, nous pourrions dire que le fantasme est ce qui guide le sujet. L’existence de ce mécanisme conduit Lacan à dégager une autre modalité d’interprétation qui ne sera pas uniquement de l’ordre du symbolique, la fonction de la coupure.

Logiquement, le lieu de ce signifiant manquant, dont l’autre ne dispose pas, n’est pas de nature signifiante. C’est un lieu où il manque quelque chose et que Lacan nomme la « part sacrifiée », une part de la poussée vitale. Lacan remarque qu’en tant que parlêtres nous sommes soumis à la rencontre de notre destin avec cet objet indicible.

Le Séminaire VI explore le lieu où l’autre ne répond pas, le « champ du fantasme », le nouage entre symbolique et imaginaire. L’absence de réponse de l’Autre plonge le sujet dans une détresse profonde, un sentiment d’abandon qui peut atteindre un point-panique. C’est un point de rupture avec le symbolique, où le sujet ne peut plus rien dire de lui-même. Le sujet a alors recours à l’imaginaire, l’imaginaire du fantasme, et se défend avec son moi. Mais cela ne suffit pas. S’il existait une traversée du fantasme, ce que Lacan n’a mentionné qu’une fois, elle déboucherait sur un horizon de désêtre, un vide existentiel, un reste cynique qui mène soit à l’errance, soit à la canaillerie.

Lacan déplace le fantasme de l’imaginaire vers le réel. Le cœur du Séminaire VI est le rapport inconscient du sujet à l’objet dans l’expérience désirante du fantasme. Lacan invente une valeur de l’objet non plus imaginaire mais réelle. L’objet n’est pas sous la domination du symbolique. C’est un objet non résorbable, irréductible à l’imaginaire et au symbolique. Lacan souligne que le fantasme fondamental relie le sujet à un objet réel, une liaison qui se produit au moment de panique.

Le Séminaire nous permet de distinguer les « fantasmagories imaginaires », la posture moïque, du « fantasme fondamental », qui n’est pas accessible comme tel. Le fantasme dont nous allons parler au cours de cette année dans le cadre de la NLS reste inconscient, nous ne faisons pas l’expérience directe de cette dimension. Ce n’est pas un élément qui peut s’appréhender par le symbolique ou l’imaginaire. L’enjeu pour le parlêtre est d’arriver à saisir quelque chose qui n’est ni de l’ordre du symbolique, ni de l’imaginaire. Il s’agit plutôt d’une reconstitution de l’expérience de cette dimension.

Le sujet est pris dans la coupure, là où il n’est pas, là où il ne sait pas qu’il est, la dernière caractéristique structurale du symbolique, selon Lacan. Cet objet, avec lequel le sujet est connecté, est un objet réel dans la mesure où il a été prélevé sur le corps vivant. Lacan apporte tous ces éléments à la fin de son séminaire. C’est là que s’ouvre la construction de ce qu’il appellera plus tard l’objet petit avi. Ces objets du fantasme sont des jouissances « supplémentaires » qui viennent en infraction de la norme. Ils ne sont pas inscrits dans un processus de maturation du désir. Cette idée particulière de la maturation du désir est liée à l’idée de l’existence possible d’un objet idéal. En fin de compte, le rêve était de mettre le phallus à la place d’un objet idéal. « Le réel apparaît comme ce qui résiste à la demande (…). Cette forme du réel qui s’appelle l’inexorable se présente en ceci, que le réel revient toujours à la même place »vii.

Cette année au cours de notre travail, nous devrons repérer ce qui revient toujours à la même place. Cette récurrence inévitable, cette insistance, circonscrit le lieu du désir, un lieu qui n’est pas harmonieux. Ce désir est toujours pervers, il ne peut être dit qu’« entre les lignes », et aucune des demandes du sujet ne peut l’épuiser. Nous sommes devant « l’os de la fonction de l’objet dans le désir ».

 


Dans la partie clinique du séminaire, trois cas ont été présentés.

Anne Béraud, membre de la NLS et du groupe associé NLS-Québec (Montréal), a présenté le premier cas clinique intitulé « Le vertige de l’innommable ».

Il s’agit du cas d’une jeune femme hystérique qui, tout au long de son analyse, parvient à construire un savoir après avoir réussi à déchiffrer les symptômes et les identifications de son adolescence.

Par la suite, une interprétation lui permettra de changer de position subjective, de se débarrasser de certains symptômes physiques et de devenir une mère. À partir de ce moment, elle sera confrontée à la jouissance qui est en jeu dans ses scénarios et rêves, où l’anxiété et la jouissance se mêlent, mettant en avant le vertige en tant qu’innommable.

Au cours de la présentation du cas, nous avons pu assister à l’interprétation fondée sur l’équivoque de certains signifiants et l’émergence d’un signifiant particulier, « choir », qui condense le chemin de son analyse, sa sensation de vertige.

Le deuxième cas clinique intitulé « La logique d’un cas dans une clinique du sinthome » a été présenté par Jacqueline Nanchen, membre de la NLS et de la Société suisse (ASREEP-NLS).

Un homme d’âge moyen, qui tend à somatiser depuis son enfance, subit la deuxième crise grave de sa vie. La première crise est survenue quand il a dû choisir entre ce qu’il appelle la vie et la mort, avec l’amour comme défense contre la brèche ouverte par la mort.

Or, voilà que dans des circonstances similaires, à l’occasion d’un choix qui doit être fait, il est pris au piège entre la demande obscure de sa femme et la demande explicite d’une maîtresse potentielle. Le signifiant qui émerge – prétexte à une nouvelle somatisation – marque la vie du sujet depuis toujours. Ce signifiant particulier condense la jouissance du sujet et se retrouve sous diverses formes, impliquant son corps et son éthique. En tant que serviteur du fonctionnement de son cerveau, il calcule sans cesse. Or ce même fonctionnement lui est très utile quand il pratique son passe-temps dangereux. Ce qui est en jeu ici, c’est sa vie elle-même.

Enfin, Despina Karagianni, membre de la NLS et de la Société hellénique, a présenté le troisième cas clinique, sous le titre « Une Mère fait ça comme personne ». Il s’agit d’une jeune femme qui cherche à être dirigée dans sa vie, la dimension du manque subjectif étant absente. Au cours d’un épisode de déstabilisation, les thèmes dominants de la séparation et de la perte provoquent une grande détresse.

Sans se préoccuper de questions qui concernent son histoire familiale, elle est très perturbée quand son emploi du temps quotidien ne peut être respecté. Ses déstabilisations ont lieu à chaque fois qu’elle est confrontée à un autre barré. Elle a alors recours à des spécialistes qui lui dictent comment vivre sa vie. Avec l’aide de son mari, elle arrive à se supporter. Son mari est précieux et indispensable en raison du fait qu’il peut la supporter comme sa mère l’aurait fait.

Un signifiant qu’elle a inventé pour désigner sa jouissance intrusive l’aide à avoir une vie « ordonnée ». De cette manière, une certaine stabilisation est obtenue. En outre, une holophrase sera en mesure de consolider le sens. Ce signifiant particulier de sa jouissance, bien que tyrannique, est essentiel. L’enjeu consiste à le rendre viable en tant que particularité.

À l’issue du séminaire, le président de la Société hellénique, Epaminondas Theodoridis, a tenu à remercier tous les participants et en particulier les trois intervenantes, ainsi que le président de la NLS Dominique Holvoet, dont l’introduction orientera notre travail pour le prochain congrès de la NLS à Gand.

Traduit en français par Eleni Koukouli

 

Compte-rendu du cartel-fulgurant d’Athènes

Dimanche, le 22 septembre 2013

 

par Marina Frangiadaki

Le dimanche 22 septembre s’est déroulée à Athènes la matinée du cartel-fulgurant, organisée par la Société Hellénique, animée par Epaminondas Theodoridis et par le Président de la NLS, Dominique Holvoet. Les travaux du cartel-fulgurant ont été suivis par la quasi-totalité des membres de la Société Hellénique. Nous avons pu écouter trois exposés de présentation des chapitres du Séminaire VI Le désir et son interprétation.

Notre invitée de Montréal, Anne Béraud, a fait une lecture pertinente des chapitres XXI et XXII autour de la notion de coupure. Elle a développé la fonction du fantasme, à savoir apporter une réponse là où il n’y a pas de réponse, au point où le sujet rencontre le vide chez l’Autre, ce que Lacan articule sous les termes « il n’y a pas d’Autre de l’Autre ». Au dernier congrès de la NLS à Athènes, Jacques-Alain Miller avait mis en valeur cette thèse nommée par Lacan « le grand secret de la psychanalyse » (Séminaire VI, page 353). Anne Béraud a démontré que Lacan présente la coupure dans son rapport avec les objets oral, anal, phallique et vocal, qui vont permettre de donner leur appui au sujet dans l’axiome du fantasme.

Dossia Avdelidi, de son côté, a développé la nature perverse du désir en opposition à la structure perverse (chapitre XXVII). Le désir ne suit pas les règles de la normalité, et la particularité de son rapport non réglé avec la jouissance rend tout désir pervers.

Dora Pertessi a contribué à l’illustration de cette thèse sur la nature perverse du désir, et l’opposition entre fantasme névrosé et fantasme pervers, avec son exposé sur la lecture lacanienne de Lolita de Vladimir Nabokov (chapitre XXVI). Si Lolita semble soutenir chez le héros un désir pervers, elle illustre par ailleurs les caractéristiques de la relation du sujet au fantasme névrotique. C’est pour cette raison que le héros, comme dit Lacan, se trouve démuni de tout moyen d’atteindre l’objet de son fantasme.

La matinée s’est terminée avec un débat passionné des participants qui, pour la plupart, avaient étudié le Séminaire VI.

i J.-A Miller, « L’Autre sans Autre », présentation au XIIe Congrès de la NLS à Athènes, NLS Messager no 806, 05/09/2013 .

ii Ibid., p. 6.

iii Lacan, J., Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, Paris, Édition de la Martinière, Le Champ freudien, 2013, p. 424.

iv Ibid., p. 349.

v Ibid., p. 441.

vi Ibid., p. 469.

vii Ibid., p. 565.

 

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