Une question de Lanzmann, deux jaculations de Karski
Marco Mauas
À la projection de son film, Le rapport Karski, nous avons écouté Claude Lanzmann lire quelques mots d’introduction. Jan Karski fut un envoyé spécial, envoyé par Cyryl Ratajski du gouvernement de Pologne afin d’éclairer la situation dans le ghetto de Varsovie ainsi que celle des juifs en Pologne et dans les camps de concentration. Dans son introduction, la question de Lanzmann est particulièrement notable, prononcée avec décision et perplexité : « Qu’est ce que veut dire, 'savoir' ? »
En effet, à son retour, Karski trouva que son rapport fut irrecevable par la majorité. Le Président Roosevelt interrompit brusquement les détails des atrocités du ghetto de Varsovie pour lui poser une question sur la situation des chevaux en Pologne. Un rabbin très important de la communauté américaine doute de la véracité de ce témoignage. À la fin du film, nous voyons Karski, déjà installé aux États-Unis comme professeur d’histoire comparée à l’Université de Georgetown, déclare qu’il ne comprend pas ce qu’il a vu de ses propres yeux en Pologne, qu’il croit que c’est complètement incompréhensible pour la capacité humaine.
Deux jaculations
Une chaîne brisée, qui ne fait pas chaîne, pourrait s’approcher de la formule jaculatoire minimale que Lacan propose pour la psychanalyse dans son dernier enseignement. La jaculation comme dire répond au fait qu’il y a une dimension hybride de l’inconscient à tenir en compte, du signifiant et de la lettre en même temps, deux versants que Lacan opposa tout au long de son enseignement.[1]
Quand Lanzmann lit sa question, « Qu’est ce que veut dire, 'savoir' ? », c’est d’avoir constaté, pour son propre compte (il avait coupé le témoignage de Karski lors de la première version de son film, Shoah) qu’il y a un trop de réel qui « sinthomatise » son œuvre d’artiste du cinéma. Ce réel est inassimilable aussi pour Karski. Karski, à son tour, fait deux jaculations étranges lors d’un reportage[2] le 9 février 1995 à sa maison. Il s’agit de deux phrases, dont on peu apprécier comment la prise en charge d’un réel force vers une rupture, un mentir minimale. Je cite :
« Question : Il était beaucoup plus facile pour l’Allemagne nazie de tuer des Juifs que c’était pour la Grande Bretagne ou les États-Unis de les sauver. Êtes-vous d’accord ? Pourquoi ?
Karski : Il était facile pour les Nazies de tuer les Juifs parce qu’ils l’ont fait. Les alliés ont jugé impossible et trop coûteux de sauver les Juifs, car ils ne l’ont pas fait. »