EFP – FORUM NEWS : Débat – R. Blanchet, V. Coccoz, J. Haney, R. Pozzetti, D. Roy (français, anglais, italien)

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L'EUROFÉDÉRATION DE PSYCHANALYSE

LES ÉVÉNEMENTS – THE EVENTS 

Forum Européen de Milan

« Gilets Jaunes », événement prophétique pour l’Europe ?

Réginald Blanchet

Tellurique la secousse stupéfia. L’émotion qu’elle suscita en France fut à la mesure de son ampleur et de sa soudaineté. Tout d’un coup, contre toute attente, le sol de la République se mit à trembler. Les puissances chtoniennes jusqu’ici recluses dans le tréfonds de ses entrailles se déchaînaient. Elles se montrèrent au grand jour, érigées dans la lumière jaune de leur apparat de circonstance, exhibant le visage méconnu de leur existence ignorée. Le prolétariat avait cessé d’exister, le précariat faisait son entrée dans l’histoire. Ce fut sous les auspices de la colère et de la révolte. La condition précaire qui était le lot de nombreux citoyens était devenue infernale. La coupe était pleine. Ce fut le pays dans sa très grande majorité qui se mit au diapason de la révolte. Les dirigeants, interloqués, en furent un instant ébranlés. La question politique était en effet posée. Elle le fut dans son tranchant : c’était la question de la démocratie elle-même. C’est celle même qui se pose aujourd’hui dans toute sa rigueur pour l’Europe tout entière.

C’est en effet de façon déclarée sur le plan politique que le mouvement des Gilets jaunes se porta d’emblée. Le mobile de son lancement apparaît après coup presqu’anecdotique. La revendication de « la baisse du prix des carburants à la pompe » ainsi que l’exprimait la pétition mise en ligne au mois de mai dernier par Priscillia Ludosky fit aussitôt florès.1 Elle forma le socle du mouvement qui fut lancé dans la foulée. Inscrite en caractères gras dans le communiqué recensant pêle-mêle les 42 revendications du mouvement dit de « La France en colère » la mention suivante précisait la portée politique de l’initiative : « L’unique volonté est que l’ensemble de ces propositions soient soumises à un référendum populaire ».

En effet la démarche des Gilets jaunes n’est pas de type corporatiste non plus que syndical. C’est la République qui est interpelée et les institutions de la démocratie représentative qui sont interrogées. Les Gilets jaunes demandent plus de démocratie, plus de démocratie participative et de justice sociale, moins d’inégalités. La visée affichée du mouvement est en effet de rétablir le citoyen dans sa pleine capacité de citoyen actif, ayant droit à la dignité également partagée entre tous, de celui qui a voix au chapitre, et dont la parole, entendue, écoutée et respectée, porte à conséquence. Si intensément clamée la revendication serait la retombée du pacte aujourd’hui brisé qui a présidé jusqu’ici aux relations gouvernants-gouvernés. Le haut-fonctionnaire l’exprime en des termes que l’on pourra tenir pour définitifs. «Notre système de gouvernement, écrit-il dans un article essentiel, s’est fondé sur un pacte tacite, celui par lequel la grande majorité des citoyens acceptait de ne pas participer activement au processus de décision politique, lequel était de facto la chasse gardée des catégories sociales les plus favorisées, en échange de quoi ces dernières s’engageaient à agir pour accroître le confort matériel de ces citoyens passifs tout en créant les conditions d’une mobilité sociale qui permettrait à leurs enfants d’être mieux lotis qu’eux-mêmes. Ce pacte est aujourd’hui brisé.»2 Telle serait donc la portée de la revendication-phare du mouvement qu’est le référendum d’initiative citoyenne.

Tout aussi emblématique est le second versant de la démocratie que les Gilets jaunes appellent de leurs vœux : elle sera sociale et égalitaire ou ne sera pas. Le mouvement ne professe pas l’incivisme ni la désobéissance civile et moins encore la jacquerie. Ce serait à nouveau se méprendre lourdement sur sa signification profonde que d’identifier le mouvement citoyen à ce qu’il faut bien tenir pour ses déjections. Elles lui collent, il est vrai. Elles s’expriment, cela a fait grand bruit à juste titre, à force de quenelles et autres jaculations infâmantes. Le mouvement aura à combattre avec la dernière détermination cette plaie qui lui fait cortège. Faute de quoi il perdra toute légitimité à se prévaloir de l’éthos démocratique et devra être incriminé.

Précaire à l’image des conditions qui présidèrent à son surgissement sur la scène publique son avenir est incertain. Sans doute ne lui appartient-il déjà plus. Mais de la fulgurance de l’événement qu’il fut les effets continueront de se faire sentir dans le temps long désormais de ses soubresauts. L’Europe aimable à ses peuples et à ses citoyens sera celle qui se sera rendue désirable à leurs yeux. Ce sera celle, il y a fort à parier, qui se sera emparée pour le réaliser le programme de l’égale dignité des citoyens. Ce dernier n’est envisageable qu’à l’échelle européenne. Aucun espoir pour l’utopie que serait « la démocratie dans un seul pays » non plus que pour la politique sociale menée en cercles fermés nationaux murés dans les peurs obsidionales. Serait-ce dès lors extravagance d’admettre que l’Europe n’a chance d’avenir qu’à se muer en démocratie sociale et écologique ? Ne serait-ce pas là en vérité la prophétie portée par l’éruption signalétique de la fluorescence qui aura scintillé un instant comme le présage de la démocratie au point du jour ?

1 Elle atteint aujourd’hui le million de signatures. Cf. « Une enquête pionnière sur la révolte des revenus modestes », Le Monde du 11/12/2018.

2 David Guilbaud « ‘Égoïstes, imbéciles, illuminés, poujadistes, vulgaires’ : les Gilets Jaunes vus depuis une certaine haute fonction publique », AOC 19/12/2018https://aoc.media/offre-flash-1-e/

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L’enlèvement d’Europe

Elle provient du mythe. Elle a donc une origine noble et poétique. Son nom a parfois été lié à la plus sage, Athéna. Enlevée par Zeus incarné en un taureau blanc et proie de ses enchantements, elle monta sur sa croupe sans opposer de résistance à l’érotique ravissement que Rubens, Le Titien, Veronese et tant… Continuez à lire


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The Custard Colossus Takes Control – Boris Johnson and the JCB

Janet Haney, London (NLS)


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Boris Johnson delivered a speech last week in the heart of Brexit country,1 at the Midlands headquarters of JCB, the company owned by Lord Bamford, a major donor to the Conservatives.2

Boris, the blond bombshell of British politics, was standing in front of what he called “custard colossi”3 – the huge yellow JCB diggers that are known as the “backhoe loader”. Johnson is well known for displaying his classical education, but he always adds something banal and ridiculous to the mix. In this case, custard.4 It is a self-deprecating reference to himself. He is a blond colossus, and boarding-school custard could easily be part of the reason. Custard is also a signifier of cowardice in the UK (“Cowardy, cowardy custard”) which many accuse him of – moral cowardice, the refusal to actually take up a position. We all remember the speed with which he fled the scene when the possibility of having to take up that challenge was so very, very close: the day of the referendum result, 24 June 2016. We all also remember the two articles he drafted for the Daily Telegraph, one in favour of remaining in the EU, the other in favour of leaving.

But the JCB colossus is not a coward. It’s a machine. It is the British construction industry’s very own battle tank. This “British built backhoe loader”, said Johnson enjoying the sound and feel of the words, and bouncing up and down on his toes, “can roar onto building sites across the world … it can’t be stopped.” Suddenly one has the image of a tank rolling into a foreign bomb-blitzed city, shoving aside the debris, knocking over anyone and anything that happens to get in its way; part of the essential equipment for establishing a new order, a machine to make money, to create anew. War is part of the picture.

The JCB production line has been temporarily halted to make way for this speech. Boris steps up to the podium. The hard machinery of the capitalist discourse is paused. It is time for a human being to speak. When the discourse changes, says Lacan, love emerges.5

And Boris can stir up love. But he is also a renowned coward in love. He is notorious for philandering, and his wife (the mother of most of his children) finally left him last year. Like a typical obsessional, he seeks one woman after another to sustain his enjoyment. But can he really speak? Does he have anything to say? Or is it just the drive and his aggression?

When, in his speech, he talked of his experience in the driving seat of the JCB, he reported that he had promptly selected the wrong gear and – pow! – “you’ve got a huge hole in your house”. He then advanced the notion that a metaphorical JCB needs to be manoeuvred so that “we stop battling ourselves”. Is he talking about the Conservative Party? Himself? The country? Or all of these at the same time? The speech is being delivered, remember, at the end of the week when Theresa May’s Brexit deal was voted down by the “largest majority ever”: 432 to 202. He said, instead, that the JCB “must be turned [on] our friends and partners in Brussels.” The little others, the rivals – it’s all in the mirror and the man is at war with himself, consumed by his hainamoration.6

He continues to riff on his theme: he explained that Joe Cyril Bamford, Lord Bamford’s father, was the father of the machine, it was his “wacky idea”. Papa JCB had his idea in 1953. He gave it life, nurtured it, and now “the world is populated with descendants of that glorified tractor.” It is Boris’s “blood and soil” fantasy. Blood and soil plus evolution – the survival, so it goes, of the fittest. The JCBs, he said, have “mutated into the much more beautiful, stunning machines that they are today.” 

Another riff: their genes, the genes of these machines, he continued, “are spreading across … the world. You are seeing JCBs in all their incarnations. And nothing, and no one, will stop their spread. Absolutely nothing. No bureaucratic prejudice or impediment will stop a British-made backhoe from roaring onto building sites around the world.” These machines have become a kind of animal, which become a kind of insect, a kind of virus, a British plague that can’t be stopped by others … the colonizer.

“Normally,” he says, “if JCB comes up with a brilliant idea … you want to protect yourself from people in Brussels, our friends and partners … who want to throttle that idea, to strangle it at birth…” What a mash-up of contradictory thoughts, hatreds, rivalries.7

For someone who does very little else but write and deliver speeches, Boris is surprisingly inarticulate. The language is all over the place. The subject slips and shifts with each breath. He tries to say it all, to have it all. But does he really want any of it? Can he escape from the love-hate relation he has with the Father, the women, and the little others? Can we escape from its consequences?

In Eugene Jarecki’s documentary, Why We Fight (2005), at one point we see a woman worker in a bomb factory admitting that she would rather be one of Santa’s elves, but, hey, this is the only job in town. At least she can laugh, she can speak the truth, she can let herself be seen in a movie that has been shown around the globe. She accepts her castration with some humour. Here, at the Q&A at the JCB factory, all the questions came from journalists – not one of the factory workers piped up. Free speech? Dead already. In contrast, Boris’s speech is all too free, free of any responsibility. If the subject who speaks is absent, death is in the driving seat, and we can expect more holes in our houses, and in those of our friends and neighbours. 

1 Which you can watch online, Channel 4 News, “Boris Johnson reveals his Brexit plan – full speech”

published 18 January 2019.

2 Bamford was the sixth biggest donor to the Vote Leave campaign, with £673,000 – the number one donor was Arron Banks, who donated £8,106,375, and is currently under criminal investigation. See Peter Walker and Jim Waterson, “Arron Banks faces criminal inquiry over Brexit campaign”, The Guardian, 1 Nov 2018.

3 Boris likes to show off his classical education, but he also always adds a reference to something incredibly mundane, here in the form of custard.

4 A gooey British accompaniment to pudding, made with milk, sugar, and (instead of egg) cornflour. It’s yellow.

5 Jacques Lacan, Seminar 20, Encore, [1972-3], London/NY, Norton, 1998, chapter 2.

6 Jacques Lacan, ibid., chapter 8, p. 98.

7 Jacques Lacan, “Aggressiveness in Psychoanalysis”, Écrits, London/NY, Norton, 2006, p. 93.

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La moneta europea come oggetto piccolo a

Roberto Pozzetti

Ho ben poca simpatia per le organizzazioni che fanno riferimento al nazionalismo e al sovranismo. Rimango, tuttavia, sempre più colpito dalla diffusione di questo punto di vista in larghe fasce sociali e culturali, soprattutto nei giovani. In effetti, qualcosa di analogo si verificò dopo il celebre crollo di Wall Street nel 1929, emblema di una crisi economica che fu fra i fattori predisponenti il successo dei nazionalismi e l’instaurarsi di regimi totalitari avversi alla democrazia. Analogamente, dopo il fallimento di Lehman Brothers, è cresciuto il consenso del nazionalismo à la Trump e delle posizioni euroscettiche che si estendono dai partiti esplicitamente sovranisti sino alla scelta del leave nel referendum sulla Brexit, dalla destra al governo in Austria fino ai gilet gialli francesi. Pur nelle discrete differenze fra loro, credo tale consenso vada situato in riferimento al declino degli ideali e al trionfo degli oggetti della nostra epoca. Nel dibattito verso il Forum, ne ha scritto Marie-Hèléne Brousse. 

E’ noto il matema proposto da J.-A. Miller: I < a. L’Ideale risulta attualmente meno rilevante rispetto all’oggetto. La nostra società pone al suo apice l’oggetto piccolo a – concetto che rinvia anche all’oggetto perduto in Freud, all’oggetto buono / oggetto cattivo nella Klein, all’oggetto transizionale in Winnicott. Raffaele Calabria ne propone una precisa disamina in un recente libro.1 J.-A. Miller situa tale ascesa dell’oggetto a in concomitanza con “la rivoluzione industriale”2 che ha portato in auge gli oggetti soppiantando il ruolo degli ideali e dei valori paterni nella nostra cultura. L’oggetto a nella sua versione naturale, corporea, relativa alla lista degli orifizi pulsionali (orale, anale, scopico, invocante), è stato presentato da Lacan soprattutto in riferimento all’esperienza dell’angoscia, nel suo seminario X; tale concetto viene ampliato e messo in forma logica attraverso il riferimento a tutta una serie di oggetti a prodotti dall’industria. Abbiamo allora lo scooter, l’automobile, lo smartphone, il computer e così via. “La nozione di più-di-godere in Lacan adempie alla funzione di estendere il registro degli oggetti piccolo a, al di là degli oggetti in qualche modo naturali, di estenderlo a tutti gli oggetti dell’industria, della cultura, della sublimazione”.3

Ci troviamo in un sistema socio-economico nel quale bisogna produrre e produrre sempre più oggetti di consumo: l’effetto dell’industrializzazione è la creazione di un mondo di consumatori i quali dovranno acquistare sempre più prodotti pubblicizzati sul mercato. La deterritorializzazione specifica della rivoluzione industriale, che comporta urbanizzazione e sradicamento dai legami del mondo rurale, va di pari passo con la preponderanza degli oggetti rispetto ai valori e agli ideali. 

Nella recente crisi politica susseguente alle elezioni del 4 marzo e poco prima dello stipularsi del cosiddetto contratto di governo, l’intervento del Presidente della Repubblica, il quale si poneva come un padre simbolico, non si è affatto appoggiato ai valori e agli ideali paterni. Non citava i padri fondatori dell’Unione Europea nè il manifesto di Ventotene né tantomeno gli ideali di europeismo e internazionalismo. Egli faceva molto meno poeticamente riferimento ai risparmi e al danaro. 

La mia tesi è che l’oggetto a sia ora divenuto l’Euro, la moneta unica europea. Dunque il padre, il Presidente della Repubblica stesso è piegato all’imporsi crescente dell’oggetto a, nelle vesti della moneta europea. Tutto può venire messo in discussione, tutto è relativo, opinabile e volubile nel nostro continente, tranne l’indiscutibilità della moneta europea. La moneta europea è un oggetto causa di godimento anziché causa di desiderio. Causa di godimento che è tanto più eclatante in momenti di crisi economica e di recessione. La centralità delle tematiche economiche si ripercuote sui paesi europei con politiche di austerity, blocco di assunzioni e investimenti pubblici, ristrettezze finanziarie. Ne abbiamo visto l’apice drammatico nella situazione greca di questi ultimi anni. 

Si discute spesso su quale sia l’organizzazione comunitaria che vogliamo. E’ sicuro che l’Euro ha ben poco a che fare con l’Eros, con il desiderio o con l’incontro d’amore. Forse l’Europa tornerebbe a essere luogo dell’agalma se diventasse, oltre che il contesto della moneta unica, di nuovo un luogo di valori fondamentali per l’umanità come la solidarietà e l’internazionalismo. 

1 R. Calabria, Alle radici dell’oggetto in psicoanalisi, Alpes, Roma, 2017. 

2 J. A. Miller, Una fantasia in La Psicoanalisi, Astrolabio, Roma, n. 38, p. 18.

3 J. A. Miller, I sei paradigmi del godimento, Astrolabio, Roma, 2001, p. 32.

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« Mais celui que la rigueur de la vie ne retenait pas prisonnier à la même place pouvait, de tous les avantages et de tous les charmes des pays de la culture, se composer une nouvelle et plus grande patrie {….} N’oublions pas non plus que chaque citoyen du monde de la culture s’était créé un « Parnasse » particulier et une « École d’Athènes ». Entre les grands penseurs, poètes, artistes de toutes les nations, il avait élu ceux auxquels il supposait devoir le meilleur de ce qui lui était accessible en fait de jouissance et d’intelligence de la vie {…} et jamais il ne s’était reproché pour autant d’avoir renié sa propre nation et sa langue maternelle bien-aimée »

Freud 1915 « Considérations actuelles sur le guerre et sur la mort »


Daniel Roy

« Sa langue maternelle bien-aimée » : je veux partir de là pour penser haine et amour pour l’Europe. 

J’éprouve en effet haine pour l’Europe quand elle vient attaquer par sa novlangue administrative ce que Freud nomme ici « sa langue maternelle bien-aimée ». De quoi s’agit-il ? Il s’agit de ce qui constitue le pouvoir de la langue que je parle et dans laquelle j’ai été parlé. Il s’agit de quelque chose à la fois de très puissant et de très fragile, qui tient à notre condition d’êtres parlants : c’est le fait que la langue a ce pouvoir singulier d’accueillir ce qui lui est étranger, cette substance jouissante qui nous anime, et de constituer ainsi un corps vivant et parlant. C’est un premier petit miracle de la langue, de donner une consistance de corps à ce mixte qui fait tenir ensemble les lois de la parole et du langage et le « sans loi » de la jouissance. Le deuxième miracle qu’effectue la langue, c’est son pouvoir de créer du lien social et c’est bien dans cette relation entre les corps que haine et amour, ces deux passions de l’être, trouvent leur terrain d’élection. C’est sur ces deux découvertes que le psychanalyste peut faire fond pour ne pas céder à la troisième passion que Lacan met en valeur : l’ignorance.

Donnons maintenant son nom lacanien à « ma langue maternelle bien-aimée » : c’est ma lalangue, et c’est uniquement dans cette lalangue que je peux savoir (cesser d’ignorer) ce que je hais et ce que j’aime, et reconnaître ceux que je hais et ceux que j’aime.

Ai-je raison de désigner « l’Europe » comme possible ennemie de cette langue-là ? Oui, quand le discours qu’elle diffuse n’est que le faux-nez du Surmoi contemporain qui fait entendre que la condition de l’homme moderne se réduit à l’état de consommateur et que l’ordre dur qu’elle fait régner n’est que protection raisonnée du dit consommateur. Qu’il existe des protocoles à respecter et des procédures qui s’appliquent n’est pas en soi un problème. La question est de savoir s’il y a, ou non, un lieu d’énonciation repérable et des actes incarnés de parole et d’écrits – « que toujours en quelque point à situation variable y prévale un rapport fondé à la liberté ».1

J’aimerai une Europe qui me permet de saisir, en tant que citoyen, ce qu’est « un rapport fondé à la liberté », condition nécessaire à inventer pour élargir notre monde commun partagé. Cela ne peut se réduire à l’euro et au marché libre, ni aux échanges Erasmus ! Cette Europe prend consistance quand elle consent précisément à ne pas ignorer de quoi elle est faite : de guerres, d’affrontements sanglants et sans merci, de rejets réguliers de l’étranger, qui ont culminé à des moments historiques particuliers, et qui sont donc analysables, c’est-à-dire soumis à diverses analyses, diverses hypothèses, qui se confrontent, voire s’affrontent. 

Cela suffit d’entendre : « Plus jamais la guerre !», ou « Sachons accueillir la différence ! ». Il nous faut apprendre à dire qu’il y la guerre, et de savoir que ceux que nous accueillons, si nous les accueillons, viennent de pays en guerre, où la haine de l’autre en tant qu’autre est au principe du traitement du lien social par la violence. Et nous avons les moyens de le savoir puisque, comme européens, nous en sommes issus. Ce savoir s’est, sans aucun doute, déposé dans ma langue.

La montée des mouvements d’extrême-droite dans les pays européen n’est pas un symptôme dans la culture parmi d’autres. Elle est le signe de l’actualisation des fascismes oubliés ou déniés, des renoncements à la résistance, des aveuglements collectifs, qui ont déchirés le tissu social des pays de l’Europe au siècle dernier. Actualisation qui trouve son canal politique grâce aux dits « réseaux sociaux », dont nous pouvons saisir alors la face obscure, « anti-sociale ». Ils servent à potentialiser la violence de la haine, cette haine sur et contre laquelle la civilisation se construit chaque jour en la traitant par les lois de la parole. C’est-à-dire par du savoir vivant et incarné. 

Je ne peux m’extraire de mon « ne pas vouloir savoir » cette haine que dans ma langue et en référence à mon pays, à laquelle et auquel j’appartiens : l’union des langues et des pays, sous le signe de la réconciliation, et donc de l’amour, ne fait pas le poids face à cette loi qui s’impose aux êtres parlants. Mais coopérer est possible, co-opérer, œuvrer ensemble, à plusieurs, à contrer le réel de l’ignorance, qui nous menace.

1 Lacan J. « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 362.

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