EFP – Vers le Forum européen de Rome – Marina Frangiadaki

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La haine de l’étranger


Marina Frangiadaki


 

« Je t’aimerai jusqu’à la mort,
ne m’oublie pas. »

 

Un petit morceau de papier froissé,
mouillé, avec ce message écrit en arabe, a été retrouvé sur une plage de
Lesbos, île grecque située près de la frontière avec la Turquie. Son
destinataire, a-t-il survécu ? Ou pas ? Plusieurs plaques sans nom se
trouvent sur des tombes de réfugiés noyés dans 
un cimetière improvisé à Lesbos.

Le Dr Lacan nous a appris que la lettre, arrive toujours à destination. Essayons
de rester à la hauteur du destinataire de cette lettre.

Ce que nous avons pris l’habitude
d’appeler « la vague des réfugiés » est arrivée de façon soudaine,
violente, surprenante. Ils arrivaient par la Turquie dans les îles de la mer
Egée, dans de petites embarcations, parfois par centaines, hommes, femmes,
enfants, au risque de leur vie. Pour la plupart, ils ne savaient pas nager, ils
n’avaient jamais vu la mer. Longtemps après encore, ils témoignent de ce
passage comme un des traumatismes majeurs de leur périple.

Durant l’année 2015 seulement,
environ 850.000 réfugiés, selon Le Haut Commissariat des Nations unies
pour les réfugiés, sont entrés en Grèce, un pays qui ne compte que dix millions
d’habitants. Environ 40% sont des mineurs. 1691 sont morts noyés depuis 2014.

Nous pouvons dire que l’accueil des
Grecs a été relativement positif, ce qui peut paraître étonnant vu la montée du
racisme et l’existence d’un
parti néo-nazi
grec, l’Aube
Dorée qui garde un pourcentage constant de
8% aux sondages.

La grande vague de réfugiés est
arrivée à un moment où se déroulait un procès interminable contre l’Aube Dorée
accusée d’être une organisation criminelle ayant commis des délits pénaux et
des assassinats. Parmi les accusés se trouve le chef du parti et de nombreux députés
qui choisissent de faire  profil bas, de
rester discrets, jusqu’à la fin du procès. Dès lors, les actes violents et
racistes sont des cas isolés.

En outre, les bénévoles des îles qui
ont accueillis les refugiés dans l’urgence, étaient pour la plupart des
habitants qui ont eu à faire face depuis l’intensification de la guerre en
Syrie à un « ne cesse pas », à la limite de l’impossible. Il s’agit
pour la plupart des descendants de réfugiés eux-mêmes arrivés dans les années
’20  de l’Asie Mineure suite à une guerre
tragique entre la Grèce et la Turquie, et à la persécution de la population
chrétienne grécophone qui ont été souvent mal accueillis à l’époque.

Par ailleurs, dans la conjoncture
actuelle de la crise économique
dramatique,
les Grecs
affectés au registre de l’avoir, se sont
retrouvés face à des réfugiés qui avaient tout perdu de façon tragique. Les
réfugiés syriens notamment permettent, par leur mode de vie précédent, une
identification imaginaire. Pour certains, cette crise économique a ouvert la
possibilité  de traiter autrement le
réel, d’inventer, de bricoler des solutions ; pour certains cela a pris la
forme de la solidarité envers l’autre, le semblable, le rejeté, l’exclu.
J’avance alors  en guise d’hypothèse que
les grecs et notamment les habitants des îles n’accueillent pas tant l’étranger
mais le semblable familier qui se trouve dans une situation plus dramatique qu’eux.

Concernant ce réel en question, il
faudra élaborer la place du réfugié en tant que petit autre mais aussi un Autre
différent, un étranger, à qui on peut réserver de l’accueil ou de la haine.

L’agressivité du stade du miroir est
basée sur une
méconnaissance de soi. Le
sujet projette dans l’autre une haine qui le concerne dans son être. Au-delà de
la problématique narcissique, il faut que cet autre, à qui on adresse la haine,
vienne incarner le mauvais objet, le rebut, le kakon dans une relation
d’extimité.   

Le commentaire par
Éric Laurent de la référence lacanienne sur le racisme, qu’on trouve dans LQ n°
371, nous éclaire : « Nous ne savons
pas ce
qu’est la jouissance dont nous pourrions nous orienter. Nous ne savons que
rejeter la jouissance de l’autre. Par le fait de se mêler, Lacan dénonce le
double mouvement du colonialisme et de la volonté de normaliser la jouissance
de celui qui est déplacé, immigré, au nom de son soi-disant “bien”… »

Et il souligne : « Ce
n’est pas le choc des civilisations, mais le choc des jouissances… »

La haine vise la jouissance de
l’Autre, la façon différente dont l’Autre jouit. Le raciste hait celui pour qui
il suppose une jouissance non seulement différente de la sienne mais qui menace
son propre mode de jouissance. A titre d’exemple, les préjugés qui circulent
dans le discours raciste en Grèce disent, entre autre, que les étrangers, vont
venir nous islamiser, voler notre travail et violer nos femmes ! 

Comme Jacques-Alain Miller le
remarque dans son séminaire Extimité : «  Dans la haine de l’Autre,
il est certain qu'il y a quelque chose de plus que l'agressivité. Il y a une
constante de cette agressivité qui mérite le nom de haine, et qui vise le réel
dans l'Autre… C'est même
là, la forme la plus générale qu'on peut donner à ce racisme moderne tel que nous le
vérifions. C'est la haine de la façon particulière dont l'Autre jouit. »

 La psychanalyse nous apprend à ne pas être
dupes face aux bonnes intentions envers le prochain que l’idéal peut cacher.
Freud était « littéralement horrifié devant l’amour du prochain »,
nous rappelle J. Lacan (Séminaire L’éthique
de la psychanalyse
, p. 218).

Je vous rapporte une vignette
clinique tirée de la pratique de supervision d’une équipe dans un foyer
d’accueil d’adolescents réfugiés mineurs isolés. Durant une réunion, un
éducateur, dévoué et consciencieux par ailleurs dans son travail, se plaint de
l’attitude d’un jeune réfugié de quinze ans qui exprime son refus de faire les
démarches administratives nécessaires alors qu’il a le droit de partir pour l’Allemagne.
Il le présente comme un paresseux qui ne fait que dormir etc. Je le questionne
sur ce qui est insupportable pour lui-même dans cette situation. Il
s’exclame : « Eux, ils ont toutes les facilités pour aller
s’installer en Europe ; à moi, on ne m’a jamais donné cette
occasion ! » 
Se
sentant lui-même, comme beaucoup de ses
concitoyens grecs, accablé par la politique 
d’austérité et rejeté par la politique européenne envers la Grèce, il
voyait dans le jeune réfugié le petit autre
traité
mieux que lui, qui a accès à une meilleure place pour l’Autre et à une
jouissance à laquelle lui-même il n’a pas accès.

Dans
son texte préparatoire pour ce forum, Philippe La Sagna note ceci : « Le
rejet de l’exilé n’est-il pas aussi, pour une part le rejet de sa propre part
d’exil ? On rejette leurs rêves d’ailleurs pour ne rien vouloir savoir des
nôtres et de nos cauchemars aussi bien. Pour ne rien savoir du réel qui fait de
nous des êtres déplacés. » 

Je terminerai par
une référence du Séminaire VII
(p.151)  sur l’éthique analytique qui
exige de chacun de nous d’explorer l’espace obscur « au cœur même de
l’être, là où se situe la qualité la plus intense de l’amour et de la
haine ».




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