Entretien avec le Prof. Dr I. Devisch, Membre du Conseil Supérieur de la Santé


 

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Pratiques basées sur preuves (evidence based practices

et le rejet de la subjectivité

 

Entretien entre le Professeur Dr I. Devisch 

(membre du Conseil Supérieur de la Santé)

et Nathalie Laceur

 

Extraits[1]

 

Ignaas Devisch est professeur d’éthique, de philosophie et de philosophie médicale à l’Université de Gand et à l’École supérieure « Artevelde ». En vue de la parution de son livre « Ziek van gezondheid. Voor elk probleem een pil ? » (« Malade de la santé. Une pilule pour chaque problème ? »), en 2013, il a récolté une série d’avis critiques, issus des domaines de la médecine, la psychologie et la sociologie, qui soulignaient la médicalisation de notre société. Depuis mars 2014, il fait partie du Conseil Supérieur de la Santé.

 

«  Concernant les problèmes psychiques, 

qui sont toujours complexes, 

le modèle evidence based est bancal » 

 

Modèle evidence based et le rejet de la subjectivité

NL : Il existe diverses manières d’examiner l’efficacité d’une pratique. Le Conseil Supérieur de la Santé donne la préférence aux statistiques de la méthodologie evidence based et recommande donc les pratiques evidence based. Celles-ci sont, je cite : « des pratiques validées par la recherche ou des pratiques basées sur les résultats ou les preuves se référant à la littérature scientifique ». [2]

ID : Concernant la notion evidence based, j’ai souligné il y a quelques années que l’on suppose que le E de Evidence peut être automatiquement transféré à un patient unique[3]. Sans doute peut-on tirer des conclusions générales, mais il reste qu’il y a un patient, et que celui-ci est unique, singulier, qu’il représente toute une richesse que les chiffres, seuls, ne peuvent pas traduire. Le singulier ne peut pas se caser dans une série statistique, et pour moi, c’est là que se situe l’erreur majeure dans le raisonnement. Dès que l’on fait de la recherche evidence based concernant les problèmes psychiques, qui sont toujours complexes, le modèle evidence based est bancal. L’application du modèle EB aux problèmes psychiques mène, à mon sens, à l’appauvrissement de l’aide, puisque toute la pointe du problème individuel manque. Expertise based pourrait être un complément bienvenu à l’evidence based. Les deux ne doivent pas s’exclure ; ils peuvent être complémentaires.  

NL : En fait, voulez-vous dire que le modèle evidence based est impossible à appliquer pour définir ce que sont les « bonnes pratiques » ?

ID : Non, ce n’est pas ce que je dis. Je dis qu’il faut considérer la diversité des soins et je dis que, sauf évidence, il y a encore beaucoup d’autres choses qui rendent possible une intervention psychosociale justifiée : établir la confiance, parler, développer l’expertise clinique. Ce serait tout de même absurde de ne pas tenir compte de tout cela. Cela ne me fait pas problème que l’on fasse de la recherche dans sa généralité en termes de : y a-t-il quelque chose à dire en général à propos d’un certain trouble ? Mais cela ne dit encore rien à propos de toutes ces personnes particulières que l’on classe dans la catégorie de ce trouble. Il faut partir du patient. Tant que l’on ne prend pas en considération la composante du vécu, la subjectivité de la personne, on ne pourra jamais faire plus que combattre quelque chose au niveau du symptôme. On peut parfaitement combattre un symptôme pendant longtemps, mais cela ne résout rien. Pouvons-nous, au vingt et unième siècle, voir enfin que cette subjectivité est un élément constitutif de la science et non un obstacle, car c’est de cela qu’il s’agit : la subjectivité est constitutive d’une bonne science. Dès que l’on travaille avec des personnes, on a affaire à de la subjectivité. Point.

NL : Pourtant, dans le Rapport du Conseil Supérieur de la Santé la « scientificité » et le modèle evidence based vont toujours de pair. La conséquence en est que la psychanalyse, qui, en effet, ne manie pas la méthodologie evidence based pour évaluer sa pratique mais opte sans détour pour la méthode clinique, et plus précisément pour la singularité de l’étude de cas, est écartée comme « non consensuelle ».

ID : Oui, c’est une chose que jamais je ne soutiendrais, parce que la science est davantage que le modèle evidence based, et parce que la science vit aussi de dissensus – et certainement dans le domaine médical. Dès que l’on travaille avec des êtres humains, il y a un facteur d’incertitude ou de non définissable et, qu’on le veuille ou non, nous avons à nous en accommoder. Exclure une pratique qui prend le vécu subjectif comme point de départ pour toute forme d’intervention psychosociale… je ne sais pas ce que l’on veut obtenir avec cela. Cette pratique doit évidemment aussi pouvoir se légitimer, elle doit pouvoir montrer une efficacité clinique et doit s’inscrire dans le champ de la discussion scientifique. Ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra se distinguer de toutes sortes de circuits alternatifs qui veulent toujours se dérober à cet examen sous prétexte que quelque chose marche parce qu’on y croit. Si la psychanalyse se prend elle-même au sérieux, elle doit fortement s’en distancier. De plus, je le répète, nous devons toujours supposer que le terrain psychosocial présente un « objet de recherche » tellement complexe qu’il n’atteindra jamais d’emblée un consensus, sauf s’il amène artificiellement quelques facteurs dans un laboratoire, mais en quoi cela nous avancerait-il ? Il n’est pas difficile de trancher dans un débat concernant la gravité terrestre, mais par contre, lorsqu’on développe la science, l’expertise concernant ce que vit un être humain, il faut prendre cet être humain comme point de départ. Quelle folie de penser que l’on pourrait y échapper !

 

Traduction Monique de Buck



[1] L’entretien dans son intégralité est à lire dans INWiT 12, novembre 2014 (NL).

[3] (2009) Devisch Ignaas and Murray Stuart, We hold these truths to be self-evident: Deconstructing ‘evidence-based’ medical practice (Journal of Evaluation in Clinical Practice, 15: 950-964)

 
 
 
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