FORUM EUROPÉEN – ZADIG EN BELGIQUE – TEXTE DE HEIKE LUTZ – 1er DÉCEMBRE

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En Allemagne, l’Underground*, c’est la famille

Heike Lutz**

En Allemagne, en Allemagne de l’Ouest, quelque chose a existé qu’on a appelé : Geschichtsaufarbeitung. Un mot intraduisible, « le travail sur l’histoire », la mise à jour, l’assimilation de l’histoire de l’Allemagne nazie.

Cela existait depuis les années ’70, donc après le procès d’Auschwitz et après les révoltes des années ’68. On a commencé à s’occuper publiquement de ce qui s’est passé au temps du national-socialisme, qui est devenu un sujet d’enseignement dans les écoles. On pouvait regarder le film Holocaust à la télévision et en parler. On parlait de la culpabilité allemande et de notre responsabilité, même si on était né après 1945. L’antisémitisme était devenu inadmissible, c’était presque tabou. J’ose dire que tout cela était un consensus dans la vie publique et politique, pour qui se voulait libéral, bourgeois et éclairé, comme l’était la majorité au pouvoir. C’était le discours qui était tenu lors des occasions officielles et politiques. C’était considéré comme politiquement correct. Nous ne parlons pas, ici bien sûr, des exceptions.

Mais ! Mais ce dont les gens parlaient, quand ils croyaient qu’ils étaient entre eux, c’est une tout autre histoire. C’est que, dans les familles, on ne parlait surtout pas. Il n’y a pas eu ce Geschichtsaufarbeitung dans les familles, dans la vie privée.

Mon père, né en 1932, était un membre des sociaux-démocrates et, bien sûr, antifasciste. C’est ce qui dominait dans le discours familial. Le père de ma mère est mort en 1944 comme soldat en Yougoslavie. Ma mère, née en 1936, en parlait rarement et quand elle commençait, elle pleurait immédiatement. Elle racontait alors une histoire déchirante : son père avait refusé d’accomplir un acte d’inhumanité qu’on exigeait de lui et avait ainsi été forcé de devenir un soldat. Quand j’étais un enfant, cette histoire me paraissait étrange. Adulte, j’ai fait des recherches dans les archives. C’est très facile à faire. Il était membre du parti national-socialiste. Il y a occupé des postes et y a eu des fonctions dans la ville où il vivait. On ne trouve aucune preuve qu’il a résisté. L’histoire que ma mère a racontée, et à laquelle elle a cru, est une invention, un mensonge. Mais un mensonge comme il en existe des millions en Allemagne, qui tournent autour du réel de la culpabilité.

Mes parents étaient de bons démocrates, des citoyens engagés dans la vie publique. Mais leur intérêt pour l’histoire s’arrêtait devant ce que l’histoire familiale avait de plus privé. Et cette histoire est la plus forte dans le sous-sol, dans la clandestinité, dans l’Underground.

Aujourd’hui, mon père est mort et ma mère est très âgée. Ces jours-ci, elle commence à parler de temps en temps le jargon nazi, qu’on parlait autour d’elle quand elle était enfant.

Depuis 1989, quelque chose s’est mis à changer. Je pense qu’on peut qualifier l’année 1989 comme celle de la chute du mur entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est. L’Allemagne est devenue plus grande et plus puissante. Aujourd’hui, quand on parle de responsabilité dans les discours officiels et politiques, il s’agit que l’Allemagne reprenne une responsabilité dans le monde parce que c’est un pays puissant. Ou de façon un peu plus rudimentaire : Nous sommes de nouveau quelqu’un dans le monde. Nous ne devons plus avoir honte d’être allemands. Il faut arrêter de parler tout le temps de l’histoire nazie. Et ce qui avait poussé dans l’Underground, revient à la surface. Les tabous tombent. Aujourd’hui, on entend en public, dans la vie officielle et politique, des choses qui n’auraient pu être dites il y a 20 ans, ou du moins qui auraient déclenché une grande discussion. Ce n’est que lors d’événements commémoratifs, que l’on entend parler de la responsabilité qui découle de l’histoire national-socialiste.  

Le Geschichtsaufarbeitung en Allemagne, a peut-être un peu ralenti les changements politiques, mais pas plus. Et on ne sait pas où cela nous mènera.


*Le mot Underground est ici utilisé dans le sens de ce qui se passe dans les souterrains à l’abri des regards.

**Heike Lutz est psychanalyste à Stuttgart, membre du New Lacanian Field Austria.


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