Le
paradigme qui tue
Jean-Noël
Donnart
Les discours qui tuent, la haine, l’extrémisme
et la ségrégation se déploient partout en Europe et au-delà. Ils se tiennent au
nom de problèmes économiques, sociaux, politiques (emplois, distribution
des aides, sécurité, gestion des flux migratoires, accueil…), et proposent des solutions,
toujours sur un même modèle, et un même départage visant « à opposer Nous
à Eux » (1). Comme l’indique Jean-Claude Milner (2), « le problème
appelle une solution. Il ne s’inscrit pas dans l’ordre de la langue,
mais dans l’ordre de l’objectivité (conceptuelle, matérielle, gestionnaire
etc.) » (3). Cette objectivité fait appel à l’idéal technoscientifique (zéro
défaut, réponse et gestion optimisée etc.) ou plus modestement à l’apparente
simplicité de l’évidence (il n’y a pas de travail pour tout le monde, on n’est
pas de la même culture…etc.). À la différence du couple problème/solution,
le couple question/réponse est, lui, de « l’ordre de la langue »
(Milner toujours) et offre de ce point de vue la possibilité ou la chance d’une
respiration – et d’une politique.
Il est frappant de noter que le couple problème/solution
soit aussi au fondement de la notion moderne d’administration (4).
L’application de la loi, des règlements, des protocoles, trouvent là
justifications, légitimité et efficace, jusqu’aux pires. Ce couple se veut,
dans son opération d’allure scientifique, sans profondeur ni mémoire (5) et
sape ainsi l’autorité issue de l’expérience, de l’histoire, de la parole.
L’administration moderne, technoscientifique,
vise à appliquer déjà à tous les étages ce rationalisme qui consiste à fournir
aux individus (usagers/professionnels) des services publics des solutions, qui
tiennent davantage de la gestion des flux que de l’accueil. Le soin psychique,
l’asile, en font toujours davantage les frais aujourd’hui. Le glissement de la question
posée au problème, et de la réponse donnée à la solution
ne va pas sans l’effacement de ce qui, dans la langue, se fait l’écho du corps
vivant du parlêtre. Ce sont ces corps qui, d’être forclos d’une
politique digne de ce nom, font retour dans le réel des rives de la
Méditerranée et d’ailleurs. Certains discours tuent objectivement et sont à
combattre. D’autres, pas moins à combattre, sont susceptibles de ramener tout
sujet au statut de déchet de l’opération problème/solution. Dans Le
monde d’hier (6), à plusieurs reprises, Stefan Zweig évoque son refus de
faire de la politique. Loin d’être indigne, ce choix n’est-il ce qui a, aussi,
contribué à sa solution suicide en 1942 ? Soit, ce qui du refus de la politique
conduit à l’impasse et à la réalisation du discours qui tue ?
(1) Jacques-Alain Miller, « La théorie de Turin », Site de
l’École de la Cause freudienne : http://www.causefreudienne.net/theoriedeturin/
(2) Jean-Claude Milner, Les penchants criminels de l’Europe
démocratique, Verdier, 2003.
(3) Id. page 9
(4) Id. p.14
(5) Hannah Arendt, « Qu’est-ce que l’autorité ? », La crise
de la culture, Gallimard, 1972, p.125.
(6) Stefan Zweig, Le monde d’hier, Belfond, 1993, par
exemple page 499 : « On était là, être lucide, pensant, éloigné de toute
activité politique, dévoué à son travail, et l’on mettait son effort opiniâtre
à transformer, dans le silence, ses années en œuvres. »
Adresse: Université de St. Louis, Salle OM 10
6, rue de l'Ommegang, 1000 Bruxelles
Traductions simultanées en français, anglais et néerlandais
Horaire: 9h -19h
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