FORUM EUROPÉEN – ZADIG EN BELGIQUE – Texte de Juliette Lauwers – 1er DÉCEMBRE

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Horaire: 9h -19h


…et
je n’ai plus ouvert la bouche

Juliette
Lauwers

Aujourd’hui, en Europe, la question politique face aux
phénomènes humains est éliminée au profit d’un discours de nécessité. Les
décideurs se pensent gestionnaires.  La logique du chiffre enterre la question
politique. Ce discours froid crée un climat d’exclusion et d’inquiétude
généralisées dans un monde silencieux face à la montée des ségrégations.

Éliminant la question du débat et du choix, cette
« politique » se présente comme courageuse lorsqu’elle se prête à
sacrifier ses idéaux humanitaires pour le bien commun. Le sacrifice de la vertu
devient acte de courage. « La manière dont les clichés se sont introduits
dans notre langage et dans nos débats quotidiens indique bien à quel point nous
nous sommes non seulement privés de notre faculté de parler, mais aussi
disposés à employer des moyens violents. » (1)

Or, dans son déploiement du concept de banalité du mal,
Hannah Arendt nous a appris que quiconque renonce à sa responsabilité, par
exemple en se pliant à la législation, sombre dans le mal qui n’a alors plus
rien d’exceptionnel. Ça n’empêche pas ce mal d’être radical.

Après son unique visite dans un camp d’extermination,
Eichmann décrit un spectacle qui lui fut insupportable. Il poursuit son récit :
« Alors, je suis parti. J’ai sauté dans ma voiture et je n’ai plus ouvert la
bouche. (…) Ce jour là, j’en avais eu assez. J’étais achevé. » (2) Quid de ce
corps qui bondit et cette parole qui se suspend ? Quid de cet homme qui vit
cette expérience radicale et retourne dans son bureau veiller au bon
déroulement de la suite des opérations ? Que signifie « Ce jour là, j’en ai eu
assez. J’étais achevé. » ? Il n’a pas enroué ni démonté son appareil de mort,
pas plus qu’il ne s’est tiré une balle dans la tête. Au contraire, il s’est
remis à la tâche avec le même zèle. Il ne regrettera que ne n’avoir pas été
reconnu pour l’accomplissement de son devoir à caractère si pénible, sans
défaillir.

Fonctionnaire, homme ordinaire, Eichmann était ambitieux.
D’ailleurs, en fait de fonctionnaire, il n’était pas rien dans la hiérarchie du
Troisième Reich. Il était « responsable » de la solution finale, de
l’identification des victimes de l’épuration raciale, de leur déportation et de
leur extermination. Dans le cadre de son interrogatoire à Jérusalem, « il
expliquera des mois durant à l’officier de police qui l’interroge (un juif
allemand !) la cruelle injustice qu’il a subie en ne dépassant jamais le grade
de lieutenant-colonel, avec la certitude d’éveiller une légitimité sympathique
et sans jamais un mot de regret pour l’homme qui, en face de lui, a vu
disparaître les siens dans les camps. » (3) Ayant obéi aux ordres avec une
servitude pleine de dévouement, il ne peut comprendre le manque de
reconnaissance dont il fait l’objet et qui pourtant le motivait.

Avançant comme sujet sans énonciation, Eichmann jouissait
d’une position d’employé modèle. Arendt note encore: « plus on l’écoutait, plus
on se rendait compte que son incapacité à s’exprimer était étroitement liée à
son incapacité à penser… » (4). Mais la responsabilité d’un parlêtre ne relève
pas que de la pensée. D’ailleurs, là où le sujet pense, il n’est pas. Il est
dans son acte. Ceci nous permet de nous orienter.

Jacques-Alain Miller nous a invités à faire un effort
supplémentaire et à aborder ce qu’il en est de la banalité de la jouissance,
qui constitue sans aucun doute un autre scandale, à l’instar de la banalité du
mal avancée par Hannah Arendt. L’effacement du sujet de l’énonciation ne
signifie pas la disparition de sa singularité, puisque reste sa jouissance.
Eichmann ayant choisi l’obéissance s’est tu. Il a continué à se faire objet du
maître jouissant de la place qu’il occupe ainsi dans son sillage. Ceci le
condamnera logiquement à la mort à l’issue de son procès.

Adopter le discours ambiant, s’effacer comme sujet
responsable, reculer à dire quitte à se tromper signifie faire un choix contre
le désir. De ce point de vue, les parlêtres sont tous des exclus, des
sans-papiers, parce qu’aucun papier ne résout la question du manque et du
désir. La responsabilité politique est aussi celle d’assumer un langage qui ne
prétend pas dire toute la chose. Ce que la logique gestionnaire du chiffre ne
peut précisément admettre.

Auparavant, l’idéologie nationaliste haineuse produisait des
discours lisses de fonctionnaires, déresponsabilisés des ordres qu’ils
exécutaient; aujourd’hui, ces discours lisses autorisent la montée de nouveaux
discours de haine, tout en s’en dédouanant. Le lien de cause à effet s’est
inversé. La frilosité européenne à bâtir un projet véritablement politique ne
pouvait manquer de laisser ouvert le terrain à la haine. « L’inconscient, c’est
la politique » est cet invariable repérée par Lacan en 1967.  Hitler a
produit des Eichmann. Francken (5), qui déclare « Le racisme, c’est pour les
idiots », incarnant un discours de pure gestion, sans mauvaises intentions, et
se dédouanant de la haine du discours de certains membres de Schild en
Vrienden, n’a-t-il aucune responsabilité dans leurs dérives ?

Amor Mundi était plus qu’un slogan pour Hannah Arendt. Avec
Lacan, nous ne pouvons plus ignorer que seul l’amour permet de condescendre au
désir. A l’inverse, la jouissance – du propriétaire de sa terre, de ses biens
et du destin de l’autre – ouvre à la haine et à la mort.

(1)
Arendt, La nature du totalitarisme, 1954, Payot, 1990, p. 40.

(2)
Arendt, Eichmann à Jerusalem, 1963, Calmann-Lévy, 1972, p. 103.

(3)
Catherine Vallée, Hannah Arendt. Socrate et la question du
totalitarisme
, Ellipses, 1999, p. 111.

(4)
Arendt, Eichmann à Jerusalem, op. cit., p. 61.

(5)
Theo J.E. Francken est membre du parti nationaliste flamand N-VA, secrétaire
d’État à l’Asile et aux Migrations dans le gouvernement de Charles Michel
(Mouvement Réformateur).


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