Compte-rendu du séminaire nouages à Bruges
Les 22 et 23 février 2014
Par Thomas Van Rumst
Nouages à Bruges, Despina Andropoulou représentait le
Comité Exécutif de la NLS. Avant même de donner sa conférence très
précise, elle rappelait l’attention pour les cartels
électroniques. Ceux-ci occasionnent une possibilité de collaborer
d’une façon simple et rapide avec les collègues d’autres groupes
autour du thème de la NLS. Les cas travaillés dans ces cartels
forment souvent la base d’une intervention au Congrès de la NLS.
“ Fiction et structure du désir chez Hamlet”
Le caractère fictionnel de ce qui est dit et sa fonction
Despina Andropoulou fait d’abord retour sur le Séminaire La
relation d’objet où Lacan dit que la vérité a une structure de
fiction. Cela signifie que chaque expression de la vérité implique
une nécessité structurale de la même nature que celle de la
fiction. Aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte, les mythes
ont affaire avec l’apparition de ce qui n’existe pas encore, avec
ce qui fait trou dans l’existence d’une part, et avec l’être sexué
d’un sujet d’autre part.
Ceci dit, aucun mythe ne résoud le problème de ce que signifie un
père. Lacan articulera dans L’envers de la psychanalyse les
grandes questions freudiennes au réel.
Il reste quelque chose qui ne peut être dit et qui, par
conséquent, ne peut être dit que de façon mythique.
La vérité mythique s’approche de ce que l’on appelle une fiction.
Despina se réfère à J.-A. Miller qui dit que “la fiction dans une
analyse est un faire qui s’appuie sur un dire’ (1). Pourtant, dans
“Fonction et champ de la parole et du langage”, Lacan propose de
réordonner les contingences passées en leur donnant un sens de
nécessités futures. Cette réordonnance constitue selon Miller une
continuité, un sens, une intention, un vouloir dire. En
psychanalyse, on appelle aussi cette conversion du hasard en
nécessité, rationalisation.
Lacan dessine le complexe d’Œdipe dans le sens d’une
rationalisation, comme un mythe. Il la différencie de celle du
complexe de castration qui constitue le noyau structurel du sujet.
Le choix d’Hamlet
Hamlet est une tragédie du désir dans son rapport au désir de
l’Autre. C’est sa rencontre avec la mort. Cette pièce n’est pas
sans effet sur le spectateur puisqu’elle questionne le rapport à
son propre désir. Il y a d’un côté une structure équivalente à
l’Œdipe, de l’autre un lieu vide peut loger son propre non-savoir.
Hamlet est la mise en présence de l’inconscient au sens où Hamlet
est le discours de l’Autre, où le héros se présente comme
quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il veut et qui a perdu le chemin
de son désir et ce cadre est mis en scène pour le retrouver.
Une structure équivalente à l’Œdipe ne veut pas dire que ce soit
une tragédie œdipienne, une tragédie du destin, mais bien plutôt
une œuvre sur le problème du désir. L’homme doit retrouver, situer
son désir dans une action qui ne peut s’accomplir que pour autant
qu’il soit mortel. Et c’est précisément en suivant les méandres de
cette action que l’on participe au drame du héros. Lacan affine la
différence d’avec l’Œdipe par l’absence de la castration. Dans la
pièce, celle-ci s’accomplit par un processus lent.
Pour comprendre l’acte, on ne doit pas chercher ce qui ne va pas
dans son désir du côté du père, mais dans son rapport à l’objet.
Ce rapport qui est le support du désir, c’est le fantasme.
Une différence que Lacan mentionne à plusieures reprises est que
le père d’Œdipe est tué par son fils ignorant, poussé par le
destin. Hamlet sait que son père a été tué et par qui et comment.
Le drame de Hamlet est qu’il connaît le crime d’exister et qu’il
se pose la question du ‘to be or not to be’. La trahison de
l’amour ne trouve pas de réponse : il y a un manque dans l’Autre,
autrement dit la barre.
C’est avec cela que commencent les péripéties de Hamlet. Despina
pose que pour accomplir sa mission, de tuer son oncle et assassin
de son père, Hamlet doit changer de position sexuée afin qu’il
puisse agir comme sujet. Ce changement de position implique la
perte d’un objet.
Le désir de Hamlet et ce qui rate
Pourquoi Hamlet hésite pour tuer son oncle Claudius? Lacan en
donne deux raisons : Hamlet reste coincé dans le désir de sa mère;
puis, il est toujours dépendant du temps de l’autre.
L’axe du drame de Hamlet est le désir de la mère en tant que
non-réglé par le phallus. Hamlet n’arrive pas à résister au désir
de sa mère, ni à suivre son désir et d’agir en fonction de
celui-ci.
Hamlet fait dépendre son acte du temps des autres. Son heure de
vérité, dit Lacan, est l’heure de l’enterrement d’Ophélie. Elle
était d’abord l’objet sublime sur lequel il s’appuyait pour
ensuite devenir porteuse d’enfants et donc porteuse de péché, tout
comme la mère de Hamlet. Lacan explique ceci comme la destruction
de l’objet qui se fait réintégrer dans le cadre narcissique du
sujet. Autrement dit, il s’agit ici de i(a) au lieu de l’objet a
dans le fantasme. La voracité instinctuelle de la mère fait d’elle
un sujet de jouissance provenant de la satisfaction directe d’un
besoin et fait de Hamlet un objet négligé du désir, comme le dira
Lacan dans son Séminaire sur l’angoisse.
L’heure des autres et l’ajournement de l’action
La perte d’Ophélie est nécessaire pour que Hamlet s’active. En
devenant un objet impossible, elle redevient l’objet passionnel de
Hamlet qui lui permet de resaisir son désir. “C’est moi, Hamlet le
Danois” dit-il au bord de son sépulcre; il y est comme sujet
divisé devant son objet. Ainsi peut-il faire le deuil de la mort
de son père.
Il y faut encore un dernier pas : Hamlet s’identifie au signifiant
foil, le phallus mortel. Le meurtre du phallus, signifiant de la
puissance incarné par Claudius, ne devient possible qu’avec le
moment où Hamlet est frappé de mort. L’abandon de son narcissisme
permet l’accomplissement de l’acte.
Dans cette periode de son enseignement, Lacan voit la castration
comme point de visée d’une analyse et le fantasme fondamental
comme son produit. Ainsi ‘l’analyste’ devient un nouveau nom pour
le destin de la pulsion.
La fiction comme vérité mythique devient finalement un moyen du
sujet pour trouver son fantasme. La tragédie de Hamlet, qui est
une tragédie du désir, montre la rencontre avec le manque de
l’Autre et pousse le sujet à agir d’une façon ou d’une autre; le
vouloir savoir du pourquoi et du comment quelque chose ne marche
pas est un choix éthique qui peut constituer le début d’une
analyse.
La discussion a permis d’approfondir la place d’Ophélie comme
phallus imaginaire et comme objet. Despina souligna encore comment
l’objet de Hamlet était intégré dans le i(a) de l’image corporel
et que ceci était la raison pour laquelle il ne pouvait pas passer
à l’acte. Il restait coincé dans le désir de l’Autre, ici la mère.
Une autre remarque dans la discussion concernait le fait que le
père de Hamlet ne présentait aucun péché. Il était un père par
trop idéal. Quelque chose manque dans la transmission; son père a
pris sa femme comme objet d’amour et non pas comme objet du désir.
Il lui manque une certaine perversion. Despina souligne que le
péché du père reste énigmatique.
Cette conférence fut suivi de la présentation de trois cas.