KRING-NLS : Compte rendu de la Journée d’étude internationale “Phénomènes cliniques contemporains, précision et travail sur mesure dans la pratique psychanalytique”


Activités

des Sociétés et Groupes de la NLS

Activities of the
Societies and Groups of the NLS



Compte rendu
de la Journée d’étude internationale

 

Phénomènes cliniques contemporains, précision et travail sur mesure
dans la pratique psychanalytique

 

Vic Everaert

 


​​


​Le 5 septembre 2015, le
Kring voor Psychoanalyse de la NLS organisait pour la première fois une journée
d’étude internationale qui pouvait s’adresser à un public tant néerlandophone
que francophone, grâce au travail minutieux de quelques traducteurs en
simultané. Le programme présentait diverses contributions de membres du Kring,
en plus de celles de quelques collègues venus de France, des Pays-Bas et de
Grande-Bretagne. Une interview d’un professeur de philosophie de la médecine (Ignaas
Devisch) et le récit de Hind Fraihi, l’auteur de ‘In mijn hoofd ga ik onder water’ (Dans ma tête je m’enfonce sous
l’eau) qui témoigne de son fils autiste et de la maternité ont complété le
déroulement de la journée.

 

Véronique Voruz: un témoignage d’analysante

 

Mais commençons par … la
fin! De plus est, d’une analyse. La journée se termina en apothéose, une vraie
surprise qui s’est glissée dans le programme et nous fut annoncée par courriel
quelques semaines auparavant. En effet, Véronique Voruz, psychanalyste venue de
Grande-Bretagne, pressentie pour commenter un cas, mais nommée entretemps
Analyste de l’Ecole (AE), accepta néanmoins
de bonne grâce de témoigner de son expérience d’analysante.

son vécu d’analysante. Elle aussi a donné sa version de ce que recouvrait
notre titre – phénomènes cliniques contemporains – et plus précisément, en plus
de ce qu’on pouvait en comprendre, comment son analyse s’y était engrenée. Etant
donné que Véronique Voruz nous a présenté deux conférences, toutes deux très
instructives, je me suis permis de prêter un peu plus d’attention à sa deuxième
intervention, ce qui, bien à tort, fera un peu d’ombre aux autres orateurs.

 

Au plan des concepts, Voruz
mit l’accent sur deux fondements que la clinique et l’enseignement lacanien
nous ont donnés depuis (environ) deux décennies. Tout d’abord, avança-t-elle,
il est question de changements au cœur de l’ordre symbolique. Le 21e
siècle se caractérise par des discours qui ont reçu une dimension de semblant.
Les discours traditionnels se sont déconstruits et leur vide fut petit à petit comblé
en grande partie par une pensée postmoderne pleine de promesses quant à la
reconnaissance de minorités ou l’élimination des discriminations. Il reste peu
de chose des discours catégoriels. C’est trop peu dire qu’ils se sont mis à vaciller,
ils ne sont plus que purement relatifs, considérés comme représentation ou
« semblant ». Les effets de ces changements désorientent au plan
subjectif, dont par exemple ‘l’embarras
du choix’
qui caractérise l’orientation sexuelle contemporaine au temps de
l’adolescence.

 

La réponse lacanienne
contemporaine à ce désordre symbolique est l’orientation à partir du réel, ce
qui amena Voruz au deuxième fondement de la clinique contemporaine : le symptôme comme événement de corps.
Là où le symptôme se prête à l’interprétation, ce même symptôme n’aurait pas de
caractère permanent s’il ne donnait pas non plus de satisfaction pulsionnelle.
L’accent mis sur ce côté pulsionnel du symptôme n’isole pas celui-ci du
symbolique, mais montre plutôt un nouage ou articulation spécifique entre des traces
de langage laissées sur le corps et qui du même coup le perturbent. Le symptôme
comme événement de corps en témoigne et c’est donc vers cela que notre clinique
s’oriente pour en explorer la modalité singulière.

 

Voruz illustra cette
donnée par une séquence de sa propre analyse. C’est ainsi qu’apparut un
symptôme, plus précisément une inflammation aux yeux, au moment où cessa une
position de protection bien déterminée, que Voruz chérissait et maintenait
depuis longtemps, celle de ne pas être
vue.
Elle abandonna le fait de se cacher comme défense, et voilà qu’un
nouveau symptôme surgit. En effet, quand l’analysante se rendait à l’extérieur
(par le biais d’exposés à faire, de participation à des conférences…) avec
quelque chose qui faisait appel à son désir, ses yeux commençaient à
s’enflammer. Nombre d’interprétations qui révélaient une vérité subjective ne
faisaient que confirmer la surdétermination de ce symptôme… qui se maintenait
fermement. Et auquel l’analysante se résignait, le vivant comme un obstacle,
certes, mais non invivable. Jusqu’au jour où le symptôme s’est manifesté de
façon radicale. L’occasion semble en avoir été la rédaction d’un cas qui
portait un titre particulier : « il n’existe pas de mères
suffisamment bonnes ». Le cas achevé et envoyé, ses yeux se mirent à suppurer
plus gravement que jamais. Sur quoi l’analysante se précipita chez son analyste
et commença la séance avec “c’est mon
histoire d’yeux …”. “Dieu!!! Enfin je l’entends!!!”
fut la réplique de
l’analyste.

 

Le symptôme comme
événement de corps témoigne donc des paroles laissées comme des traces sur le
corps. Le titre particulier donné à son cas nous orientait vers la personne à
laquelle il se référait : une mère qui avait lourdement souffert, qui adhérait
à un catholicisme strict et cultivait une certaine haine envers la féminité de
ses filles qui s’entendaient dire à plusieurs reprises d’avoir le diable au corps. La mère ne craignait pas de soumettre
le désir de sa fille à une forme d’exorcisme, tandis que la fille préférait
jouer le rôle de démon tourmenteur à celui de martyre silencieuse et résignée.
L’interprétation équivoque (d’yeux / dieu) fit disparaître le symptôme
et sembla avoir libéré le corps du désir insensé et empoisonné de la mère
envers la fille. Finalement, comme l’affirma Voruz, quelque chose fut bel et
bien exorcisé.

 

Lilia Mahjoub & les quatre vignettes cliniques d’Aleksandr Fedtchuk,
Véronique Voruz, Thomas Van Rumst et Mariela Vitto

 

Revenons au début de la
journée d’étude. En ouverture, la vice-présidente de la NLS Lilia Mahjoub nous
fit un ample exposé à propos de l’éthique de la psychanalyse et de la clinique
contemporaine. Nous pointons quelques éléments qui y furent mis en lumière.
L’éthique psychanalytique lacanienne tient compte, non seulement du désir, mais
aussi et tout autant de la mort. Elle ne se trouve pas où nous situons ‘la mesure du possible’, mais se rapporte
à l’impossible. Faute de quoi elle se
réduit à la morale du maître, l’injonction, l’assurance, le service, bref une
morale qui nous fait tous dévier du désir. Selon Mahjoub, il n’existe pas
quelque chose comme un sujet contemporain
ou moderne
. Il s’agit de nouveaux phénomènes
qui ne redéfinissent pas le parlêtre, mais qui doivent être déchiffrés au cœur
de la structure que le nœud borroméen nous présente : troubles du langage,
allusions verbales, jeux de mots, styles de vie, inventions telles que nous
pouvons les découvrir dans les psychoses ordinaires, etc. Mahjoub nous a
rappelé que nous avions la tâche de soutenir ces inventions par une
conversation à propos des événements de corps que le sujet psychotique a
éprouvés avec forte conviction, sans jamais les réduire à des comportements.

 

Le matin et l’après-midi
se sont déroulées deux séquences cliniques, présentant chacune deux cas
cliniques abondamment commentés. Aleksandr Fedchuk et Véronique Voruz ont pris
la parole le matin, et leurs cas avaient ceci de remarquable que tous deux rendaient
compte du rôle qu’avait joué le contrôle dans la conduite de la cure, et plus
précisément par l’hypothèse qui s’y était élaborée.

 

Aleksandr Fedchuk a
parlé d’une hypothèse de diagnostic qu’il avait remise en question par le biais
d’un contrôle, passant de la division entre désir et inconscient qu’il avait
pensé déceler dans le récit d’une analysante, à une hypothèse que la
problématique n’était pas tant caractérisée par une surdétermination du signifiant
que par une identification à l’objet de la mère. Passant donc de la névrose à
la psychose. Ce qui avait fait basculer l’hypothèse, et donc le travail,
semblait avoir affaire aux éléments que l’analyste ne parvenait pas à
introduire dans la première hypothèse, ce qui la faisait vaciller et requérait dès
lors une autre version.

 

L’après-midi a été
consacré aux vignettes de Thomas Van Rumst et Mariela Vitto. Thomas Van Rumst
constate que c’est la psychanalyse qui a changé et est devenue contemporaine et
que, de plus, elle permet à chacun qui se présente d’entrer en analyse…
toutefois pas de n’importe quelle façon. Le cas qu’il nous a présenté montrait
de manière frappante combien la parole
peut être précaire. Dans le cas esquissé par Mariela Vitto, travailler offrait une issue minimale à
une jeune femme qui semblait enfermée dans une aliénation mortifère. Ce travail
répondait d’évidence à quelques conditions qui donnaient des points d’appui à certains
points singuliers et difficiles. Le lien à l’Autre témoignait d’une rupture
fondamentale, d’un rejet. Comme il s’agissait de quelqu’un qui ne se sentait pas
porté par une vérité inconsciente, une représentation du sujet fut élaborée pas
à pas. Une représentation certes fragile, mais suffisamment efficace pour
poursuivre le travail au sein même de
la thérapie, à distance prudente de quelques autres par lesquels la patiente se
sentait immédiatement absorbée et déboussolée.

 

Hind Fraihi & Ignaas Devisch

 

Les séquences cliniques
et la conférence furent complétées par deux entretiens avec des non-analystes.
Hind Fraihi est journaliste d’enquête, mais était invitée au titre de mère d’un
fils autiste. Elle a écrit un livre bouleversant à ce sujet (‘In mijn hoofd ga ik onder water’ –Dans ma
tête je plonge sous l’eau
), dont elle a lu quelques passages avant de se
prêter à l’entretien avec Glenn Strubbe et Stijn Vanheule. Signalons qu’elle
est aussi cofondatrice de La main à
l’oreille – Belgique
, une association de parents et de sympathisants qui
militent pour une approche subjective de l’autisme. Au cours de la conversation
il apparut clairement que ce livre et le fait d’en parler ne concernaient pas
seulement le témoignage d’une mère qui tente de comprendre son fils si
particulier. Ecrire ce livre et en parler montrait tout autant le récit d’une
mère qui, selon le mot de Vanheule, s’est retrouvée maintes fois embourbée
jusqu’au-dessus des genoux. Le langage joue un rôle singulier dans l’autisme.
Pourquoi, émit Fraihi, sommes-nous si dépendants de ce langage-là ? Et pourquoi
le langage que nous utilisons est-il tel qu’il est ? Son fils semble lui
avoir prouvé que le langage de tout le monde peut aussi être considéré avec
quelque dédain. Car il existe aussi
un autre langage, ou en termes plus précis : une autre manière d’y faire
avec ce langage. Fraihi parcourut un long chemin parsemé d’irritation, de
déception, de colère et d’incompréhension avant d’arriver à cette prise de
conscience. Elle nous a fait voir combien l’estime qu’elle a pour ce fils qui
se meut dans le monde de manière si différente ne fait que croître. En quoi
consiste donc cette manière ? En bref, cela a à voir avec un bocal,
transparent mais en même temps enfermant, mais nous n’en dirons pas plus… Chers
lecteurs : lisez son livre !

 

Cet entretien avec
Fraihi faisait écho à sa critique modérée, mais non sans acuité, de la manière
ordinaire et populaire de traiter les difficultés de développement d’un enfant.
Son plaidoyer pour accueillir les inventions et pratiques que certains enfants
mettent en œuvre pour se frayer un chemin dans ce monde – ce qui n’est possible
qu’à condition qu’un témoin les supporte et les encourage, sachant que ce
pourraient être d’importants tools
pour l’enfant – est en net contraste avec l’approche que le discours
populairement scientifique met à l’ordre (ou au délire) du jour , à savoir evidence-based, structure, protocolisation,…

 

La deuxième conversation
s’est déroulée avec un professeur de philosophie
de la médecine
, comme le soulignait Ignaas Devisch dans son entretien avec Lilia
Mahjoub en Nathalie Laceur. En 2013, Devisch a publié un livre (‘Ziek van gezondheid’ ‘Malade de santé’)
qui le poursuit jusqu’à ce jour, étant donné qu’il a mis doigt sur une plaie
bien contemporaine : la médicalisation de tout ce qui cloche chez l’être
humain, evidence based (avec une évidence
interprétée de manière assez unilatérale et tout autant discutable), avec comme
visible conséquence une prolifération des diagnostics et des usages des
psychotropes. de diagnostics et de
médicaments. Là-dessous pullule quelque chose qui nous pousse en grand nombre
aux urgences dès que quelque chose ne va pas (c’est en tout cas observable dans
le monde anglo-saxon). Nous sommes incités à monitorer nos paramètres sur l’un
ou l’autre appareil smart, de jeunes
enfants sont testés à propos d’aberrations détectables de manière toujours plus
précoce, bref, de cette façon nous devons tous être en si meilleure santé qu’en
bonne santé… qu’on en deviendrait malade.

 

Entre les lignes, Devisch
s’est distancié de ces philosophes qui se piquent de présenter la psychanalyse
comme étant usual suspect et il assure
qu’un contre-mouvement s’avère nécessaire, non sans raisons politiques selon
lui. En effet, dans la course à la santé semblent surgir des dégâts
collatéraux. Non seulement parce que les problèmes ne se résolvent pas (et
restent donc camouflés sous un tantième diagnostic ou sous une tonne de
médicaments), mais aussi parce qu’apparaît une sous-classe qu’on exclut de plus
en plus des instituts supposés promouvoir et garantir la santé. Mahjoub invita
spontanément Devisch à venir à Paris et témoigna de la manière dont fonctionnent
les CPCT, centres psychanalytiques de consultation locaux : consultations
gratuites, au cas par cas, limitées dans le temps et efficaces parce que
l’approche est liée à celui qui vient demander de l’aide. Une bouffée d’air
frais en ces temps d’e-health en
Flandre et de projets nationaux ADHD (TDA/H).

 

 

Traduction Monique de
Buck


 

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