Kring voor Psychoanalyse-NLS : Compte-rendu de la conférence de Gil Caroz – Gand, 19 mars 2016

Activités
des Sociétés et Groupes de la NLS

Activities of the
Societies and Groups of the NLS

Compte-rendu de la
conférence de

Gil Caroz

au Kring voor
Psychoanalyse van de NLS

 

 

Névrose sans père


Gand, 19 mars 2016


 

C'est en qualifiant son titre de « provocation » que Gil Caroz a commencé
son exposé qui a capté l'extrême attention de son public du début jusqu'à la
fin. Provocation parce qu'au-delà de la vacillation contemporaine du père dans
ses manifestations imaginaires, il garde incontestablement, au niveau de la
structure, une forme de présence. Si la figure du père subit l'effet d'un
nivellement de sa position d'exception, nivellement qui multiplie les formes
dégradées de la paternité imaginaire, son signifiant continue à opérer comme
fonction d'exception qui stabilise, de tout ce qui s'échange, tant le sens que la
signification. Cette fonction entame en plus la jouissance, même celle générée
par les figures du père contemporains. Dans ce sens-là, le Nom-du-Père permet
au sujet de se constituer un père, de déterminer ce qui fera père pour lui, en
choisissant par exemple un tel trait paternel que le sujet va investir, et ceci
donc dans une relative indépendance de la réalité familiale.

 

Les indications de Lacan et la lecture que Jacques-Alain Miller en fait
nous invitent à inclure ce Nom-du-Père dans la fonction symptôme, dans le sens
où noue symbolique et jouissance. Il reste donc une fonction d'exception dans
la structure, mais pas parmi les symptômes. Penser la névrose aujourd'hui c'est
la penser, par conséquent, sans l'appui imaginaire que le père donne au
Nom-du-Père. Cette épuration du symptôme se pratique dans l'analyse avec le
névrosé, pour qu'un os irréductible se dégage, os qui ne concerne plus le lien
au père, mais le point où le sujet pourra dire qu'il est le symptôme.
Ce travail implique que le sujet puisse réduire les effets de son abonnement à
l'inconscient, de l'éternel chiffrage de la jouissance qui, à son insu, et sans
que le sujet doive fournir le moindre effort, le protège du Réel – ce lui-même
qui oblige le sujet psychotique à des efforts considérables et qui se trouve à
ciel ouvert.

 

Si au niveau basique, l'automatisme mental est de règle, dans la psychose
et la névrose, ce n'est que dans un deuxième temps, et à partir de la
construction du sujet, qu'une distinction s'introduit. Le névrosé, en s'appropriant
un inconscient via la castration, peut dès lors déléguer le travail de
chiffrage de la jouissance à son inconscient. Il peut dès lors méconnaître que
l'Autre lui parle, et il est dispensé de donner corps à ce parasitage. Il est,
en plus, dispensé de devoir se faire un corps, parce que les traces
symptomatiques que l'inconscient laisse sur son corps lui en donnent un. Du
côté de la psychose, le sujet doit mobiliser des efforts parfois énormes enfin
de rassembler ce corps, et de le faire tenir face aux exigences du langage et
de la pulsion.

 

Le « sans voile généralisé »

 

Face au « sans voile généralisé » qui remplace, dans la modernité, « la
castration généralisée »' du Monde d'hier, la valeur de cette dernière a
peut-être changé. Là où jadis la castration avait pour effet que la jouissance
se déplace dans le symptôme pour détourner l'interdit, la castration est
devenue, à présent, une fonction majeure de mise à l'abri du sujet face à
l'injonction à jouir. Dans cette version moderne de la névrose, la limitation
de la jouissance ne dépend plus de l'architecture complexe qui s'appuyait sur
la religion du père, mais d'une opération inconsciente qui se fait au plus près
de la lettre du signifiant. Gil Caroz l'a démontré amplement avec des exemples
cliniques, avant d'illustrer la forclusion des limites de la castration avec
quelques phénomènes culturels, où le narcissisme de la génération selfie est caricaturisée dans le «
narcissisme de triomphe » de Daesh ou d'un Trump. Il nous a alors conduit à une
réflexion passionante sur la honte, à partir de Lacan, en se référant aux
textes d'Eric Laurent et de Jacques-Alain Miller sur cette question[1]  – et en partant de l'hypothèse suivante :

 

Le névrosé d'aujourd'hui s'appuie moins sur le récit du père comme
médiation entre le sujet et la jouissance, et fait peu d'usage du drame
d'Oedipe. Du coup, ne s'appuyerait-il pas plutôt sur un trait du père qui met
un point d'arrêt à la jouissance par la frappe du signifiant ? C'est alors
moins la culpabilité qui jouerait le rôle majeur que la honte. Cette honte,
dont Lacan disait qu'il est le seul signe dont on puisse assurer la généalogie,
soit qu'il descende d'un signifiant, est en quelque sorte le père réduit à
l'os, au pur signifiant. Autrement dit, si la culpabilité implique tout un
récit, tout un théâtre, la « honte de vivre » est le rapport direct du sujet
vivant à la dimension du signe dans le signifiant. De la même façon que
l'angoisse est un signe du Réel, la honte signale au sujet qu'il est un être de
langage, un être marqué par le signifiant. Et comme le signifiant est ce qui
introduit, dans le sujet, la pensée de sa mort, son « être-pour-la-mor », on
pourrait dire que la « honte de vivre » signale au sujet qu'il n'est pas à
l'hauteur du signifiant en tant que celui-ci nous représente comme déjà mort.
Il n'y a au fond peut-être que le mélancolique qui soit à l'hauteur du
signifiant.
Le névrosé, lui, peut vivre avec, sans avoir à s'incarner comme être de déchet.

 

Pour Lacan, la honte n'est pas qu'un signe; elle peut être le support d'un
acte analytique, celui de « faire honte ». Cela ne concerne en rien la morale,
il s'agit de rendre ses lettres de noblesse au signifiant, de lui rendre son
poids. Sans signifiant qui fait poids, il n'y a pas d'interprétation.

« Faire honte » serait plutôt souligner le vivant sans le référer à
l'Oedipe. Mais si cette opération de « faire honte » est difficile à obtenir,
Lacan le notait déjà en 1968, qu'en est-il d'aujourd'hui ?
Gil Caroz a abordé cette question sans détours, tout en formulant des réponses
: 2016, ce n'est plus 1968! Il n'est pas du tout sûr qu'il soit possible de
réintroduire le poids du signifiant chez certains sujets qui mettent en avant
uniquement leurs modes de jouissance. Rien ne nous indique qu'ils demandent un
Maître, comme à l'époque. C'est plutôt sur le fond de sa chute que les nouveaux
liens, du type réseaux sociaux, prolifèrent; les anciens modes du lien social sont
irrécupérablement détruits, et les nouveaux modes sont loin de se stabiliser.
Cela implique un vrai défi dans la rencontre avec la souffrance contemporaine.
Comment écouter, comment faire lien, et comment intervenir ?

 

« Lacan, nous a dit Caroz – c'était là les derniers mots de son exposé –
nous a préparé à ce nouveau monde avec la clinique du nœud car c'est une
clinique qui ne cherche pas en vain à se raccrocher au père. C’est une clinique
qui prend acte de ce que le symbolique peut se nouer avec le réel, sans pour
autant s’y introduire. Cliniquement, cela implique qu'on mette l'accent sur le
lien dans des cas hyper contemporains, plutôt que sur le moins phi. Il ne
s’agit d’entamer la jouissance par le moins phi, mais de la nouer. » On a là
des indications cliniques très précieuses et fort précises.

 

Nous tenons à remercier notre collègue Gil Caroz. Son intervention nous
ouvre l'horizon qu'est l'hypermodernité: ainsi que la contemporanéité dont il
suit les méandres les plus baroques. Sa présence vivante, ont marqués aussi
l'audience et au Kring, son
intervention, déjà, fait date.

 

 

Geert
Hoornaert



[1] Laurent, E. “La honte et la haine de soi”, Elucidation n°3; Miller, J.-A.
“Note sur la honte”, La Cause freudienne n°54.

 
 

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