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En exclusivité sur ECF
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Mental 43
Croyances et psychanalyse
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Ce numéro 43 de Mental, sous le titre « Croyances et psychanalyse », présente en couverture une photo haute en couleurs d’un marché. Ces mots de Jean-Claude Carrière pourraient la commenter : « Je vois devant moi, comme si je me promenais dans un très vaste marché à ciel ouvert, tout un étalage mirobolant de croyances, de dogmes, d’étiquettes, et je peux choisir. À un certain moment, à un certain endroit, je peux fermer l’oreille aux mille sollicitations des autres baratineurs et dire : voilà, c’est ici, j’ai trouvé, je me suis trouvé, je m’arrête, je n’irai pas plus loin. [1] » Cette description coïncide avec ce que Lacan répondait aux journalistes italiens, lors d’une conférence de presse à Rome en 1974 : « C’est ma façon de traduire “foi”. La foi c’est la foire. Il y a tellement de fois, de fois qui se nichent dans les coins, que malgré tout, ça ne se dit bien que sur le forum, c’est-à-dire la foire. [2] »
Selon Le Littré, la foi est une persuasion déterminée par l’autorité de celui qui a parlé. Selon Le Larousse, credere, verbe transitif, signifie croire à l’existence de quelqu’un ou de quelque chose, aux dogmes, chrétiens, musulmans, bouddhistes, politiques, aux bienfaits de la science, aux complots, aux fantômes… sans oublier au Moi. « C’est la naïveté individuelle du sujet qui croit en soi, qui croit qu’il est lui – folie assez commune, et qui n’est pas une complète folie, car cela fait partie de l’ordre des croyances. [3] »
Même pour une chose aussi simple qu’une addition, il faut, selon le cardinal Newman, un acte de foi. Jacques-Alain Miller remarque que Newman fondait la croyance et la religion déjà au niveau élémentaire de l’arithmétique [4] . Si le sujet paranoïaque se caractérise, comme Freud l’a souligné, par un Unglauben, par un refus de croire, dénonçant ce qui est inscrit au lieu de l’Autre, le sujet névrosé, au contraire, adhère à ce qui n’est pas sans rapport à la demande de l’Autre.
À l’ère de la globalisation, du marché mondial, le religieux, n’a pas quitté la scène internationale qui, excepté en Europe, ne s’est pas sécularisée. Les hommes politiques, les diplomates, les entrepreneurs, le savent et en tiennent compte. Le retour du religieux, annoncé par Lacan, se propage sous nos yeux au niveau planétaire, y compris dans les pays démocratiques.
Le mathème du discours capitaliste, modifie l’écriture du discours du maître et pose le sujet barré à la place de l’agent, le S1 du discours du maître ayant été entre-temps forclos. Cette modification historique n’est pas sans conséquences sur les sujets avec, comme le remarque J.-A. Miller la promotion du sujet sans repères recherchant des zones restreintes de certitudes qui lui en donnent d’autres. [5]
L’Islam, religion sans clergé, situe chaque croyant en relation directe avec le Prophète, sans intermédiaire. Ceci permet à de petites unités politisées et radicalisées de servir de ferment contestataire, et d’effectuer des percées dans différentes institutions, locales ou régionales, afin d’imposer aux croyants et aux non croyants musulmans, par la violence et l’effroi, une vision anachronique. « Blasphème », « sacrilège », c’est au nom de ces fictions que des sujets sont manipulés.
L’économie capitaliste fondée sur le forçage de l’adhésion des sujets au consumérisme, contamine le religieux, défait les liens sociaux, produit l’individualisme. Au temps de l’Autre qui n’existe pas, « le religieux, c’est la religion mais light [6] », la religion allégée de tout pouvoir institutionnel, relayée par les réseaux sociaux. Le discours de la science et le discours du capitalisme font fi de la tradition, de la garantie, du rapport hiérarchique, de la sécurité procurée par les autorités consacrées. Ces nouveaux discours, qui se substituent à l’ancien discours du maître, conduisent à désarrimer les sujets des anciennes constructions symboliques et ouvrent l’ensemble fermé antérieur au sans limite de la série. Il me faut du nouveau ! L’on passe ainsi à ma croyance à moi, différente de celle des autres, dénichée dans la foire aux croyances de toutes sortes.
« Le religieux, c’est l’effet de ce que la religion subit, un effet qui est propre à notre temps, et qui est la transformation de tout discours, de toute pratique, peut-être même peut-on dire de toute chose, en une expérience subjective vécue, privatisée. [7] » C’est la voie suivie par la publicité : « SKESAMFÉ [8] », qu’avez-vous ressenti ? éprouvé ? pensé ? terrible opérateur de nivellement. Freud, dans L’avenir d’une illusion, a considéré que les expériences, les croyances, les rituels religieux pourraient, grâce à l’analyse, devenir illusions : il a d’abord cru que le déchiffrage de la vérité du symptôme permettrait de le faire disparaître, il en a été détrompé par la réaction thérapeutique négative.
Lacan, n’a pas prêté ce pouvoir à la psychanalyse. Si le sujet croit à son symptôme, il y tient. Il tient à la jouissance mauvaise qui lui est corrélée et qui se répète à son insu. Le réel de l’opacité du non-rapport sexuel est impossible à obturer, et ce quelles que soient les croyances qui ne sont que des cache-misères du non-rapport sexuel. Seule une analyse menée à son terme permet à un sujet de désolidariser croyance et symptôme pour identifier son sinthome, soit ce qu’il est, afin de pouvoir s’en servir.
Claude Parchliniak
1 – Carrière J.-C., Croyance, Paris, Odile Jacob, 2019, p. 67.
2 – Lacan J., Le triomphe de la religion, Paris, Seuil, 2005, p. 95-96.
3 – Lacan J., Le Séminaire, livre i, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1978, p. 20.
4 – Miller J.-A., « La clinique lacanienne », cours du 27 janvier 1982, disponible sur internet.
5 – Miller J.-A., « Intuitions milanaises (2) », Mental, no 12, mai 2003, p. 21
6 – Miller J.-A., « Religion, psychanalyse (i) », Quarto, no 86, p. 7.
7 – Ibid.
8 – Ibid.
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Sommaire
Éditorial
Croyances et psychanalyse, Claude Parchliniak
Étude
Le père de famille et le père de la croyance, Éric Laurent
Foi et …
Le charbonnier et le mangeur d’homme, Philippe De Georges
Freud et la clinique de Dieu, Serge Cottet
Il n’existe qu’un seul Dieu – et nous n’y croyons pas ! Sarah Abitbol
Dis seulement une parole… Adriana Campos
Haine et amour de l’Église catholique pour la psychanalyse, Cinzia Crosali
Croyance en la religion, la science et la psychanalyse, Eugenio Castro Álvarez
La psychanalyse est la forme moderne de la foi religieuse, Antonio Di Ciaccia
Pulsion n’est pas certitude, Antoni Vicens
L’Église anti-extimiste polonaise, Janusz Kotara
La ruse de la confesse, Bernard Seynhaeve
Cette figure bonasse de la divinité, Jean-François Lebrun
Entre la religion et la science : quel avenir pour la psychanalyse ? Mathieu Siriot
… foire
Dès qu’on parle, on complote, Jacques-Alain Miller
L’Église du complot, Cyrus Saint Amand Poliakoff
Diableries analytiques, Gérard Wajcman
Les enragés du symbolique, Nathalie Jaudel
De la post-vérité à l’invraisemblable, Alice Delarue
Incroyants complotistes ? Dalila Arpin
Coronavirus, la mort en fête, Réginald Blanchet
Logique du protocole. Résidu du réel, Christophe le Thorel
L’entretien de Mental
Les territoires conquis de l’islamisme Entretien avec Bernard Rougier
Témoignage d’un AE
Annoncer la « Bonne Nouvelle » ? Guy Poblome
Clinique
Entre tradition et trahison, Nicolás Landriscini
Du scandale au rêve, Dominique-Paul Rousseau
La « prétendue frigidité », Jean-Pierre Deffieux
Entre-temps À propos du réel de l’accueil des migrants, Lore Buchner
Le CPCT-Bruxelles au temps du confinement
soirée du 2 juillet 2020
Ouverture, Nadine Page
Avant-propos, Gil Caroz
Derrière la caméra, Mahé Aja Fresquet – Discussion
Faire maillage, Phénicia Leroy – Discussion
Il est partout, Patricia Bosquin Caroz – Discussion
Conclusion, Alexandre Stevens
Autres liens, autres lieux
Duras avec Lacan, Jean-Claude Encalado
L’os et la spirale, Dominique Corpelet
James Ellroy : pulsion, fantasme et écriture, Sophie Le Goff
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Christine Maugin (gérante), Bruno Alivon, Marine Bouvet, Dominique Corpelet, Mélanie Coustel, Daphné Leimann, Mathilde Madelin, Isabelle Magne, Sissy Rapti.
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