Nouveaux paradigmes du rapport aux sexes
Anne Béraud Bogino
« Le corps ne fait apparition dans le réel que comme malentendu. »
Jacques Lacan, « Dissolution », Aux confins du Séminaire
Freud situait l’origine de l’angoisse dans un danger interne, « un danger pulsionnel »[1]. Pour Lacan, la libido est jouissance, inséparable de la pulsion de mort puisque la jouissance va au-delà du principe de plaisir. Les parlêtres contemporains sont aux prises avec une jouissance qui prend souvent des allures d’impératif de jouir. Une élision du désir en est la conséquence, avec son lot d’affects dépressifs et d’angoisse. Le trop – trop vite, trop d’objets, trop intense, trop d’informations, trop d’images, etc. – donne la tonalité de l’époque. Rien n’est assez pour couvrir le bruit du monde, donc la course au toujours plus – pousse-à-jouir – mène encore plus loin du côté de la pulsion de mort. Non sans une certaine affinité avec la jouissance féminine dans sa modalité d’infini. Pas non plus sans la montée au zénith de l’objet a annoncée par Lacan [2].
Réaliser ses fantasmes
Le passage à la réalisation des fantasmes sexuels ne relève plus de la seule structure perverse, ce dont témoignent les analysants [3]. Le porno a ouvert un supermarché de leurs possibles réalisations sans limite, fantasmes confinés auparavant dans la sphère imaginaire en deçà de l’agir. Certains sujets en analyse témoignent de la tyrannie du surmoi tel que Lacan l’épingle : Jouis ! « La gourmandise dont il dénote le surmoi est structurale, non pas effet de la civilisation, mais “malaise (symptôme) dans la civilisation”. » [4] Le surmoi est un impératif « gourmand » de jouissance au service de la pulsion de mort, que les pratiques BDSM [5] – répandues à Montréal – mettent en scène : jouir d’obéir, de se soumettre, d’être humilié, où tous les objets a sont convoqués – voix, regard, anal, oral, auxquels s’ajoute la prolifération d’objets sexuels qui se sont invités sur le marché capitaliste. Chacun y participe selon son rapport à l’objet de sa pulsion, extrait ou pas, et son rapport au corps, noué par le nœud RSI ou nécessitant d’être noué par les cordages pour tenir.
Fluidité du genre ou non binarité
Freud est parti du corps des hystériques comme symptôme du malaise de la civilisation. La clinique, caisse de résonance des discours contemporains, met en évidence que nous assistons à un changement de paradigme. […]
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Références
[1] Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse (1926), « Addenda B – Complément relatif à l’angoisse », Paris, PUF, 1951, p. 94.
[2] Cf. Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 414.
[3] Je parle d’où je pratique : à Montréal, en cette ville où au temps de la prohibition, les états-uniens venaient faire la fête sans restriction ; là où les départements universitaires d’études féministes sont très actifs ; en ce lieu d’Amérique du Nord, qui se distingue du puritanisme des États-Unis, et où les discours actuels et donc les mœurs, suivis par l’actualisation des lois, surgissent et s’élaborent entre cinq à vingt ans avant d’arriver en France. Pour exemples, le mariage pour tous, la PMA ou le système d’évaluation concocté à l’université McGill.
[4] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 530.
[5] Bondage, domination, sadisme, masochisme.
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