MÉTÉORE SPÉCIAL / SPECIAL METEOR

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Pierre Naveau [1]
 
En septembre 2022, à la suite de l’annonce du thème de notre prochain Congrès, je reçus ce message de notre collègue Laure Naveau :
 
« Je viens de récupérer ce texte magnifique de Pierre qu’il avait adressé à notre équipe.
Il est inédit, c’était, en mars 2020, sa dernière contribution au séminaire que je donnais à Tours, sur Les divins détails, alors que la maladie avait commencé son travail de sape. Je le trouve extraordinaire, et serais heureuse que tu le diffuses, à ton gré, avec tes commentaires, pour le prochain Congrès de la NLS, si tu l’apprécies. Je pense qu’il peut être un outil de travail précieux pour la communauté ».
 
Je suis bien d’accord avec elle. Comme vous le lirez, ce texte est une leçon de work in progress, trop tôt interrompu. Celles et ceux qui ont eu la chance d’entendre Pierre Naveau suivre ainsi le fil d’un texte, de Freud, de Lacan, de Jacques-Alain Miller, retrouveront dans cette brillante exposition du chapitre VII du Malaise dans la civilisation le vif de son énonciation. Les autres découvriront ici les résonances de la dimension à nulle autre pareille du discours analytique parmi les autres discours du temps présent.

Le texte de Pierre s’arrête sur un titre : « Le paradoxe de la Sainteté ». À chacun d’écrire ce paragraphe, avec son style propre, comme Pierre Naveau nous en donne le modèle.
À ce titre, et à bien d’autres, il nous manque.
 
Merci à lui, et à Laure pour cette transmission.
Daniel Roy
 
 

[1] Pierre Naveau est décédé le 8 juillet 2021. Il était membre de l’ECF et de la NLS. Parfaitement anglophone, membre de la première heure de la NLS, il est intervenu dans la plupart des Sociétés et des Groupes de notre École. On trouve ses très nombreuses contributions dans les revues La Cause freudienne, La Cause du désir, Hurly-Burly, The Lacanian Review. Ouvrages : Les psychoses et le lien social (2004), Ce qui de la rencontre s’écrit (2014).
 

Pierre Naveau
Sigmund Freud – Chapitre VII de Das Unbehagen in der Kultur (1930)
 
Au début du chapitre VII, Freud prend acte, en quelque sorte, du fait que, dans le chapitre VI, il ait introduit l’hypothèse de la pulsion de mort.
 
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Dès le chapitre VI, Freud n’a pas hésité, en effet, à évoquer la tendance, innée chez l’être humain, à l’agressivité, à la destruction et, de ce fait, à la cruauté.
 
Confronté à l’embarrassante question – Comment un Dieu si parfait peut-il accepter que sa créature humaine soit, avec cette intensité, divisée entre le Bien et le Mal ? –, Freud ne peut s’empêcher, à cet égard, de se moquer, non sans quelque ironie, du Chrétien qui ne trouve pas d’autre réponse que celle-ci :
 
Qu’à cela ne tienne ! Der Jude, écrit Freud, le « Juif », est là dans la société civile (« dans le monde de l’Idéal aryen », dit-il exactement) pour incarner le Mal, de la même façon que der Teufel, le Diable, a été inventé par la religion chrétienne pour se charger de jouer ce même rôle et ainsi enlever à Dieu le poids d’une telle responsabilité.
 
Au « Juif » est alors dévolue, souligne Freud, la fonction de porter la « marque » de l’opération symbolique de la coupure sous les traits de la circoncision.
 
La méchanceté, par conséquent, est, chez l’être humain, de naissance.
 
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Dans le chapitre VII, Freud s’interroge : de quels moyens la civilisation se sert-elle zu hemmen, pour inhiber, unschädlich zu machen, pour rendre inoffensive, auszuschalten, pour éliminer, die ihr entgegenstehende Aggression, l’agressivité qui s’oppose à elle ?
L’agressivité est, en fait, renvoyée à l’envoyeur, c’est-à-dire là d’où elle est d’abord venue. Elle est alors, écrit Freud, introjiziert, « introjectée », retournée contre le Moi propre. L’opération de la coupure est mise en œuvre. Le Moi se divise en deux « moitiés ».
 
Une partie du Moi s’oppose, en tant que Sur-moi, ou encore, précise Freud, en tant que Gewissen, en tant que « conscience morale », à l’autre partie restante (du Moi dont il s’agit). Die Spannung, la « tension », qui résulte de la concomitance entre la coupure qui s’opère entre les deux parties et l’opposition qui, du coup, surgit entre elles, provoque ce que Freud appelle le « sentiment de culpabilité » qui se manifeste sous la forme d’un « besoin de punition ».
 
Freud forge cette métaphore, pour se faire comprendre : c’est comme si une armée ennemie occupait une ville qu’elle vient de conquérir en interdisant à ses habitants de détenir des armes dont ils pourraient faire usage contre les soldats de cette armée d’occupation.
 
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Les paradoxes de la conscience morale

En quoi le psychanalyste se distingue-t-il du psychologue relativement à la genèse du sentiment de culpabilité, c’est-à-dire par rapport à l’incontournable question qui se pose de savoir comment l’on parvient à faire la différence entre le Bien et le Mal ?
 

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Citation : « Si l’on répond : man sich fühlt sich schuldig – on se sent coupable, quand on a fait quelque chose de mal, l’on s’aperçoit que cette réponse n’apporte pas grand-chose. » Celui qui n’a pas fait quelque chose de mal, mais qui a eu simplement die Absicht, l’intention de le faire, remarque Freud, peut aussi bien se sentir coupable.
 
Le Mal peut même se révéler être quelque chose qui fait plaisir et que, par conséquent, l’on peut souhaiter. Cela peut être ainsi quelque chose qui fait que : alors, on jouit. Le lecteur du texte de Freud (ce fut le cas de Lacan) peut avoir le souci de distinguer ces deux termes : die Lust, le plaisir, et das Vergnügen, la jouissance, alors même que, dans l’acception de chacun de ces deux termes, l’on peut entendre la même nuance relative à… la joie.
 
En tout cas, Freud en vient à proposer la définition suivante du Mal : « Das Böse, le Mal, est ce qui vaut à chacun d’être menacé de perdre l’amour (de l’Autre) ». Telle est, donc, l’origine, selon Freud, de la genèse du sentiment de culpabilité – ce qu’il désigne en ces termes : die Angst vor dem Liebesverlust, la crainte (l’angoisse) de perdre l’amour de l’Autre, dont, dans l’Hilflosigkeit, dans la détresse de sa solitude, chacun dépend (précise Freud).
 
Il est amusant de remarquer que, dans le dictionnaire, le terme de Hilflosigkeit est traduit par cette expression : « l’impossibilité de se débrouiller seul ».
Conséquences : le danger (intérieur), par lequel chacun se sent menacé, vient alors de ce que cet Autre dont on dépend pourrait le priver de sa protection (der Schutz) contre les dangers extérieurs.
 
Faire quelque chose de mal fait alors courir le risque que cet Autre tout puissant, en tout cas beaucoup plus puissant, ne veuille montrer sein Überlegenheit, sa supériorité, sous la forme d’une Bestrafung, d’une punition.
Se faire taper sur les doigts…
 
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Le grand changement – l’entrée en scène du Surmoi
 
Ladite « conscience morale » est ce qui articule un lien de causalité, en l’occurrence la culpabilité comme effet au fait d’avoir fait quelque chose de mal en tant que cause. Un lien se noue ainsi entre das Böse, le Mal, et die Schuld, la culpa, la faute, la culpabilité. L’entrée en scène du Surmoi vient de ce que die Autorität, l’autorité, change de place.
 
Ce changement peut être ainsi décrit : l’Autre de l’Autorité, auquel le moi est soumis, passe de l’extérieur à l’intérieur du Moi en question. Au moment même où cet Autre de l’Autorité verinnerlicht wird, « est intériorisé », une opération de séparation s’effectue. Le Moi se divise en deux « moi-tiés » sous l’action de la coupure – au moment précis, en effet, où la culpa, la culpabilité, s’avère être la conséquence de ce que l’on ait fait quelque chose de mal.
Rappel : « Moitié dit en français que c’est une affaire de moi  ».
[1]

 
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La conscience morale est là pour compter les points en quelque sorte. Il y a, dans la culpabilité, une opération comptable implicite. La faute a aussi, si l’on veut, une consistance corporelle.
La douleur – éprouvée lorsque de l’angoisse est ressentie et, surtout, quand la punition, qui est supposée par le Moi être infligée par le Surmoi, se réalise, c’est-à-dire « prend corps » d’une manière ou d’une autre (cf. l’exemple du Saint) – est, au fond, ce qui, en soi, compte les coups.
 
Die Sünde, the sin, le « péché », s’inscrit ainsi comme « marque » mise à l’actif du Mal dans la guerre entre le Bien et le Mal. Ce n’est pas la peine de tenter de cacher au Surmoi ses « mauvaises pensées ». Le Moi ne peut rien cacher à l’Autre Moi, au Surmoi. Le Surmoi sait. Il sait ce que le Moi aurait l’intention de faire s’il ne craignait pas d’être puni.

 
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La douleur

Freud va jusqu’à dire : Das Über-Ich peinigt das sündige Ich, « le Surmoi torture le Moi pêcheur ».
Die Pein, c’est la douleur (the pain, en anglais). Peinigen signifie « torturer ».
Par quels moyens ? Au moyen des mêmes Angstempfindungen, des mêmes « sensations d’angoisse » qu’il provoquait dans le Moi avant qu’il (le Surmoi) n’entrât en scène, c’est-à-dire avant que l’Autre de l’Autorité ne se déplaçât de l’extérieur vers l’intérieur du Moi.
Freud ajoute que le Surmoi guette les occasions pour que le Moi se fasse punir – ne serait-ce, déjà, que par la crainte de perdre l’amour de l’Autre Moi.
Ainsi la division est-elle, en elle-même, conflictuelle, et la guerre, à l’intérieur du Moi, inéluctable !
De Moi à Moi…
Freud, semble-t-il, fait du Surmoi une instance qui use de la ruse pour ne pas épargner au Moi la sensation de la douleur. L’Autorité, que le Surmoi représente aux yeux du Moi, est conçue par lui comme étant retorse.
Il y a quelque chose de tordu dans la mise en fonction de l’opération de la coupure.
Le Surmoi est dans un calcul incessant.
C’est pourquoi, au cours d’une analyse, le Surmoi donne du fil à retordre.
On ne peut que se méfier d’une telle soi-disant Autorité !
 

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Pour conclure – Le paradoxe de la Sainteté
 
Tours, mars 2020.

 

 
[1] Lacan J., « L’Étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 456.

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