Moments de crise dans la cure analytique – Work-in-progressTwo – Yves Vanderveken

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Vers le congrès de la NLS
Moments de crise
Genève,  9 et 10 mai 2015

 
 

Moments de crise dans la cure analytique

Work-in-progress Two

Yves Vanderveken

 

 

 

 

 

 

Moments de crise dans la cure analytique

Work-in-progress Two

Yves Vanderveken

Clinical Study Day in Tel Aviv

 

J’ouvre cette journée, dont nous avons décidé dans une collaboration avec le Comité actuel du GIEP-NLS et le Comité exécutif de la NLS, qu’elle serait une Journée clinique de la New Lacanian School en Israël. Nous l’avons pensée ensemble dans ce sens. Cette journée ouvre par ailleurs l’année académique de travail du Giep-NLS. Elle se tient sous le titre : “Crisis in time of crisis“. Elle s’oriente vers le thème du prochain congrès de la NLS qui aura lieu à Genève les 8 et 9 mai prochains sous le titre “Moments de crise”.

 

Cette ouverture ne doit pas être trop longue, pour laisser toute sa place aux travaux.

 

Nous avons à disposition des textes qui prennent le thème des moments de crise dans tout son empan. Celui de Gil Caroz qui nous sert d’orientation1, et celui que j’ai dit à Athènes, titré Work-in-progress One2. Aujourd’hui, j’isolerai un point dans cette ouverture. Puisque c’est une journée clinique, ce sera un point clinique, un point de clinique psychanalytique – voire même plus précisément de direction de cure analytique.

 

Nous avons pour nous orienter dans ce thème de la crise – qui n’est en soi pas un concept psychanalytique – la définition qu’en donne Jacques-Alain Miller. Je la répète, elle est citée par Gil Caroz : “Il y a crise au sens psychanalytique quand le discours, les mots, les chiffres, les rites, la routine, tout l’appareil symbolique s’avèrent soudain impuissants à tempérer un réel qui n’en fait qu’à sa tête. Une crise, c’est le réel déchaîné, impossible à maîtriser.”3

 

Le signifiant “crise” ayant acquis une portée sémantique très large qui concerne tous les discours et tous les champs du savoir, cette définition nous permet de lire ces phénomènes de crises dans ceux-ci, à partir et avec les concepts lacaniens. Crise y apparaît comme un des noms contemporains du réel.

 

Mais cette définition permet aussi, et principalement, de nous repérer très précisément dans les moments de rupture au niveau clinique. Gil Caroz les isole dans les structures cliniques chères à la psychanalyse.

 

Dans la psychose, en tant qu’ils donnent ces moments de crise qui prennent la forme de déclenchement, de décompensation ou de débranchement, là où, à l’appel au symbolique pour donner raison d’une rencontre avec un réel, ne répond qu’un trou. Ces moments de rupture s’accompagnent de phénomènes cliniques produits par la plus ou moins dissolution de l’ensemble des registres symboliques et imaginaires pour le sujet.

 

Dans la structure perverse, ces moments de rupture visent une vacillation dans et de la routine des codes symboliques de l’Autre, toujours en vue d’initier l’autre à une jouissance nouvelle.

 

Et enfin, dans la névrose, ces moments de vacillation provoquent le signal du réel que le surgissement de l’angoisse indexe et fragilisent la construction fantasmatique qui donnait jusque-là cadre au réel – permettant au sujet de le voiler défensivement.

 

Le psychanalyste est ami de la crise. D’abord parce qu’il rencontre ses analysants justement dans ces moments de crise, qui sont autant de moments d’entrées en analyse. Celles-ci répondent toujours d’un moment d’urgence subjective. Du moins, il vaut mieux.

 

Mais le psychanalyste est aussi ami de la crise parce qu’il en prend en quelque sorte le relais. Dans le cas de la direction de la cure dans la psychose, pour accompagner le sujet à retisser quelque chose des registres du symbolique et de l’imaginaire et recréer ainsi un mode de voile sur un réel trop dénudé. Dans le cas de la direction de la cure du névrosé, pour isoler toujours plus son mode de jouissance fantasmatique en tant qu’il est réponse du réel.

 

Dans des directions de cure différentes donc, il s’en fait le relais, par son acte. Son acte qui est d’interprétation, en tant que celle-ci dérange et vise à une modification dans le sujet, en mettant, disons, son fonctionnement “en crise”. Mais il faut noter que cet acte d’interprétation répond de coordonnées très précises, qui sont à situer uniquement dans le cadre spécifique d’une direction de cure analytique.

 

C’est le point sur lequel je voudrais insister aujourd’hui en ouverture de cette journée. Pour ce faire, je ne saurais trop vous recommander la lecture du texte de Jacques-Alain Miller, Remarques sur le concept de passage à l’acte4.

 

Il y indique la filiation structurale du concept de l’acte analytique avec le concept psychiatrique de passage à l’acte – passage à l’acte qui est la fois paradigme pathologique de la crise et, nous le savons, une modalité de résolution de celle-ci. Mais filiation structurale ne veut pas dire qu’ils sont identiques. S’il s’agit d’isoler ce que les deux ont en commun, c’est aussi pour mieux distinguer leurs champs spécifiques. C’est la différence qu’il y a entre le déchirement sauvage du fantasme par l’effraction traumatique d’un réel inassimilable, de celui “provoqué” dans le cadre de la cure qui dévoile les atours de l’objet.

 

Ce qu’ils ont d’identiques, c’est que tous deux échappent à la dimension du calcul, de la maîtrise, en tant que l’acte serait l’issue et l’aboutissement d’un raisonnement de la pensée ayant comme finalité rationnelle l’utile et le bien du sujet. Le passage à l’acte, comme paradigme de l’acte, en démontre la structure opposée terme à terme. L’acte suicidaire, paradigme pour Lacan de l’acte réussi, vient comme démonstration de l’inanité de cette perspective, dévoilant en plus qu’il œuvre contre le bien du sujet et vise à lui nuire jusqu’à l’ultime de son intégrité propre.

 

Ce qui s’y démontre, c’est la dimension de radicale antinomie entre la pensée et l’acte. L’acte est sortie, extraction de la dimension de la pensée, en tant que celle-ci est rumination, évaluation incessante et calcul infini jamais certain sur l’acte à poser. La pensée est là obstacle, empêchement de tout acte jusqu’à l’obsession – nous retrouvons nos catégories cliniques – du fait d’une recherche d’une vérité finale, qu’il n’y a pas, pour décider de sa validité.

 

Cette dimension essentielle d’opposition entre la pensée et l’acte est chère à la psychanalyse lacanienne. Lacan opère même un pas de plus qui concerne le cœur de la psychanalyse, en opposant l’acte et l’inconscient ! En faisant du cogito cartésien – Je pense, donc je suis – la structure du sujet de l’inconscient, il indique que l’inconscient, dans sa dimension transférentielle de recherche de vérité par l’association libre (l’association de pensées donc) est syntone au refoulement. La pensée y nourrit le symptôme de sens.  C’est le renversement dans la doctrine de l’inconscient qu’il commence à opérer à partir du Séminaire XI, Les 4 concepts fondamentaux de la psychanalyse5. L’acte se situant dès lors comme une sortie de la dimension d’inhibition névrotique et de rupture de la chaîne de la pensée.

 

Est-ce pour autant dire que la psychanalyse pousse à l’acte, ou encore à la “réalisation”  – de soi, comme il se dit dans le jargon psychothérapeutique, avec sa consonance de “liberté” qu’elle charrie ? Oui, et bien évidemment, non ! Il s’agit là de distinguer strictement les registres dans lesquels cela se joue.

 

S’il y a identité de structure en tant que le passage à l’acte, l’acte analytique et, par ailleurs, toute dimension de l’acte, sont transgression, franchissement, mutation, sont “délinquants” en tant qu’ils rompent avec les codes établis du sujet et l’Autre, sont séparation d’avec l’Autre, il faut remarquer que Lacan n’a cessé d’isoler le passage à l’acte et l’acting-out comme autant de court-circuit du processus même de l’analyse. Et ce court-circuit se produit justement quand quelque chose se trouve en défaut d’interprétation adéquate, où se constitue donc l’acte de l’analyste.

 

Ce qui permet à Jacques-Alain Miler de préciser, comme un pas de plus, que le paradigme de l’acte suicidaire “rejoint en court-circuit6 cette zone centrale et exclue du monde subjectif auquel Lacan a donné le nom de jouissance”7.

 

C’est précisément cette zone que vise à enrober la cure avec le sujet psychotique et que vise, en tant que telle, la direction de la cure du sujet névrosé – mais hors de la dimension du court-circuit, qui sont des modalités de crise qu’il s’agit d’éviter dans le cadre de la cure. C’est pour cela que Lacan fonde le concept de l’acte analytique. Là où le suicide est par excellence l’acte réussi, la psychanalyse fait de l’acte manqué son paradigme, en tant que l’inconscient s’interpose et dévie l’action de l’intention première, déplaçant l’acte pour lui faire dire… autre chose.

 

Si la psychanalyse vise donc aussi une sortie du doute, qui est l’essence de la pensée et de l’inconscient-vérité, pour atteindre une dimension de certitude, de quelle nature est-elle dans le fil de la définition que Jacques-Alain Miller donne de la crise en psychanalyse ? De quel ordre relève cette certitude qui ne soit pas précipitation dans le registre de l’acting-out si chère à l’obsédé ?

 

Ce que peut provoquer une psychanalyse n’est pas une crise réelle, même si elle produit des effets réels. “Dans l’expérience d’une psychanalyse, il faut l’interprétation de l’analyste comme acte pour obtenir une détermination”8, nous dit encore Jacques-Alain Miller. Le terme de “détermination” est riche d’une polysémie en français. Il peut signifier dans ce cas, à la fois l’obtention de ce qui vous épingle dans votre être, ce qui vous définit en quelque sorte, mais aussi l’index d’une décision qui ne souffre aucune hésitation. L’interprétation, en tant qu’elle vise dit-il “au cœur de l’être”9 ne produit pas des moments faciles pour l’analysant. De viser le cœur de l’être, elle touche et dévoile quelque chose de l’objet du sujet qui le détermine – une saloperie, dira Lacan. Ces moments-là, il s’agit d’arriver à les garder dans le cadre de la cure10.

 

Ces moments de cure (et de crises dans la cure) produisent une sortie du doute par l’obtention de quelques “c’est ça” qui ne trompent pas. Mais là aussi, de quel ordre sont-ils ? Il s’agit toujours d’un franchissement d’un seuil signifiant, d’une scansion signifiante qui procède d’un dire et qui agit comme coupure dans la dimension du sens – comme nous tentons de l’apprendre du dernier enseignement de Lacan. Il peut s’en produire une sortie, ou séparation de l’aliénation signifiante11, qui isole quelques signifiants hors-sens qui déterminent ce rapport exclu du monde de la vérité que le sujet entretient avec la jouissance. Ce sont autant de points de rupture singuliers et subjectifs de l’ordre symbolique propre au sujet, qui rompent avec, mais ne prennent sens, que de son univers langagier. Il peut alors éventuellement tenter d’en faire un usage autre et développer, non pas sa suppression, mais un savoir-y-faire avec. S’isole alors une détermination d’un mode de jouissance qui relève du registre de la certitude, en tant que, sur cette base, le sujet pourra se positionner par rapport à ses choix, qui seront toujours, à mesure qu’une analyse avance, de moins en moins libres et relevant de plus en plus de la dialectique du choix forcé.

 

Il ne s’agit donc pas que l’analyste pousse le sujet, par exemple, à décider12, mais que par l’analyse de ses déterminations (à quoi sert la fonction de l’analyste), le sujet soit à même, à partir de là, de pouvoir répondre, lui, de ses choix !

 

J’espère que ces quelques propos et distinctions simples permettront de nous orienter dans le travail que nous allons mener autour des cas cliniques présentés dans cette journée.

 

Tel Aviv, le 1er novembre 2014

 

 

1 G. Caroz, Moments de crise, https://amp-nls.org/page/fr/49/nls-messager/0/2013-2014/1475

2 Y. Vanderveken, Moments de crise, Work-in-progress One, https://amp-nls.org/page/fr/49/nls-messager/0/2014-2015/1574

3 G. Caroz, Ibid.

4 J.-A. Miller, Jacques Lacan : remarques sur son concept de passage à l’acte, Mental, Paris, avril 2006, no 17,  p. 22.

5 J. LACAN, Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse [1964], texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, coll. Champ freudien, 1973.

6 C’est moi qui souligne.

7 J.-A. Miller, ibid.

8 Id.

9 Id.

10 Gil Caroz en déplie les occurrences dans son texte.

11 Pour reprendre l’opposition conceptuelle qui développe Lacan dans les 4 concepts.

12 C’est même au regard de ce court-circuit et pour l’éviter en quelque sorte que Freud  inventé une règle analytique : celle de l’abstinence, conseillant à l’analysant de ne rien entreprendre de réel durant le temps de sa cure. Évidemment, les cures s’étant rallongées, et pas un peu, la portée de cela est tout autre.

 

 

 

 

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