(…) C’est précisément parce qu’il s’agit d’un opérateur qu’il n’a jamais donné du phénomène une définition invariable, et qu’il en est venu à la fin à le réduire à la lettre d’une initiale du mot de syndrome.
L’introduction de ce S accomplit une extraordinaire amplification de la clinique des psychoses, elle la prend comme en travers, défait des entités qui pouvaient passer alors pour bien établies, telle la psychose de Magnan, et vaut table rase. La Clinique française avait de toujours excellé dans la description et la nomenclature des délires. S n’est pas de cet ordre : il est posé comme la forme initiale de toute psychose (à l’exception de la paranoïa vraie et du pur délire interprétatif, tel qu’isolé par Sérieux et Capgras, mais qui se présentent le plus souvent mixtes, matinés d’automatisme mental). Comme tel, S est a-thématique et neutre, c’est-à-dire que les contenus et la coloration affective ne lui viennent que postérieurement, selon le « fonds » – paranoïaque, pervers, mythomaniaque, interprétatif – sur lequel il se produit, selon qu’il est ou non associé à un processus passionnel. S est autonome, c’est-à-dire qu’il ne dépend pas de ces données, mais qu’il se réfracte sur elles et se différencie, donnant ainsi les tableaux cliniques dans leur diversité.
« Le délire est une superstructure », pose Clérambault, ou encore : « l’idéation est secondaire ». Le S primitif de la psychose s’impose au contraire comme un fait irréductible de la pensée, un fait absolu. (…) Il ne s’agit de rien d’autre que de phénomènes de l’énonciation
Qu’est-ce que cet « écho de la pensée » dont Clérambault fait le phénomène positif originaire de l’automatisme mental, sinon une perturbation du rapport de l’énoncé à l’énonciation, qui émancipe une source parasite ? Le sujet se découvre continuellement doublé par une émission parallèle qui l’émancipe, l’accompagne ou le suit, et qui peut même ne rien dire : évanouissante, muette, vide, elle n’en suspend pas moins le sujet dans sa position de récepteur. C’est cette énonciation indépendante et pure que Clérambault taxe de « phénomène purement psychique », et il appelle « phénomènes verbaux » les jeux du signifiant désarrimés qu’elle libère. Les termes que je substitue ici à ceux de Clérambault vous indiquent assez que ce n’est pas dans quelque obscure « déviation d’influx » que nous avons à fonder le syndrome de l’automatisme mental, mais dans le graphe même de la communication « intersubjective », ici révélée : que l’émetteur y soit récepteur est dans l’ordre, la perturbation proprement psychotique consistant seulement à ce qu’il s’éprouve comme tel.
Lacanienne, cette construction l’est assez pour que, du S de Clérambault, nous osions faire l’initiale du mot structure. La structure mise a nu… (…) qui n’en a pas moins sa valeur décisive , de couper de toute psychologie l’ordre de la structure.
En un mot, si Clérambault a fait mécanique son automatisme, c’est pour le garder autonome, laissant à Lacan d’y découvrir le symbolique. (…) Il l’a fait neutre et primitif, l’instituant ainsi comme signifiant et structural. Et quand il le fait a-thématique, et soutient qu’il se produit d’abord « dans la forme ordinaire de la pensée, c’est-à-dire dans une forme indifférenciée, et non pas dans une forme sensorielle définie », c’est un postulat dont on peut contester que l’observation la vérifie toujours, mais qu’on aurait tort de méconnaitre dans sa portée logique. S ne veut rien dire, c’est bien ce que comporte son nom d’écho, à ce titre il s’agit d’un effet purement signifiant, qui devient insensé à partir de la signification imaginaire dont l’investit le déchiffrement délirant.
(…)
Lorsque le décalage ténu de l’énonciation par rapport à elle-même s’est amplifié jusqu’a engendrer des voix individualisées et thématiques qui se déchainent dans le réel ; lorsque le sujet se trouve traversé par des messages en rafale, par un langage qui parle tout seul, épié dans son for intérieur et assujetti à des injonctions ou des inhibitions dont il ne peut s’annexer la production , c’est alors la grande « xénopathie », que Lacan a fondé dans le champ du langage avec son mathème de l’Autre. Est-ce trop dire que d’avancer que le discours de l’Autre était déjà là, dans la clinique psychiatrique, avant que Lacan ne l’invente, et ne le soude à l’Autre préhistorique que Freud avait pointé chez Fechner ? Les émergences xénopathiques sont fondées dans la structure, si la structure veut que toute parole se forme dans l’Autre. La question n’est plus dès lors « qu’est-ce qu’un fou ? » mais « comment peut-on n’être pas fou ? ».
Pourquoi le sujet dit normal, qui n’est pas moins affecté par la parole, pas moins xénopathe que le psychotique ne s’en aperçoit-il pas ? La question est plus subversive, je crois, que les identifications qu’on nous propose. Comment pouvons-nous nous croire les auteurs de nos pensées ? Quelle inversion nous fait méconnaitre que nous sommes les marionnettes d’un discours dont la syntaxe préexiste à toute inscription subjective ? C’est la xénopathie qui est normale. Un sujet pour qui l’Autre n’est plus voilé, certes il est hors d’atteinte de nos manigances imaginaires. »
dans La Conversation d’Arcachon, p. 293-298
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