Nous n’avons rien a perdre, par Gil Caroz

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signatures sur l’ensemble des pétitions initiées par des professionnels du champ psy
– tant néerlandophones que francophones

Nous n’avons rien à perdre


par Gil Caroz

 

 Images intégrées 1


LQ : Pour l’opinion éclairée, en Belgique comme en France, la situation de
la psychanalyse était désormais réglée, donnant en Belgique comme en France aux
Écoles et Sociétés de psychanalyse le soin de décider à qui elles confient la
tâche d’exercer cette profession singulière. Que s’est-il passé ? 

 

Gil Caroz : En effet
une loi sur les professions de santé mentale a été votée à Bruxelles en avril
2014 dans le cadre d’un mandat gouvernemental de large coalisation de centre
gauche. Outre le fait que cette loi, assez subtile, prenait en considération la
complexité des offres de soins psychothérapeutiques, elle reconnaissait la
spécificité de la psychanalyse, en considérant qu’elle n’était pas concernée
par cette loi. Ainsi, la garantie de la formation du psychanalyste est restée
en Belgique dans les mains des Écoles de psychanalyse. On constate aujourd’hui
que le débat qui a précédé cette loi, et dans lequel nous étions très actifs, a
eu pour effet d’ancrer dans l’opinion belge une distinction entre la
psychothérapie et la psychanalyse. On peut d’ailleurs lire et entendre dans les
médias que la confusion se produit de moins en moins.
Or, depuis lors, des
élections ont eu lieu : en automne 2014, un nouveau gouvernement est
venu au pouvoir, composé cette fois d’une large majorité de droite
essentiellement néerlandophone. Un nouveau projet de loi a été élaboré dans le
secret, à partir d’avis « d’experts » et sans représentation adéquate
des praticiens du terrain.
À peine la loi précédente était-elle votée, et sans
même qu’elle ait pu entrer en vigueur, le nouveau projet de loi, qui sera
soumis au vote dans moins d’une semaine, vient défaire l’équilibre délicat qui
avait été obtenu. Il s’agit de mettre un champ compliqué au pas d’une « simplification » :
tous les « psy » dans le même panier.
Par ailleurs, ce projet de loi
entend supprimer le titre de « psychothérapeute », en réduisant cette
pratique à un « acte clinique » qui doit répondre aux critères
scientistes de l’
Evidence Based Practice (pratique
fondée sur des résultats prétendument empiriquement et statistiquement
contrôlés), et en soumettant le domaine des soins psychiques aux seuls
médecins, psychologues cliniciens et orthopédagogues titulaires d’un master.
L’hégémonie absolue des universités sur ces nouvelles procédures de formation
s’imposerait à tous – comme si un diplôme valait garantie pour une pratique
dans le champ psychique.
Les motivations de ce rapt par le nouveau législateur
sont multiples. Le conflit communautaire y joue un rôle. C’est une ministre flamande
qui détricote une loi d’une ministre wallonne. Mais derrière ce confit
communautaire, il y un confit idéologique, entre le scientisme anglo-saxon et
une tradition d’humanisme culturel latin. À cela s’ajoute le corporatisme des
psychologues cliniciens orientés par les TCC (techniques
cognitivo-comportementales) et des questions financières liées au remboursement
des soins. 

 

LQ : Alors que l’Evidence Based Medecine semble
partout en déclin y compris aux USA où le DSM lui-même s’effondre (1), pourquoi
le ministère belge de la Santé veut-il soudain y soumettre les psychothérapies ?

 

G.C. : Nous
sommes sans doute dans un moment historique qui précède celui des USA sur ce
plan. La liberté d’action que nous avons eue jusqu’ici ne permet pas encore de
voir les effets de destruction discursive que produit le scientisme. Le projet
de loi sur les professions de santé mentale s’inscrit dans le fil de la
déclaration de constitution du gouvernement actuel qui stipule enfin pouvoir
opérer les réformes empêchées par le pouvoir wallon de gauche qui régnait sur
le pays pendant de longues années. C’est aussi un symptôme de la réaction du
gouvernement au vacillement social, économique et sécuritaire que nous vivons
actuellement en Belgique et ailleurs.
Le nouveau gouvernement opte pour des
solutions simplistes et autoritaires, qui rassurent dans le court terme, et
préparent un désastre à long terme. Ceci, en jetant de la poudre aux yeux de la
population, assurant que dorénavant ce champ sera nettoyé des « charlatans »,
que les services seront moins coûteux, plus rapides et « prouvés scientifiquement ».
Car en effet, l’
evidence based donne
l’impression que 
everything is under control, que tout
problème a sa solution finale et définitive, et que la science en est la
garantie. Toute personne qui a un peu d’expérience de vie sait qu’il n’y a pas
de solutions sans failles, que l’absence de solution définitive est inhérente à
tout problème. Les politiciens, artisans d’une « pratique impossible »,
le savent autant que les psychanalystes. Mais ils agissent comme si ils ne le
savaient pas. Est-ce parce que ce savoir est insu d’eux-mêmes, ce qui
relèverait de l’inconscient, ou est-ce par cynisme et populisme qu’ils agitent
ce rêve d’une solution définitive ? Quoi qu’il en soit, ils agissent selon
la maxime de Henri Queuille selon laquelle « la politique n’est pas l’art
de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent. » 


Images intégrées 2

 

LQ : Comment les praticiens belges
francophones et néerlandophones entendent-ils réagir à la nouvelle loi
d’obédience scientiste, c’est-à-dire qui n’a de la science que l’apparence ?

 

G.C. : Il n’y a
pas une réaction 
Une, ce qui
confirme la complexité du terrain que ce projet de loi méconnaît.
Parlons tout
d’abord de nous. Ce projet de loi ne parle pas de la psychanalyse, et on est en
droit de penser que ce qui a été obtenu par la loi votée en 2014 reste en
vigueur. En tout cas, comme je l’ai mentionné plus haut, il est bien clair dans
l’esprit d’un grand nombre que la psychanalyse ne peut pas être concernée par
une loi qui règlementerait la psychothérapie. C’est ce point que nous,
psychanalystes francophones et néerlandophones du Champ freudien, voulons
continuer à marteler.
Par ailleurs, nous menons un combat contre cette loi pour
des raisons éthiques. Une loi qui s’attaque à la parole et au droit à la
singularité s’attaque aussi à la psychanalyse, même si elle ne la menace pas
sur le plan juridique – ce qui est encore à vérifier. Notre combat s’appuie sur
le discours de la logique du pas-tout et contre la logique totalisante qui
écrase les particularités (2).
D’autres praticiens, organisés dans des
associations de psychothérapeutes, mènent également un combat contre cette loi
pour des raisons corporatistes, voulant protéger la reconnaissance du titre de
psychothérapeute afin de s’attribuer une part du gâteau des remboursements.

Certains praticiens en Belgique sont satisfaits de cette loi. Il s’agit des
psychologues qui s’orientent du scientisme et des TCC, pratiques de dressage
qu’il faut considérer comme étant hors du champ des pratiques de parole. Il
s’agit dans ce cas du cynisme corporatiste d’un collectif qui voit satisfaire
ses intérêts. Ces psychologues sont heureux d’obtenir un statut équivalent à
celui des médecins. Ainsi cette loi fait-elle le bonheur de l’Administrateur
délégué de la Fédération belge des psychologues justement parce que les
psychothérapeutes ne seront pas reconnus comme exerçant une profession
distincte de celle des médecins. Ce n’est évidemment pas ainsi qu’il le dit. Le
cynisme est poussé à l’extrême dans une déclaration récente par rapport à ce
projet de loi qui, selon lui, « signifie que l’on opte résolument pour la
qualité et la protection du patient ».
En ce qui nous concerne, nous,
psychanalystes dans le Champ Freudien, sommes heureux d’être du côté d’une
action vigoureuse. Nous considérons qu’à chaque fois que le champ de la parole
est attaqué, il faut se battre. Nous n’avons rien à perdre, car nous ne
demandons pas une reconnaissance de la part du maître. Nous ne faisons
qu’exiger un droit à l’association libre et la liberté comme telle. De là,
notre force. 



————- 


1 : Jean Charles Troadec, « Talk
Therapy », 
Lacan Quotidien n° 556.
2 :
Laurent E., 
Lost in cognition, Psychanalyse et
sciences cognitives
, Nantes, éd. Cécile Defaut, 2008, p. 53

 

Interview parue initialement dans Lacan Quotidien 590
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