Associer son nom et la mort ! Saugrenu. Je ne l’avais jamais vu que joyeux, moqueur, mordant, preste, paradoxal, ignorant le repos, toujours d’attaque. La maussaderie, la dépression, la nostalgie, la souffrance morale, lui étaient étrangères et éveillaient ses brocards. Il se présentait volontiers comme le détenteur d’un savoir secret sur les doubles-fonds de l’actualité, les turpitudes de l’époque et les manœuvres de puissances occultes. Certainement, vous, si entendu du vrai des choses, vous ne pouviez, ce savoir, le méconnaître. Vous partagiez avec le décrypteur ces vérités cachées au commun. Il n’avait donc pas à les dire, il lui suffisait de cligner de l’œil. Il s’établissait aussitôt avec lui une connivence silencieuse, une complicité de cognoscenti. Si vous faisiez mine de ne pas comprendre, il levait les sourcils, il n’en croyait pas ses oreilles, il était déçu, et vous déchu, il devenait caustique. Vous vous le teniez pour dit, et la fois suivante, vous ne rechigniez plus. Alors, quelques minutes avec lui vous étaient une fête, une fontaine de Jouvence. N’allez pas croire pour autant que ses mystères n’étaient que des mystifications. Lisez plutôt Littérature et politique, qui réunit ses chroniques du Journal du dimanche : c’est une sorte d’Envers de l’histoire contemporaine, il s’adonnait avec alacrité à l’art de dévoiler le dessous des cartes. Comment ce persifleur de génie était-il tombé des années durant sous la coupe d’un mentor triste, qui se voulait son directeur de conscience dans la chose littéraire ? Il se libéra de ce lien maléfique quand il laissa derrière lui le Seuil pour rallier Gallimard. Alors Femmes fusa, Te Deum de son émancipation. « Il est temps pour moi de faire une œuvre », me dit-il au moment où il m’invitait à le suivre, avec les séminaires de Lacan dont j’avais la charge.
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