Tradition européenne et éthique contemporaine de la singularité, par Jean-Daniel Matet


Contre le projet de loi sur les professions de la santé mentale !

—–     "Le bien dire vaincra"     —–

!! 3765 amis de la liberté ont déjà signé la pétition à 16:57 !!

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Tradition européenne et éthique contemporaine de la singularité

Par Jean-Daniel Matet

Psychiatre et psychanalyste à Paris, praticien hospitalier honoraire, Président en fonction de l’EuroFédération de Psychanalyse

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C’est au nom d’un vide juridique qu’un homme politique [1], en 2003 en France, chercha à obtenir une réglementation des psychothérapies. La bataille fut vive, mais après coup, on peut dire qu’une certaine raison a prévalu dans ce texte qui a renoncé à légiférer dans un domaine où les arguments sont techniques et où les amalgames sont dangereux dans un champ fragile par essence, parce qu’il concerne l’intimité de ceux qui se confient aux praticiens. Tout un chacun peut avoir un point de vue sur la folie, sur les manifestations psychiques, les symptômes qui affectent l’âme ou le corps des uns et des autres, point de vue d’autant plus radical qu’il concerne un jugement sur un autre qui nous épargnerait de s’en savoir affecté. Pour autant, cette opinion fait-elle loi ? Peut-on imposer à chaque citoyen la manière de profiter ou de pâtir de l’existence, la façon de manger ou de boire, de se vêtir ou de parler ? Le législateur, dans sa sagesse, marque seulement la limite de comportements déréglés par des modes de jouissance qui nuisent à la sécurité des autres citoyens (conduite en état d’ivresse, menace pour la santé par le tabac ou les drogues…).

Pourquoi la majorité au pouvoir en Belgique veut-elle revenir sur une loi équilibrée approuvée par une majorité des professionnels il y a moins de deux ans ? Madame la Ministre chercherait-elle à créer un vide juridique en posant les jalons d’un texte à préciser plus tard ? La majorité gouvernementale belge prépare-t-elle ainsi l’éradication de toutes les pratiques psychothérapeutiques par la parole, et psychanalytique de surcroît ? Ne vous en mêlez pas, me dira-t-on, c’est un problème de politique intérieure belge, dont on ne peut masquer qu’il prend des allures de revanche après un changement de majorité, où les minorités agissantes d’hier entendent bien gagner aujourd’hui. Comment ne pas saisir que tout ce qui se passe aujourd’hui en Europe ne concerne pas seulement ce qui se passe dans son pays, mais prend des allures de test ici ou là, où le lobbying cherche les points faibles des mesures prises localement pour avancer ses pions ailleurs ?

La rigueur scientifique est souvent sollicitée pour discréditer les pratiques de la parole. Cet argument cherche à ruiner toute tentative de sortir du champ des sciences dures ou des sciences expérimentales pour rendre compte des symptômes humains et de leur traitement. Mais qui peut soutenir la radicalité d’une telle position, qui peut affirmer que la toxicomanie ou les troubles alimentaires ne sont que l’effet d’un dysfonctionnement biologique ? L’entreprise DSM a tenté de donner, à travers la communauté des psychiatres américains, un tel instrument de diagnostic à portée universelle. « Trente-cinq ans plus tard – de l’avis même de Robert Spitzer [2] et de son successeur à la tête du DSM, Allen Frances –, le bilan est loin d’être positif. La simplification de la démarche diagnostique a entraîné une perte considérable des connaissances cliniques chez les praticiens car le DSM III et les suivants sont devenus les manuels de référence pour la clinique et l’enseignement alors que le DSM III était conçu à l’origine pour la recherche pharmacologique et les statistiques épidémiologiques. Par ailleurs, la mise en coupe réglée comportementale des symptômes les a transformés en cibles pour des médications ouvrant toute grande la porte à des conflits d’intérêts et à des sur-prescriptions. Nous avons pu observer que tous les comportements et toutes les émotions sont, petit à petit, entrés dans le champ de la pathologie avec une psychiatrisation outrancière de la vie quotidienne, aboutissant à une sur-prévention et à un sur-diagnostic, en particulier chez les enfants. On ne compte plus les fausses épidémies déclenchées par le DSM (Troubles bipolaires, Autismes, Trouble déficitaire de l’attention, etc.) Tout cela alors que le DSM « n’a aucune validité scientifique établie, ses diagnostics reposant sur de simples consensus d’experts. » [3]

Les chercheurs en neuropharmacologie y ont vu un temps la possibilité de disposer d’un outil commun pour les experts, pour les praticiens et pour les patients eux-mêmes. Alors que la version V est parue, l’échec de cette démarche est souligné par un grand nombre et les crédits alloués à la recherche neuro-psychopharmacologique disparaissent. Certains même, des plus scientifiques [4], mentionnent les études qui invalident l’efficacité réelle des antidépresseurs.

Pour pratiquer la psychiatrie, je ne conteste pas radicalement l’effet des psychotropes, mais nous apprenons à en relativiser les indications et à constater que cet effet est corrélatif à la manière dont l’administration du produit, ses bénéfices ou inconvénients, sont commentés et accompagnés. La question des preuves avancée sur les traces de l’EBM [5] comme la méthode scientifique par excellence pose problème en psychopathologie. Dans un débat récent [6] – le 18 avril dernier –, convoqués par Patrick Landman, président de STOP-DSM, six « psys » – professeurs de psychiatrie ou de psychopathologie, psychanalystes – échangent entre eux et avec la salle, sur le modèle des débats du Maudsley’s Hospital qui ont fait autorité, sur la portée de la preuve en psychiatrie. Tous s’accordent à considérer la spécificité du facteur subjectif qui relativise la preuve dans son caractère scientifique. Effets psychotropes et effets de la parole peuvent venir au rang de preuves, mais la démonstration reste biaisée. 

Il apparaît donc que l’attachement à la preuve façon EBM dans le champ de la psychopathologie ressort plutôt de la croyance dans la nécessité d’inclure les psychothérapies dans le champ universitaire et de n’en faire qu’un appendice spécialisé de la médecine, alors que la preuve ponctuelle apportée par telle ou telle technique ne dépend pas d’un savoir universitaire mais d’un champ de pratiques où les associations de formations sont les mieux placées pour en défendre preuves et efficacité. De plus, pourquoi vouloir faire peser sur les budgets publics, particulièrement ceux de la santé qui presque partout en Europe sont en souffrance, la charge de pratiques qui ont trouvé dans leur histoire récente un certain équilibre entre l’offre et la demande ? Certains psychologues, apprentis sorciers, cherchent un remboursement de leur acte professionnel par l’assurance maladie, mais ils doivent savoir qu’ils se précipitent dans un piège dont ils ne sortiront pas. Ils deviendront les agents d’une institution médicale qui cherche à réduire ses coûts et à confier aux non-médecins les tâches qui leur revenaient. Ils deviendront les exécutants d’un dispositif médical où ils n’auront pas voix au chapitre.

La prise en charge de certaines psychothérapies a déjà été obtenue auprès de certaines Mutuelles ou Caisses d’assurance maladie ; vouloir la généraliser, c’est vouloir la faire disparaître. La puissance publique n’a pas les moyens de proposer la prise en charge de toutes les psychothérapies, et sous couvert d’en proposer le remboursement, elle annonce sa disparition pour n’en financer qu’une petite part.

Les traitements par la parole sont solidaires d’une conception de la psychopathologie et de la psychiatrie qui trouvent leurs racines dans l’histoire européenne à travers différents pays. Sans vouloir expliquer tous les passages à l’acte en référence à la radicalisation islamique, rappelons-nous que la contradiction apparente entre l’orientation homosexuelle de l’assassin d’Orlando et sa haine des gays peut trouver sa logique dans une clinique qui aurait pu éclairer sa dérive radicale et inquiéter son entourage, au point de lui proposer des soins. Il y a quelques années, dans la banlieue parisienne, nous avons reçu de tels patients, prévenant ainsi leur passage à l’acte.

Les psychiatres savent bien qu’il n’y a pas d’incidence immédiate de la suspension de leurs moyens d’agir. Elle ne survient que plusieurs années après, comme nous l’avons vu en Italie, comme nous le voyons en France, à constater le nombre impressionnant de personnes sans domicile fixe qui refusent les mesures sociales qui leur sont proposées.

Madame la Ministre, ne trouez pas ce tissu de dispositifs de soins et d’accompagnement qui met tant de temps à se déployer. Nos pratiques interpellent chacun au niveau éthique de son savoir-faire. Les moyens de régulation de ces pratiques existent à travers les ordres professionnels ou les associations reconnues d’utilité publique qui garantissent la formation. Pourquoi détruire ce maillage fin et adéquat qui respecte la possibilité pour chacun de faire entendre et de traiter ce qui le fait souffrir ou l’égare ?

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[1] Accoyer Bernard, Député chef du groupe RPR à l’Assemblée nationale française puis président de l’Assemblée de 2007 à 2012.

[2] Spitzer Robert, Président de la Task Force du DSM III, mort en 2015.

[3] Landman Patrick, sur le blog de STOP-DSM, après la mort de Robert Spitzer.

[4] Gonon F., « Qu’appelle-t-on une preuve en psychiatrie ? », le 8 avril 2016.

[5] EBM : Evident Based Medicine, traduit par « Médecine par les preuves ».

[6] Les débats publics de la psychiatrie d’aujourd’hui et de demain, « Qu’appelle-t-on une preuve en psychiatrie ? », le 8 avril 2016 avec Francis Drossart, François Gonon, Bernard Granger, Éric Laurent, Antoine Lesur, Denis Leguay.






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