Vers le congrès de la NLS : “La constance du passage à l’acte et la crise des noms” par Dominique Laurent [LQ 415]

 
Vers le congrès de la NLS 
Moments de crise
Genève, 
9 et 10 mai 2015
 

LIEN
VERS LACAN QUOTIDIEN N° 415

Excellent texte paru dans Lacan
Quotidien n°415.

[lien complet 
ci-dessus]

Dominique Laurent y articule le
thème de la crise à la clinique du passage à l’acte, reliant la question au
prochain congrès de la NLS.

 
 

La constance
du passage à l’acte et la crise des noms

par Dominique Laurent

 

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Le 23 mai dernier, à Isla Vista en Californie, un jeune
homme de 22 ans, «privilégié de Hollywood », Elliot Rodger, a tué trois
personnes et blessé treize autres près du campus de l’université de Californie
Santa Barbara, après avoir assassiné trois étudiants dans son appartement.
Pourchassé par la police, il se suicidera dans sa BMW accidentée et immobilisée
dans un parking. Ce carnage a été inauguré par l’envoi sur Youtube et Facebook d’une vidéo intitulée « Le jour
du châtiment » dans laquelle il donne les détails de son attaque imminente et
les motifs du massacre. Il veut punir les femmes de l’avoir rejeté, ainsi que
les hommes sexuellement actifs dont la vie est meilleure que la sienne. Après
avoir téléchargé la vidéo, il envoie par email un très long manuscrit
autobiographique intitulé « My wrong world » à sa famille, à son
thérapeute et à une douzaine de personnes de son entourage.

 

Il y décrit son enfance, les conflits familiaux, sa
frustration envers les filles, sa haine des femmes, son mépris des minorités
raciales et ses plans pour le massacre. « Son écriture est claire et précise. Il
n’a rien de la qualité délirante que l’on observe dans l’écriture de personnes
souffrant de psychose », dit le Dr Michael Stone, psychiatre judiciaire new
yorkais… (1). On apprend qu’il s’est entraîné au maniement des armes à feu en
septembre 2012, qu’il acquiert dans la foulée un premier pistolet, puis deux
autres en 2013. Onze mois avant le massacre, au cours d’une fête, il a tenté de
pousser une jeune flle d’une corniche en proférant : « Je vais les tuer, je vais
les tuer, je vais me tuer ». Il avait cessé d’aller en cours et passait sa vie
en ligne.

 

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Il avait toujours joué en ligne avec World of
warcraft,
mais il était passé récemment sur des sites attirant de jeunes
hommes frustrés sexuellement. Sur PUAhate, il exprime « son dégout des
femmes… et invite les célibataires involontaires à se battre… à renverser le
système féministe oppressif, à envisager un monde où les femmes les craindront
». Sur Bodybuilding.com, il avait envoyé une vidéo intitulée « Pourquoi
les filles me détestent-elles tellement ? » qui a suscité des commentaires
variés et critiques, l’un considérait que « la vidéo le faisait ressembler à un
tueur en série ».

 

Ces activités récentes contrastent avec ce que tout son
entourage rapporte de lui. C’était un enfant introverti, solitaire, distant,
énigmatique. Au moment du divorce très difficile de ses parents, sa mère, Li
Chin, demandait plus de soutien de la part du père au nom de l’autisme de haut
niveau de leur fils alors âgé de huit ans. Travaillant dans le milieu du cinéma,
les parents, en particulier la mère, se sont beaucoup impliqués dans les soins
de leur fils. Mise en place de thérapies, prise d’antipsychotiques, changements
successifs d’écoles nécessités par des crises de panique pendant lesquelles il
restait pétrifié par un sentiment de moqueries de la part de ses camarades, par
un désinvestissement scolaire. Mr Smith, psychologue du comportement, devenu
principal de l’établissement spécialisé dans lequel Elliot a réussi à passer son
diplôme de fin d’études, considère qu’il présentait les symptômes classiques du
syndrome d’Asperger. Il était socialement maladroit, avait du mal à établir un
contact visuel, restait très isolé et était très intelligent.

 

Dans un article du New York Times daté du 21 juin,
Benedict Carey note que ces fusillades ont braqué un projecteur sur le système
de santé mentale et en particulier sur la façon dont il gère les jeunes hommes
présentant des traits agressifs (2). J. Reid Meloy, psychologue judiciaire à San
Diego et éditeur de l’International handbook of Threat Assessment,
considère que « la plupart des gens qui passent par ce type d’états n’agit
jamais de manière violente » ; même ceux qui profèrent des menaces ou font des
préparatifs ne basculent pas dans la violence ; « On ne peut pas prédire qui le
fera ou pas ». E. Jane Costello, épidémiologiste en psychiatrie à la faculté de
médecine de l’université de Duke, considère qu’un adolescent sur 100 s’inscrit
dans cette catégorie ; ces jeunes gens font l’objet de diagnostics multiples et
se montrent résistants au traitement. Comme son collègue de San Diego, il
observe que la plupart d’entre eux ne commettent jamais de crimes violents et
encore moins d’atrocités.

 

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 B. Carey examine
aussi les difficultés d’une autre famille, la famille Serpico, pour souligner
les difficultés auxquelles sont confrontées des milliers d’autres. Cette famille
aisée a adopté les deux enfants d’une mère toxicomane. Dès l’âge de quatre ans,
leur fils aîné a reçu le diagnostic de trouble de l’hyperactivité et déficit de
l’attention. Il lui sera prescrit de la Ritaline à l’âge de six ans. Ce
traitement l’a, semble-t-il, aidé. Il a pu suivre sa scolarité, faire du sport
et de la musique. Les choses se compliquent au moment de sa première rencontre
amoureuse. Il devient triste, s’isole, exprime des idées de suicide. Il fait sa
première tentative de suicide à 14 ans et annonce sur un réseau social ses plans
pour un second suicide en exhibant ses bras scarifiés. Hospitalisé brièvement la
première fois, il est confié aux soins d’un psychiatre en ville. L’annonce de la
seconde tentative est suivie d’une hospitalisation tout aussi
brève.

 

La compagnie d’assurance refuse alors la couverture des
soins dans un établissement de plus longue durée, car le médecin n’est pas
certain que ce traitement soit le meilleur. Au terme de deux jours de
négociation, de menace de la part de la famille de faire porter la
responsabilité du suicide à venir de leur fils à la compagnie et de le faire
savoir dans les journaux, un accord permet de couvrir les frais d’une
hospitalisation renouvelée de semaine en semaine.

 

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 L’adolescent revient
chez ses parents deux mois après, plus troublé que jamais. La police d’assurance
haut de gamme des parents permet cependant de couvrir les frais des visites
régulières chez les psychiatres qui ont donné de nombreux diagnostics.
Dépression, trouble bipolaire, troubles de la personnalité, border line,
attachement réactif. Il lui a été prescrit des antidépresseurs, des
stabilisateurs de l’humeur, du Risperdal, des tranquillisants pour calmer son
agressivité. Sans beaucoup d’effet. Le jeune homme menace toujours de se tuer.
Il s’est mis à fumer de la marijuana, à utiliser des antalgiques sur ordonnance,
à devenir provocant, à désinvestir l’école. Dans le même temps, il se montre
violent physiquement avec sa mère. Des appels à la police n’ont aucune suite.
Des hospitalisations de jour sont mises en place. Il s’en fait expulser par
manque de participation où parce qu’il y vient avec une lame de rasoir. De
l’avis du médecin et du thérapeute, il n’y avait qu’une option : un séjour dans
un établissement de soins de longue durée. Le coût de l’opération variant de
10000 à 60000 dollars par mois, les parents, même avec une bonne assurance, ne
peuvent pas suivre. Au terme d’une procédure, la famille obtient du district
scolaire de couvrir les frais d’une école thérapeutique dans le Montana pour une
année universitaire.

 

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 B. Carey constate
que bien que le Congrès ait pris des mesures pour que les assureurs couvrent le
traitement des maladies mentales, comme ils le font pour le cancer ou le
diabète, les Serpico ne peuvent pas financer un traitement hospitalier de longue
durée comme l’état de leur fils le nécessite. La libre circulation des armes,
l’usage de toxiques, le coût des soins, la multiplicité des diagnostics et des
thérapeutiques, le rejet des soins rendent d’autant plus aigu la crainte du
passage à l’acte auto ou hétéroagressif. Ces deux cas, notons-le, appartiennent
à des classes aisées. Que dire alors des patients issus de classes défavorisées
?

 

Mais les États-Unis seraient-ils les seuls à être
concernés ? La France offre une palette de soins étendue en psychiatrie,
couverte par l’Assurance maladie. Elle a des organismes comme l’Aide Sociale à
l’Enfance et la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Elle permet des mesures de
protection juridique dont les juges prennent la mesure et qui peut éviter le
passage par la case prison, prison dont les statistiques indiquent qu’un tiers
des sujets incarcérés est psychotique. La France exerce un contrôle strict sur
le port d’armes. Cependant, ces dispositifs sont débordés. Il n’est pas rare
d’attendre plusieurs mois avant d’avoir un rendez-vous dans un centre de
consultation public. Les encadrements budgétaires influent sur la durée des
hospitalisations, sur le recrutement des personnels spécialisés, sur la
fréquence des consultations. La vente illégale des armes via internet ou
d’autres réseaux prolifère. L’usage des toxiques est très répandu à tous les
niveaux de la société. Enfin, si la souffrance psychique affecte toutes les
classes de la société française, elle se révèle très grande chez les migrants au
parcours traumatique.

 

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Au-delà de ces considérations sur l’Autre social ou
économique, que dit la psychiatrie ? Le DSM-5 et sa fragmentation en
items cliniques ont largement pénétré le système de santé français. Mais à
mesure que la fragmentation clinique se répand, le passage à l’acte devient de
plus en plus énigmatique. La prescription de Ritaline ou de psychotropes variés
est entrée dans les mœurs médicales. La montée en puissance, au nom d’une fausse
universalisation scientifique, de pratiques élevées à la dignité de
psychothérapie et qui ne relèvent que de la rééducation et de l’apprentissage,
se révèle illusoire pour le traitement du passage à l’acte. Les diagnostics et
médications multiples que reçoivent ces sujets témoignent de l’impuissance de la
clinique du DSM à nommer ces actes impossibles à réduire par la
prévision.

 

Le prochain congrès de la NLS sera consacré aux «
moments de crises ». Ce sera l’occasion d’explorer ce que Jacques-Alain Miller a
donné comme définition psychanalytique du terme de crise, qu’illustre ici le
passage à l’acte : « Il y a crise quand le discours, les mots, les chiffres, les
rites, la routine, tout l’appareil symbolique, s’avèrent soudain impuissants à
tempérer un réel qui n’en fait qu’à sa tête. »
(3)

 

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1. A. Nagorney, M. Cieply,
A. Feur, I. Lovette, « Before Brief, Deadly Spree, Trouble since age 8 »,
New York Times, 2 juin

2014.

2. Carey B., « Seeing
Sons’ Violent Potential, but Finding Little Help or Hope
», New York
Times
, 21 juin 2014

3. Cf. Miller
J.-A.,
Interview sur la crise
économique
, Marianne, 2008, cité par Gil Caroz, présentation du congrès de la
NLS (9-10 mai 2015 à Genève), « Moments de crise », sur
https://amp-nls.org/page/fr/170/le-congrs







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