Vers le Forum Européen à Turin — Eugenio Díaz – Sergio Caretto

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Images intégrées 3
 
 
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La bourse ou la vie

 

Eugenio Díaz

J’écris cette collaboration au moment où un débat est ouvert sur  la situation en Catalogne et aussi pour la crise politique et donc du lien social qu’une telle situation comporte, dans un moment où la tension, la préoccupation, l’incertitude sont au maximum.

Il n’y a pas longtemps, lors des journées de la ELP du 2015 qui ont eu lieu à Barcelone sous le titre « Crise, qu’en disent les psychanalystes ? », nous avons appris et aussi constaté que la crise est consubstantielle à l’humain et que « vouloir la guérir peut être parfois la meilleure façon  d’alimenter cet impératif – guérir – et ses effets  dévastateurs, si l’on n’analyse pas avant le signifiant qui ordonne – dans tous les sans du mot ordonner- cette jouissance imposée au nom du bien » (Bassols) ; et en parlant de l’actualité, j’y ajouterais, au nom d’une jouissance imposée d’un Bien prétendu qui serait celui de l’unité indissoluble, soit de la nation, soit du peuple.

Savoir ceci ne m’empêche pas d’éprouver une sensation d’échec collectif, et donc personnel. Une jouissance de l’échec par laquelle je ne veut pas être envahi, raison par laquelle j’apporte cette petite idée à discuter parmi d’autres déjà exposées diverses, discordantes, pour une exploration au fil de l’impossible et à fin de ne pas rester dans l’impuissance et l’observance de la poussée au pire.

Dans le Séminaire XI, Jacques Lacan pose – à propos des opérations de causation du sujet, aliénation et séparation – l’élection forcée que suppose la première. Là, en se servant d’un Witz presque visuel, il signale que dans l’élection entre la bourse (le tout pourrait-on dire) el la vie, c’est forcé de choisir la vie, mais qu’en la choisissant, la vie ne peut déjà être sino découpée. C’est donc une perte ce que cette élection implique.

Lacan parle encore d’une deuxième opération, celle de la séparation, que bien lue, inclue aussi la perte, puisque ce qui est en jeu dans ce s’accoucher est un retour à l’aliénation primaire mais déjà d’une autre manière (non sans perte donc). Il n’y a pas de séparation qui n’implique pas un lien, un lien nouveau. Sinon cette séparation serait passage à l’acte.

Ce lien dans le commun -Lacan le dira tout au long de son enseignement de très différentes manières – c’est possible à partir de la solitude et la singularité du sinthome. C’est avec ça qu’on peut faire communauté, sinon nous serions plutôt dans la psychologie des masses.

Alors, aliénation et séparation se trouvant trouées, elles incluent une perte, même s’il y a aussi quelque chose que s’y ajoute: un nouveau lien à l’Autre, un Autre déjà barré, une fois tombées les identifications qui avaient occupé le lieu du « pas tout », le lieu « d’il n’y a pas ».

Toujours dans les mêmes chapitres du Séminaire XI, Lacan parle de l’élection de l’esclave qui est plutôt de l’ordre de liberté ou mort. Pour l’esclave d’élection forcée est au prix de la vie. Quand la vie n’a aucune valeur, on choisit entre la vie où la mort.

Je pensais, pour revenir à l’actualité, qu’au nom du tout, c’est-à-dire le fait de croire que c’est possible d’avoir et la bourse et la vie – ce qui est d’une certaine manière le pari indépendantiste-, une autonomie pourrait être perdue, une autonomie qui est une vie non-toute, découpée, mais après tout une vie.

Dire que le pari indépendantiste est un tout, c’est une manière de signaler le maximalisme auquel sont arrivées les positions qui l’impulsent – par exemple, et parmi d’autres choses, en assimilant le désir de décider, de se séparer, de devenir indépendant (sur lequel il n’y a rien à dire) au droit à décider (qu’on peut mettre en question). Un tel maximalisme à été atteint avec l’aide inestimable du gouvernement espagnol qui n’a fait aucune politique – en tout cas aucune digne de ce nom – et qui a plutôt agit à la manière des frères Marx « plus de bois est la guerre », comme il est arrivé lors de néfastes actuations policières du premier octobre, mais aussi dans de beaucoup d’autres moments au cours de ces dernières années.

Je pense aussi que, tel que quelqu’un qui s’y connaît me le disait, dans la mise en scène de l’indépendance il y a eu un forçage : Il s’agirait de démontrer l’incurable de l’État espagnol (et ceci davantage que du gouvernement) pour que l’indépendance comme seule sortie possible en résulte justifiée. De notre côté, nous savons que l’incurable, tout en étant plus ou moins supportable en dépendant des subjectivités et des récits, c’est pour tous, au même temps qu’il n’est pas tout à fait réductible.

Ce forçage inclut « logiquement » un transvasement : transformer l’élection forcée du sujet dans celle de l’esclave. Transvasement qui n’est que banalisation de la dite élection, celle du vrai esclave.

Alors que j’écrivais cette collaboration, j’ai écouté un conseiller de la Gerenalitat dire ce qui suit : « La République n’est plus une élection, c’est un besoin absolu de survie. »

Et bien, lorsqu’il ne s’agit pas d’une élection, ça devient une question « de vie où de mort ». Soustraire le sujet à son élection forcée nous mène à  la banalisation de l’élection entre liberté ou mort.

Banaliser cette élection, et aussi le fait d’appliquer une loi sans s’y avoir inclus préalablement une politique sachant que « l’inconscient est la politique », (méconnaissance qui est aussi une banalisation), est une affaire avec conséquences incalculables pour le lien et pour la vie.

 

Traduit par Azucena Bombín

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Turin, occasion d’un réveil

 

Sergio Caretto

 

Que la démocratie ne soit pas une condition de lien garanti une fois pour toutes est un fait que nous rencontrons aussi bien dans l’histoire passée que de nos jours. Parfois, nous nous endormons avec l’idée que les droits acquis au prix de dures batailles par ceux qui nous ont précédés, se maintiennent inaltérés dans le temps, oubliant l’avertissement, attribuable sauf erreur à la plume de Goethe, « Qui s’endort dans la démocratie se réveille dans la dictature ». Une mise en garde donc à rester en alerte dans la démocratie pour ne pas se retrouver, presque sans s’en rendre compte, privés des droits dont on jouit dans la démocratie.

Et si la démocratie aujourd’hui tendait plutôt à faire dormir le sujet, et la dictature, au contraire, à susciter le réveil ? Pourquoi la démocratie favoriserait-elle  une certaine anesthésie du sujet, elle qui justement se propose comme le lien dans lequel le conflit brûlant peut trouver domicile, conflit lié au désir et à la tentative de faire tenir ensemble des positions subjectives parfois différentes et très distantes entre elles ? Il était bien clair pour Freud que le conflit et le désir sont inséparables. Il tirait de l’expérience analytique la leçon impensable jusqu’alors, et aujourd’hui encore, du symptôme comme résultant du conflit entre les exigences pulsionnelles qui ne peuvent être entièrement résorbées par la voie du langage, et les exigences de la civilisation, qui impose à chacun un renoncement pulsionnel, en échange d’un « plus » en terme de sécurité. Le symptôme, formation de compromis, serait dans ce sens une formation démocratique produite par le travail de l’inconscient, au moment où il tente de parvenir à un accord avec une jouissance qui ne cesse de rentrer sur la scène, conformément aux modalités de son expulsion. L’expérience analytique, au fond, tire sa politique en réduisant le symptôme à son os, et en conduisant le sujet au bord de ce trou inclassable qui provoque le désir décidé comme une réponse possible. Dans ce sens, la politique de la psychanalyse est une politique  du pas-tout, une politique de l’osso bucco, pour la traduire sous la forme de la spécialité culinaire du Piémont. L’analyse enseigne que se faire responsable de la jouissance qui nous concerne dans notre misère et notre division, plutôt que de la rejeter dans le champ de l’Autre, est une condition nécessaire pour accueillir l’autre dans sa différence radicale et pour traiter de manière créative le conflit qu’une telle différence porte en elle. Traiter tout ce qui se produit en terme de symptôme, tant au niveau du singulier qu’à celui du collectif, devient donc une des conditions pour que la rencontre avec l’altérité n’engendre pas que de la haine et du rejet. En ce sens, comme psychanalyste-psychanalysant, nous avons la responsabilité dans la cure, comme dans le discours social dans lequel nous vivons, non seulement de nous souvenir de ce que Lacan affirme dans la « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école » : il y a un réel en jeu dans la formation du psychanalyste et celui-ci tend à être méconnu, aussi bien au niveau du singulier qu’au niveau du collectif, mais aussi de se précipiter à incarner de manière avertie ce réel singulier dans une cure, comme dans le discours collectif dont nous faisons partie et qui nous détermine.

Jacques-Alain Miller, par son acte, « immonde » de structure, se fait une fois encore cause de réveil en secouant les Ecoles afin que les analystes ne s’endorment pas face à la méconnaissance ou le rejet du réel en jeu aujourd’hui dans le champ de la politique. Effets qui se manifestent aujourd’hui dans toute leur puissance destructrice dans le champ du politique et qui menacent cette forme de lien que nous appelons la démocratie. Effets que leur évidence même, à l’instar de la lettre volée, rend d’autant plus invisibles.

Ce que je me demande, c’est ceci : peut-être que dans la démocratie, aujourd’hui plus qu’hier, nous nous endormons depuis que la jouissance, sous l’empire de laquelle nous « vivons », inhibe la dimension conflictuelle ? Je me souviens d’une intervention de Rosa Elena Manzetti dans laquelle, il y a déjà des années, elle mettait en lumière dans un séminaire une certaine phobicisation du sujet contemporain face à la dimension conflictuelle. Au fond, l’évitement du conflit est aujourd’hui aussi favorisé par la possibilité d’établir des liens en l’absence des corps, et en croyant qu’il suffit d’activer un bouton pour éviter la rencontre là où se manifeste à l’horizon le malentendu ou le conflit. Mais une démocratie qui recule devant le conflit ne se réduit-elle pas peut-être à une forme vide et à l’exercice bureaucratique du pouvoir, une démocratie des énoncés qui de fait s’écroule à la première confrontation avec le dire singulier de chacun ? Hannah Arendt mettait clairement en lumière le lien entre une bureaucratisation aveugle et apparemment neutre, et l’avènement du totalitarisme.

Le forum de Turin est pour moi l’occasion de vérifier combien le dire de chacun provoque le dire de l’autre, et puis de l’autre encore, en constatant ainsi, en acte, que la démocratie est ce champ désirant, jamais garanti, qui se réalise à partir des effets d’un dire qui prend corps et qui donc fait place à la singularité du sujet, qu’il soit singulier ou collectif, plutôt que de l’éjecter, sur la voie du camp de concentration, toujours à l’horizon. Le forum de Turin est l’occasion d’un réveil. Nous vous attendons à Turin avec « sa » Théorie de l’Ecole sujet (théorie de Miller), ses portiques, ses bicerin, ses ossi bucchi et sa lalangue.

Traduzione di Violaine Clément

 

 

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