Rapport de la Société Hellénique : Toxicomanie : une solution subjective ?

SOCIÉTÉ HELLÉNIQUE – NLS
2e Conversation du TyA à Athènes

Toxicomanie : une solution subjective ?

Samedi 3 novembre 2012

Rapport par Eleni Rigoutsou, membre de la SH-NLS

Le samedi 3 novembre 2012 s’est tenue, à l’amphithéâtre de l’Hôpital Général d’ Athènes « G. Gennimatas », la 2e Conversation du TyA à Athènes avec la participation de notre invité Pierre Malengreau. Cette journée de travail a été organisée par le réseau TyA-Grèce en collaboration avec la Société Hellénique de la NLS.

Devant un auditoire de 70 personnes, Epaminondas Theodoridis, responsable du réseau TyA-Grèce, a introduit le thème de la Conversation en rappelant la thèse de J-A Miller : l’addiction est  « la racine du symptôme qui est fait de la réitération inextinguible du même Un », c’est-à-dire que cette jouissance de l’Un ne s’additionne pas mais se réitère. L’addiction comme racine du symptôme est l’incidence du langage sur le corps vivant, ce choc initial hors de tout sens.

Ensuite, Pierre Malengreau – membre de l’Ecole de la Cause freudienne (ECF), analyste membre de l’Ecole (AME) et enseignant à la Section clinique de Bruxelles – a ouvert les travaux par son intervention : Le sujet dit « dépendant » et ses partenaires.
Il s’est posé la question du statut de la
dépendance : est-elle une solution, un symptôme?
Le symptôme est un repère qui oriente la jouissance singulière d’un sujet sur la manière dont il traite cette jouissance.

Comme P. Malengreau l’a souligné, dans certains cas ce repère est absent et il faut transformer la consommation en symptôme. Dans d’autres cas, ce repère est tellement présent que nous pouvons à juste titre nous demander s’il convient de le mettre en question. Et dans d’autres cas encore, la consommation brouille les pistes, et notre travail alors est de chercher de quel symptôme le sujet se protège. Il s’agit dans ce cas de déplacer l’attrait de la consommation vers ce qui a réellement valeur de symptôme pour lui.
La mise en forme symptomatique d’une jouissance constitue une situation favorable pour l’analyse.

Un sujet dépendant d’un objet de consommation est souvent un sujet en manque de symptôme.
Se demander si une dépendance a valeur de symptôme est donc une question cruciale pour la direction de la cure. Mais c’est aussi une question cruciale pour le sujet lui-même. La psychanalyse appelle le sujet à prendre position, à être responsable de ce qui lui arrive.

En présentant le cas clinique d’un homme dépendant, Pierre Malengreau a souligné 3 points:

  • l’expérience de dépendance se situe toujours du côté des excès, du côté de ce qui est en trop. C’est pour cela que nous pouvons parler de jouissance.

  • Un sujet dépendant est un sujet désorienté.

  • Le manque est à l’horizon de la moindre des expériences de dépendance. L’Un de la jouissance chez le sujet dépendant, est l’Un d’un ratage.

A travers les échecs, les impasses et les répétitions, le sujet dépendant nous apprend ainsi qu’il y a toujours une jouissance en trop, une jouissance au-delà des limites de l’humain1.

P. Malengreau s’est donc posé la question : que peut-on attendre d’une psychanalyse ?
“Une psychanalyse est la cure qu’on attend d’un psychanalyste”
2.
Autrement dit, la psychanalyse dépend de la relation qu’un psychanalyste entretient avec le discours analytique du fait de son propre engagement dans une psychanalyse
3.
Jacques-Alain Miller parle du
Lieu Alpha4:

  • Le lieu Alpha est un espace de discours.

  • Le lieu Alpha est une “réponse”.

  • Le lieu Alpha est le lieu d’une mutation. Il s’agit de se brancher sur son inconscient. La psychanalyse offre au sujet dépendant, la possibilité de prendre appui et d’accrocher sa jouissance à des signifiants qui lui sont propres.

  • Cette mutation de la parole “tient à ce que nous appelons le transfert”5. Faire aujourd’hui l’hypothèse de l’inconscient, c’est supposer savoir lire autrement ce qui vient, c’est supposer savoir lire autrement ce qui se met en travers de ce que nous sommes en train de dire. De quel autrement s’agit-il ? Lacan le précise. C’est là l’indication que Lacan avance : manquer autrement veut dire prendre en compte cette équivoque entre réel et langage. Savoir-lire-autrement veut dire s’ouvrir à ce que Lacan nomme l’équivoque entre le langage et le réel.

La question pour P. Malengreau est de savoir comment se faire partenaire d’un sujet qui ne trouve pas dans le symbolique un appui suffisant pour traiter sa jouissance.
La dimension paradoxale de la démarche du
sujet dépendant s’avère être au fil des séances, un problème de nomination qu’il n’arrive pas à transformer en symptôme.
Il y a deux formes de nomination. L’une «consiste à réduire la nomination à une désignation»
6. L’autre approche de la nomination considère que le sujet se nomme lui-même quand il parle. Il s’agit dès lors de penser un autre usage de la parole, un usage de la parole tourné vers l’impact que les mots peuvent avoir sur le corps avant toute détermination de sens.

Après l’intervention principale, trois collègues grecs, membres de la Société Hellénique de la NLS qui travaillent dans des institutions pour toxicomanes, ont présenté des cas cliniques qui ont été discutés avec le public et commentés par Pierre Malengreau.

Thanos Xafenias a présenté trois cas de femmes toxicomanes qu’il suit au programme de substitution où il travaille. Ce qui caractérise ces trois cas est l’absence d’une question de la part du sujet et de sa relation à l’Autre. P. Malengreau a souligné qu’il y a l’Autre de la rue, l’Autre du programme et l’Autre de la parole. Dans ces cas, ce qui favorise le transfert c’est que l’analyste respecte la volonté des sujets de parler ou de ne pas parler.

Despina Andropoulou a présenté le cas de Théodora, jeune fille toxicomane qui invente différentes réponses, toutes au caractère temporaire, afin de se faire intégrer et de s’extraire du chaos du réel. P. Malengreau a mis l’accent sur la relation à l’analyste qui la stabilise.

Artemis Xeila a présenté le cas d’Aphrodite, jeune femme toxicomane de 27 ans, qui se met en position de déchet dans son rapport à l’Autre afin de trouver une identité. P. Malengreau a distingué deux faces chez cette femme: celle du passage à l’acte qui se drogue et celle qui dialectise ses pensées, ses relations et utilise le transfert afin qu’elle puisse construire une solution.

Ces exposés témoignent de l’éthique qui préside au travail avec ces sujets dits toxicomanes, un travail orienté par la psychanalyse qui n’efface pas la singularité du cas.

1 Pierre Malengreau, « Clinico del toxicomano », Pharmakon, 2010, 11, p.38.

2 Jacques Lacan, « Variantes de la cure type », Ecrits, p.329.

3 Pierre-Gilles Gueguen, « L’addiction généralisée », conférence à Saint Brieuc, 2012, inédite.

4 Jacques-Alain Miller, « Vers PIPOL 4 », Mental n°20, p.186.

5 Jacques-Alain Miller, ibid, p.187.

6 Eric Laurent, « Une psychanalyse orientée vers le réel », L’avenir de l’autisme, p.117.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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