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GIEP
Seminar 
On the relationship and difference 
between clinical and analytical training 
with Khalil Sbeit
                                          
Dates:   23 February, 09 March, 30 March – 2021 
  Time:  20:00 Israel time (tentative)
Language: Arabic only
Link to website: https://giepnls.com

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Événement de corps et fin d’analyse

"L’écriture est une trace où se lit un effet de langage"
— Lacan, XX, 110



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Anne Lysy
Événement de corps et fin d’analyse

J’entre dans le thème « Corps et résonances » [1] par une question qui me tarabuste depuis quelque temps : qu’est-ce qu’un « événement de corps » et n’y a-t-il pas lieu de le distinguer de ce qu’on appelle plus couramment « phénomène de corps » ? Ou plutôt : qu’on appelait, car il me semble qu’aujourd’hui l’usage d’ « événement de corps » se généralise et tend à se confondre avec « phénomènes de corps ». Cela peut paraître couper les cheveux en quatre, mais à l’horizon, cela concerne ce sur quoi porte l’opération analytique, sa fin et ses moyens, l’interprétation.
 
Je vous propose donc de resituer d’abord cette notion d’événement de corps et je vous dirai ensuite ce que certains témoignages de passe m’ont appris à ce sujet, ou comment ils m’ont interpelée. Ces témoignages nous offrent un belvédère sur la pratique analytique aujourd’hui et sur ce à quoi une analyse peut mener.
 
Evénement de corps / phénomènes de corps 
 
Le syntagme « phénomènes de corps » a fleuri dans notre clinique des psychoses et il s’est étendu à une grande variété de phénomènes, grosso modo à tout ce qui arrive au corps – symptômes de conversion hystériques, phénomènes psychotiques, psychosomatiques, douleurs étranges et toutes sortes de bizarreries. Quel statut ont-ils ? Par exemple, celui qui est saisi de vertige quand on lui annonce la mort de son frère ; celle dont les yeux s’infectent à chaque prise de parole publique ; celui-là encore, envahi de frissons en parlant de son histoire. Il s’agit bien de quelque chose qui arrive au corps, mais appellera-t-on cela événement de corps ?
 
Une première piste. Lors d’une Conversation clinique[2], J.-A. Miller faisait la distinction entre « les phénomènes à éclipse et les phénomènes permanents » : « On qualifie les phénomènes de corps de ‘sinthomes’ quand ils s’installent en permanence et qu’ils ordonnent la vie d’un sujet. »
 
Sinthome – écrit avec TH : c’est un néologisme, l’écriture nouvelle que Lacan donne du symptôme, pour marquer qu’on passe à un nouveau régime du rapport du signifiant et du corps.
 
Lacan définit le symptôme comme « un événement de corps » dans son texte « Joyce le Symptôme » de 1976[3]. C’est la seule fois que surgit l’expression, mais J.-A. Miller l’a extraite pour en faire une notion-clé du dernier enseignement de Lacan et la situer dans la série des nouveaux concepts introduits par le renversement de perspective du Séminaire XX, Encore, où le signifiant a des effets de jouissance et non plus de mortification: le parlêtre, lalangue, et le sinthome. Le sinthome, c’est « quelque chose qui est arrivé au corps du fait de lalangue » [4]. J.-A. Miller oppose le symptôme comme formation de l’inconscient, qui est déchiffrable et révèle le désir inconscient, au symptôme événement de corps qui relève du registre de la jouissance indéchiffrable, « jouissance opaque d’exclure le sens », écrit Lacan[5].
 
La jouissance suppose le corps ; un corps vivant, qui n’est pas l’image spéculaire, mais qui se définit comme « ce qui se jouit » ; non pas d’une jouissance naturelle, primaire, mais de par l’impact de la langue.
 
L’événement de corps, c’est la « percussion » de la langue sur le corps[6], c’est le traumatisme de la langue.
 
Cet accent sur la jouissance  – et donc sur le corps – se répercute dans la pratique analytique, qui devient « une discipline de jouissance » [7], où la question « qu’est-ce que ça veut dire ? » est subordonnée à une autre : « qu’est-ce que ça satisfait ? » « Chercher là où ça jouit » [8] ! Dans une analyse, donc, certes on déchiffre les symptômes, mais c’est pour viser le réel du symptôme, au-delà du sens, au-delà des détours du désir. Lire un symptôme, dit J.-A. Miller, « vise ce choc initial », « vise à réduire le symptôme à sa formule initiale, c’est-à-dire à la rencontre matérielle d’un signifiant et du corps, au choc pur du langage sur le corps ». C’est « viser (…) la fixité de la jouissance, l’opacité du réel » [9].
 
L’événement de corps se situe au niveau de la fixation freudienne, là où le traumatisme fixe la pulsion à un point qui sera le fondement du refoulement. L’expérience analytique mène donc à un « en deçà du refoulement » [10],  à la zone de l’Urverdrängung, qui est un refoulement jamais annulé, un point opaque, un trou, dira Lacan[11]. Le choc de lalangue et du corps est de l’ordre d’un réel sans loi[12]. J.-A. Miller précise : « C’est un événement qui est aux origines mêmes du sujet, c’est en quelque sorte l’événement originaire et en même temps permanent, c’est-à-dire qu’il se réitère sans cesse. » [13]  On retrouve la notion de permanence. Il est initial, mais il itère, pas à la manière du retour du refoulé, mais comme itération d’un même Un de jouissance. Le sinthome comme événement de corps est, au sens fort, condition du parlêtre, constitutif, c’est en quelque sorte le point d’ombilic du sujet, opaque, hors sens, ineffaçable, incurable, « ce que beaucoup de personnes ont de plus réel », dit Lacan[14].
 
On entre sur un terrain glissant, quand on utilise le mot « à l’origine ». S’agit-il de le « retrouver » ? Le choc initial de l’événement de corps est-il repérable comme tel ? Se dit-il ? Ou s’éprouve-t-il – tel la jouissance féminine, impossible à dire ? Qu’est-ce que le Un de jouissance : une sensation, une lettre, un mot qui a frappé, un son ?
 
L’analyse peut mener à serrer un point d’indicible singulier. On peut entendre dans certains témoignages de passe que l’initial se trouve cette fois « au-delà », « outre [15]» : le sinthome se cerne au-delà de ce qui soutient le sens, le fantasme, les identifications majeures.
 
La clinique de la passe
 
Les témoignages de passe nous touchent et frappent par leur diversité. Il ne s’agit donc pas d’effectuer un forçage en les lisant comme une application conforme à une théorie – même si on ne peut pas faire comme si aucune théorie de la fin de l’analyse n’existait ! L’important, c’est de ne pas tomber dans la langue de bois.
 
Nombreux sont les passants qui témoignent de quelque chose qui arrive à leur corps en fin d’analyse. Souvent cela s’associe à une « vivification », un « plus de vie ». Les exemples sont singuliers, surprenants ; ils nous font entrer dans lalangue de chaque sujet.
 
Pour Jérôme Lecaux, dont nous avons entendu le premier témoignage d’AE lors de la Journée « Questions d’Ecole » à Paris en janvier, c’est une histoire de pilier et de colonne vertébrale. Voilà un homme qui se voua à incarner le bâton de pierre mis en travers de la gueule de crocodile de sa mère ; il se fit le pilier, d’elle et de beaucoup d’autres, au prix d’une grande mortification et d’un épuisement constant (toujours « crevé » !). Le désamorçage de ce fantasme permet une séparation d’avec la mère et s‘accompagne d’un « événement de corps ». Depuis toujours il percevait un trou au niveau d’une vertèbre, là où ça manquait de père, de « fondement dans la vie ». Et voilà que soudain, non seulement il eut la sensation d’un serrage du bassin conférant une solidité nouvelle à son corps, mais une « ouverture des vannes » se produisit, une énergie vitale se répandit dans tout son corps, donnant l’impression d’une chair vivante. Le corps, de poids mort, devient source d’énergie.
 
Cette vivification est, remarquons-le, consécutive à une opération de désamorçage du fantasme. Ce n’est pas l’apparition d’un signifiant refoulé, mais une sensation – un corps, en effet, « ça se sent », écrit Lacan[16].
 
D’autres AE ont rapporté des « sensations » et phénomènes du même genre au sinthome-événement de corps, au sens de la percussion initiale de la langue sur le corps. Hélène Bonnaud par exemple[17]  relie la sensation de chute du corps, dont elle doit à chaque fois s’arracher, à l’impact du signifiant « jeter » dans la phrase paternelle soudain apparue tout à la fin de l’analyse : « si c’est une fille, on va la jeter par la fenêtre ».
 
J’ai moi-même fait état d’une sensation corporelle de bouillonnement, un « pleine d’énergie », que l’interprétation « vous êtes une coureuse ! » vint nommer : cette sensation est mon plus ancien « souvenir », mais non datable, sans forme ni scénario. Elle put devenir force de propulsion à la fin de l’analyse, lorsque s’opéra le détachement de l’Autre, « tuteur ». Je l’ai souligné : « coureuse » n’est toutefois pas la retrouvaille du mot qui aurait frappé, ni une identification qui fixe, ni le nom unique qui dirait la chose. [18]  
 
Le premier témoignage de Véronique Voruz[19]  décline différents versants du corps parlant, dont le statut varie et qui mériteraient d’être commentés un à un. J’en retiens quatre.
 
D’abord le roman familial est réduit à quelques signifiants, catastrophe, monstre, malédiction, « marques premières », dit-elle. J’ajouterais : elles sont laissées par les « mots qui blessent » [20]  – ce que Lacan appelait des « dits premiers, oraculaires » [21]  – par exemple : « tu as le corps de la méchante femme », ou « tu es l’envoyée du prince des ténèbres ». Ce sont des « signifiants destinaux », dit-elle, qui pourront être désamorcés au-delà de la construction du fantasme.
 
Ainsi en fut-il aussi d’un symptôme persistant, résistant aux interprétations, survenu au décours de l’analyse une fois qu’elle put se risquer à se rendre visible, à parler en public en son nom : ses yeux s’infectaient instantanément, virant au rouge. Jusqu’au jour où, défigurée, elle se précipita chez l’analyste et commença : « C’est mon histoire d’yeux », l’analyste « rugit » : « Dieu ! Enfin je l’entends ! » et coupa la séance. Cet « exorcisme par l’équivoque » fit tomber l’identification au diable et eut « quasi-raison » de ce symptôme.
 
Elle décrit aussi quel montage elle a dû inventer pour se séparer de l’analyste – elle qui n’arrivait jamais à se séparer sans s’arracher, se vivant comme le « prolongement du corps de l’autre ».
 
A la fin, justement, elle fait la trouvaille, extraite d’un rêve, d’une nomination de son mode de vie : « je suis toujours un peu à l’arrache ». C’est un mot destinal désamorcé, dont elle peut faire un nouvel usage – sa mère s’était arraché la jambe dans un accident de montagne et dans ce dernier rêve Véronique monte « à l’arrache » un chemin de montagne, faisant débouler des pierres ; elle se retourne et voit en contrebas, parmi les pierres, une jambe arrachée.
 
Ces différents exemples m’amènent, pour terminer, à proposer trois pistes à explorer.
 
Ces histoires de « sensations corporelles », de vivification, demandent de reprendre la question de l’affect à nouveaux frais. Lacan avait évoqué les affects de fin d’analyse corrélés à la traversée du fantasme, le « maniaco-dépressivement » [22]  et la « position dépressive » [23], ou encore l’enthousiasme[24]. Maintenant, c’est le corps qui est « sensible » [25]. Comment peut-on rapporter ces affects du corps au « ça se sent » de son écrit sur Joyce, ou aux « effets d’affect » de lalangue du Séminaire XX : « Lalangue nous affecte d’abord par tout ce qu’elle comporte comme effets qui sont affects » [26] ?
 
Ne nous obnubilons pas sur l’événement de corps « à l’origine » ! Je proposerais plutôt que l’analyse produit des événements – dans la mesure où « un dire fait événement » [27]. C’est un dire, qui crée ; une nomination. Inventant des « mots qui portent » [28], se logeant à la jointure opaque de lalangue et du corps, l’analyse est créationniste[29], comme le souligne Eric Laurent.  Je proposerais l’hypothèse que l’analyse produit un réel singulier à chacun, plutôt que de retrouver, en se remémorant jusqu’à la lie, le réel qui était là « aux origines ». Les témoignages de passe transmettent souvent ces nominations singulières (jeter, coureuse, qui-vive, à l’arrache, etc.), points d’ombilic opaques dans la trame des récits, qui sont comme des indices de ce qui échappe au récit. Ce ne sont pas les « derniers mots », ni les mots de l’origine, du choc initial jamais directement restituable ; ils ne peuvent qu’en circonscrire l’impact, ils en tracent le bord[30]. 
 
Qu’en est-il de l’interprétation-événement ? De ces « mots qui portent » et ont des effets de jouissance, qui « passent dans les tripes » [31] ? L’analyse arrive à « défaire par la parole ce qui s’est fait par la parole » [32], mais elle le fait « en corps ».

 

[1] Ce texte est la version complète d’un exposé présenté à la Journée de l’ACF-Belgique du 20 février 2016, « Corps et résonances » et a été publié dans Quarto 112/113, pp. 116-118.
[2] Miller, J.-A., et alii, “Conversation sur les embrouilles du corps”, Bordeaux, 1999, Ornicar?, n°50, 2002, p. 235. Je souligne.
[3] Lacan, J., “Joyce le Symptôme”, Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 569.
[4] Miller, J.-A., “L’orientation lacanienne. Pièces détachées”, enseignement prononcé dans le cadre du Département de Psychanalyse de l’Université Paris VIII, La Cause freudienne, n° 61, novembre 2005, p. 152.
[5] Lacan, J., op. cit., p. 570.
[6] « Choc », « percussion » : termes utilisés par J.-A. Miller, notamment dans son cours « L’Etre et l’Un », 2011 (inédit). 
[7] Miller, J.-A., “The Warshaw Lecture”, Hurly Burly, 2, nov. 2009, p. 177.
[8] Miller, J.-A., “L’économie de la jouissance”, cours “Choses de finesse en psychanalyse”, 2008-2009, La Cause freudienne, 77, p. 169.
[9] Miller, J.-A., « Lire un symptôme », intervention au IXe Congrès de la NLS, Londres, 3 avril 2011, Mental 26, juin 2011, p. 58.
[10] Miller, J.-A., Cours « L’Etre et L’Un », 30 mars 2011, inédit, et « Lire un symptôme », op. cit., p. 56.
[11] Lacan, J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet 6/7, Paris, Seuil, 1976, p. 59.
[12] Miller, J.-A., « Un réel pour le XXIe siècle », La Cause du désir, 82, octobre 2012, p. 94.
[13] Miller, J.-A., « Lire un symptôme », op. cit., p. 58.
[14] Lacan, J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », op. cit., p. 41.
[15] C’est la “zone” que J.-A. Miller a désignée d’”outrepasse”; voir notamment cours “L’Etre et l’Un”, 4 avril 2011.
[16] Lacan, J., « Joyce le Symptôme », op. cit. p. 565.
[17] Bonnaud, H., « Réel, résistance, restes », Quarto, 109, déc. 2014, pp. 68-69.
[18] Voir notamment : Lysy, A., “Savoir y faire avec son symptôme” et “Ma petite chansonnette. Variations sur l’événement de corps” (2012), in Quarto, 103, déc. 2012.
[19] Voruz, V., “Se séparer sans s’arracher”, Journée “Questions d’Ecole”, Paris, 23 janvier 2016.
[20] L’expression est de J.-A. Miller, dans une intervention sur l’interprétation : “Les mots qui blessent”, La Cause freudienne, 72, 2009, pp. 133-136.
[21] Lacan, J., “Subversion du sujet et dialectique du désir”, Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 808 : “Le dit premier décrète, légifère, aphorise, est oracle, il confère à l’autre réel son obscure autorité.”
[22] Lacan, J., “L’étourdit”, Autres écrits, op. cit., p. 487.
[23] Lacan, J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole”, Autres écrits, op. cit., p. 255.
[24] Lacan, J., “Note italienne”, Autres écrits, op. cit., p. 309.
[25] Lacan, J., Le Séminaire. Livre XXIII. Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 17.
[26] Lacan, J., Le Séminaire. Livre XX. Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 126.
[27] Miller, J.-A., “L’inconscient et le corps parlant”, La Cause du désir, n°88, 2014, p. 112.
[28] Lacan, J., “Le phénomène lacanien” (conférence à Nice, 30.11.1974), Les cahiers cliniques de Nice, 1, juin 1998, p. 14.
[29] Laurent, E., entretien transcrit, « Ça parle du corps avec … Eric Laurent », envoi e-mail précédant la Journée du CPCT Paris (septembre 2015).
[30] Lysy, A., “Un trognon de réel en fin d’analyse”, Le réel mis à jour, au XXIe siècle, AMP, Ecole de la Cause freudienne, collection rue Huysmans, Paris, 2014, pp. 80-82.
[31] Miller, J.-A., “L’inconscient et le corps parlant”, op. cit., p. 114.
[32] Lacan, J., “Une pratique de bavardage”, Le moment de conclure, 15 nov. 1977, Ornicar ? 19, 1979, p. 6.
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with Daphna Amit-Selbst, Fabian Fajnwaks and Shlomo Lieber

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J’entre dans le thème « Corps et résonances » [1] par une question qui me tarabuste depuis quelque temps : qu’est-ce qu’un « événement de corps » et n’y a-t-il pas lieu de le distinguer de ce qu’on appelle plus couramment « phénomène de corps » ? Ou plutôt : qu’on appelait, car il me semble qu’aujourd’hui l’usage d’ « événement de corps » se généralise et tend à se confondre avec « phénomènes de corps ». Cela peut paraître couper les cheveux en quatre, mais à l’horizon, cela concerne ce sur quoi porte l’opération analytique, sa fin et ses moyens, l’interprétation.
 
Je vous propose donc de resituer d’abord cette notion d’événement de corps et je vous dirai ensuite ce que certains témoignages de passe m’ont appris à ce sujet, ou comment ils m’ont interpelée. Ces témoignages nous offrent un belvédère sur la pratique analytique aujourd’hui et sur ce à quoi une analyse peut mener.
 
Evénement de corps / phénomènes de corps 
 
Le syntagme « phénomènes de corps » a fleuri dans notre clinique des psychoses et il s’est étendu à une grande variété de phénomènes, grosso modo à tout ce qui arrive au corps – symptômes de conversion hystériques, phénomènes psychotiques, psychosomatiques, douleurs étranges et toutes sortes de bizarreries. Quel statut ont-ils ? Par exemple, celui qui est saisi de vertige quand on lui annonce la mort de son frère ; celle dont les yeux s’infectent à chaque prise de parole publique ; celui-là encore, envahi de frissons en parlant de son histoire. Il s’agit bien de quelque chose qui arrive au corps, mais appellera-t-on cela événement de corps ?
 
Une première piste. Lors d’une Conversation clinique[2], J.-A. Miller faisait la distinction entre « les phénomènes à éclipse et les phénomènes permanents » : « On qualifie les phénomènes de corps de ‘sinthomes’ quand ils s’installent en permanence et qu’ils ordonnent la vie d’un sujet. »
 
Sinthome – écrit avec TH : c’est un néologisme, l’écriture nouvelle que Lacan donne du symptôme, pour marquer qu’on passe à un nouveau régime du rapport du signifiant et du corps.
 
Lacan définit le symptôme comme « un événement de corps » dans son texte « Joyce le Symptôme » de 1976[3]. C’est la seule fois que surgit l’expression, mais J.-A. Miller l’a extraite pour en faire une notion-clé du dernier enseignement de Lacan et la situer dans la série des nouveaux concepts introduits par le renversement de perspective du Séminaire XX, Encore, où le signifiant a des effets de jouissance et non plus de mortification: le parlêtre, lalangue, et le sinthome. Le sinthome, c’est « quelque chose qui est arrivé au corps du fait de lalangue » [4]. J.-A. Miller oppose le symptôme comme formation de l’inconscient, qui est déchiffrable et révèle le désir inconscient, au symptôme événement de corps qui relève du registre de la jouissance indéchiffrable, « jouissance opaque d’exclure le sens », écrit Lacan[5].
 
La jouissance suppose le corps ; un corps vivant, qui n’est pas l’image spéculaire, mais qui se définit comme « ce qui se jouit » ; non pas d’une jouissance naturelle, primaire, mais de par l’impact de la langue.
 
L’événement de corps, c’est la « percussion » de la langue sur le corps[6], c’est le traumatisme de la langue.
 
Cet accent sur la jouissance  – et donc sur le corps – se répercute dans la pratique analytique, qui devient « une discipline de jouissance » [7], où la question « qu’est-ce que ça veut dire ? » est subordonnée à une autre : « qu’est-ce que ça satisfait ? » « Chercher là où ça jouit » [8] ! Dans une analyse, donc, certes on déchiffre les symptômes, mais c’est pour viser le réel du symptôme, au-delà du sens, au-delà des détours du désir. Lire un symptôme, dit J.-A. Miller, « vise ce choc initial », « vise à réduire le symptôme à sa formule initiale, c’est-à-dire à la rencontre matérielle d’un signifiant et du corps, au choc pur du langage sur le corps ». C’est « viser (…) la fixité de la jouissance, l’opacité du réel » [9].
 
L’événement de corps se situe au niveau de la fixation freudienne, là où le traumatisme fixe la pulsion à un point qui sera le fondement du refoulement. L’expérience analytique mène donc à un « en deçà du refoulement » [10],  à la zone de l’Urverdrängung, qui est un refoulement jamais annulé, un point opaque, un trou, dira Lacan[11]. Le choc de lalangue et du corps est de l’ordre d’un réel sans loi[12]. J.-A. Miller précise : « C’est un événement qui est aux origines mêmes du sujet, c’est en quelque sorte l’événement originaire et en même temps permanent, c’est-à-dire qu’il se réitère sans cesse. » [13]  On retrouve la notion de permanence. Il est initial, mais il itère, pas à la manière du retour du refoulé, mais comme itération d’un même Un de jouissance. Le sinthome comme événement de corps est, au sens fort, condition du parlêtre, constitutif, c’est en quelque sorte le point d’ombilic du sujet, opaque, hors sens, ineffaçable, incurable, « ce que beaucoup de personnes ont de plus réel », dit Lacan[14].
 
On entre sur un terrain glissant, quand on utilise le mot « à l’origine ». S’agit-il de le « retrouver » ? Le choc initial de l’événement de corps est-il repérable comme tel ? Se dit-il ? Ou s’éprouve-t-il – tel la jouissance féminine, impossible à dire ? Qu’est-ce que le Un de jouissance : une sensation, une lettre, un mot qui a frappé, un son ?
 
L’analyse peut mener à serrer un point d’indicible singulier. On peut entendre dans certains témoignages de passe que l’initial se trouve cette fois « au-delà », « outre [15]» : le sinthome se cerne au-delà de ce qui soutient le sens, le fantasme, les identifications majeures.
 
La clinique de la passe
 
Les témoignages de passe nous touchent et frappent par leur diversité. Il ne s’agit donc pas d’effectuer un forçage en les lisant comme une application conforme à une théorie – même si on ne peut pas faire comme si aucune théorie de la fin de l’analyse n’existait ! L’important, c’est de ne pas tomber dans la langue de bois.
 
Nombreux sont les passants qui témoignent de quelque chose qui arrive à leur corps en fin d’analyse. Souvent cela s’associe à une « vivification », un « plus de vie ». Les exemples sont singuliers, surprenants ; ils nous font entrer dans lalangue de chaque sujet.
 
Pour Jérôme Lecaux, dont nous avons entendu le premier témoignage d’AE lors de la Journée « Questions d’Ecole » à Paris en janvier, c’est une histoire de pilier et de colonne vertébrale. Voilà un homme qui se voua à incarner le bâton de pierre mis en travers de la gueule de crocodile de sa mère ; il se fit le pilier, d’elle et de beaucoup d’autres, au prix d’une grande mortification et d’un épuisement constant (toujours « crevé » !). Le désamorçage de ce fantasme permet une séparation d’avec la mère et s‘accompagne d’un « événement de corps ». Depuis toujours il percevait un trou au niveau d’une vertèbre, là où ça manquait de père, de « fondement dans la vie ». Et voilà que soudain, non seulement il eut la sensation d’un serrage du bassin conférant une solidité nouvelle à son corps, mais une « ouverture des vannes » se produisit, une énergie vitale se répandit dans tout son corps, donnant l’impression d’une chair vivante. Le corps, de poids mort, devient source d’énergie.
 
Cette vivification est, remarquons-le, consécutive à une opération de désamorçage du fantasme. Ce n’est pas l’apparition d’un signifiant refoulé, mais une sensation – un corps, en effet, « ça se sent », écrit Lacan[16].
 
D’autres AE ont rapporté des « sensations » et phénomènes du même genre au sinthome-événement de corps, au sens de la percussion initiale de la langue sur le corps. Hélène Bonnaud par exemple[17]  relie la sensation de chute du corps, dont elle doit à chaque fois s’arracher, à l’impact du signifiant « jeter » dans la phrase paternelle soudain apparue tout à la fin de l’analyse : « si c’est une fille, on va la jeter par la fenêtre ».
 
J’ai moi-même fait état d’une sensation corporelle de bouillonnement, un « pleine d’énergie », que l’interprétation « vous êtes une coureuse ! » vint nommer : cette sensation est mon plus ancien « souvenir », mais non datable, sans forme ni scénario. Elle put devenir force de propulsion à la fin de l’analyse, lorsque s’opéra le détachement de l’Autre, « tuteur ». Je l’ai souligné : « coureuse » n’est toutefois pas la retrouvaille du mot qui aurait frappé, ni une identification qui fixe, ni le nom unique qui dirait la chose. [18]  
 
Le premier témoignage de Véronique Voruz[19]  décline différents versants du corps parlant, dont le statut varie et qui mériteraient d’être commentés un à un. J’en retiens quatre.
 
D’abord le roman familial est réduit à quelques signifiants, catastrophe, monstre, malédiction, « marques premières », dit-elle. J’ajouterais : elles sont laissées par les « mots qui blessent » [20]  – ce que Lacan appelait des « dits premiers, oraculaires » [21]  – par exemple : « tu as le corps de la méchante femme », ou « tu es l’envoyée du prince des ténèbres ». Ce sont des « signifiants destinaux », dit-elle, qui pourront être désamorcés au-delà de la construction du fantasme.
 
Ainsi en fut-il aussi d’un symptôme persistant, résistant aux interprétations, survenu au décours de l’analyse une fois qu’elle put se risquer à se rendre visible, à parler en public en son nom : ses yeux s’infectaient instantanément, virant au rouge. Jusqu’au jour où, défigurée, elle se précipita chez l’analyste et commença : « C’est mon histoire d’yeux », l’analyste « rugit » : « Dieu ! Enfin je l’entends ! » et coupa la séance. Cet « exorcisme par l’équivoque » fit tomber l’identification au diable et eut « quasi-raison » de ce symptôme.
 
Elle décrit aussi quel montage elle a dû inventer pour se séparer de l’analyste – elle qui n’arrivait jamais à se séparer sans s’arracher, se vivant comme le « prolongement du corps de l’autre ».
 
A la fin, justement, elle fait la trouvaille, extraite d’un rêve, d’une nomination de son mode de vie : « je suis toujours un peu à l’arrache ». C’est un mot destinal désamorcé, dont elle peut faire un nouvel usage – sa mère s’était arraché la jambe dans un accident de montagne et dans ce dernier rêve Véronique monte « à l’arrache » un chemin de montagne, faisant débouler des pierres ; elle se retourne et voit en contrebas, parmi les pierres, une jambe arrachée.
 
Ces différents exemples m’amènent, pour terminer, à proposer trois pistes à explorer.
 
Ces histoires de « sensations corporelles », de vivification, demandent de reprendre la question de l’affect à nouveaux frais. Lacan avait évoqué les affects de fin d’analyse corrélés à la traversée du fantasme, le « maniaco-dépressivement » [22]  et la « position dépressive » [23], ou encore l’enthousiasme[24]. Maintenant, c’est le corps qui est « sensible » [25]. Comment peut-on rapporter ces affects du corps au « ça se sent » de son écrit sur Joyce, ou aux « effets d’affect » de lalangue du Séminaire XX : « Lalangue nous affecte d’abord par tout ce qu’elle comporte comme effets qui sont affects » [26] ?
 
Ne nous obnubilons pas sur l’événement de corps « à l’origine » ! Je proposerais plutôt que l’analyse produit des événements – dans la mesure où « un dire fait événement » [27]. C’est un dire, qui crée ; une nomination. Inventant des « mots qui portent » [28], se logeant à la jointure opaque de lalangue et du corps, l’analyse est créationniste[29], comme le souligne Eric Laurent.  Je proposerais l’hypothèse que l’analyse produit un réel singulier à chacun, plutôt que de retrouver, en se remémorant jusqu’à la lie, le réel qui était là « aux origines ». Les témoignages de passe transmettent souvent ces nominations singulières (jeter, coureuse, qui-vive, à l’arrache, etc.), points d’ombilic opaques dans la trame des récits, qui sont comme des indices de ce qui échappe au récit. Ce ne sont pas les « derniers mots », ni les mots de l’origine, du choc initial jamais directement restituable ; ils ne peuvent qu’en circonscrire l’impact, ils en tracent le bord[30]. 
 
Qu’en est-il de l’interprétation-événement ? De ces « mots qui portent » et ont des effets de jouissance, qui « passent dans les tripes » [31] ? L’analyse arrive à « défaire par la parole ce qui s’est fait par la parole » [32], mais elle le fait « en corps ».

 

[1] Ce texte est la version complète d’un exposé présenté à la Journée de l’ACF-Belgique du 20 février 2016, « Corps et résonances » et a été publié dans Quarto 112/113, pp. 116-118.
[2] Miller, J.-A., et alii, “Conversation sur les embrouilles du corps”, Bordeaux, 1999, Ornicar?, n°50, 2002, p. 235. Je souligne.
[3] Lacan, J., “Joyce le Symptôme”, Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 569.
[4] Miller, J.-A., “L’orientation lacanienne. Pièces détachées”, enseignement prononcé dans le cadre du Département de Psychanalyse de l’Université Paris VIII, La Cause freudienne, n° 61, novembre 2005, p. 152.
[5] Lacan, J., op. cit., p. 570.
[6] « Choc », « percussion » : termes utilisés par J.-A. Miller, notamment dans son cours « L’Etre et l’Un », 2011 (inédit). 
[7] Miller, J.-A., “The Warshaw Lecture”, Hurly Burly, 2, nov. 2009, p. 177.
[8] Miller, J.-A., “L’économie de la jouissance”, cours “Choses de finesse en psychanalyse”, 2008-2009, La Cause freudienne, 77, p. 169.
[9] Miller, J.-A., « Lire un symptôme », intervention au IXe Congrès de la NLS, Londres, 3 avril 2011, Mental 26, juin 2011, p. 58.
[10] Miller, J.-A., Cours « L’Etre et L’Un », 30 mars 2011, inédit, et « Lire un symptôme », op. cit., p. 56.
[11] Lacan, J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet 6/7, Paris, Seuil, 1976, p. 59.
[12] Miller, J.-A., « Un réel pour le XXIe siècle », La Cause du désir, 82, octobre 2012, p. 94.
[13] Miller, J.-A., « Lire un symptôme », op. cit., p. 58.
[14] Lacan, J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », op. cit., p. 41.
[15] C’est la “zone” que J.-A. Miller a désignée d’”outrepasse”; voir notamment cours “L’Etre et l’Un”, 4 avril 2011.
[16] Lacan, J., « Joyce le Symptôme », op. cit. p. 565.
[17] Bonnaud, H., « Réel, résistance, restes », Quarto, 109, déc. 2014, pp. 68-69.
[18] Voir notamment : Lysy, A., “Savoir y faire avec son symptôme” et “Ma petite chansonnette. Variations sur l’événement de corps” (2012), in Quarto, 103, déc. 2012.
[19] Voruz, V., “Se séparer sans s’arracher”, Journée “Questions d’Ecole”, Paris, 23 janvier 2016.
[20] L’expression est de J.-A. Miller, dans une intervention sur l’interprétation : “Les mots qui blessent”, La Cause freudienne, 72, 2009, pp. 133-136.
[21] Lacan, J., “Subversion du sujet et dialectique du désir”, Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 808 : “Le dit premier décrète, légifère, aphorise, est oracle, il confère à l’autre réel son obscure autorité.”
[22] Lacan, J., “L’étourdit”, Autres écrits, op. cit., p. 487.
[23] Lacan, J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole”, Autres écrits, op. cit., p. 255.
[24] Lacan, J., “Note italienne”, Autres écrits, op. cit., p. 309.
[25] Lacan, J., Le Séminaire. Livre XXIII. Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 17.
[26] Lacan, J., Le Séminaire. Livre XX. Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 126.
[27] Miller, J.-A., “L’inconscient et le corps parlant”, La Cause du désir, n°88, 2014, p. 112.
[28] Lacan, J., “Le phénomène lacanien” (conférence à Nice, 30.11.1974), Les cahiers cliniques de Nice, 1, juin 1998, p. 14.
[29] Laurent, E., entretien transcrit, « Ça parle du corps avec … Eric Laurent », envoi e-mail précédant la Journée du CPCT Paris (septembre 2015).
[30] Lysy, A., “Un trognon de réel en fin d’analyse”, Le réel mis à jour, au XXIe siècle, AMP, Ecole de la Cause freudienne, collection rue Huysmans, Paris, 2014, pp. 80-82.
[31] Miller, J.-A., “L’inconscient et le corps parlant”, op. cit., p. 114.
[32] Lacan, J., “Une pratique de bavardage”, Le moment de conclure, 15 nov. 1977, Ornicar ? 19, 1979, p. 6.
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The Simultaneous of PIPOL 10

CALL FOR CONTRIBUTIONS

 

Since the beginning of the PIPOL Congresses, work on the Saturday has always been devoted to the Clinic. It is a moment that many look forward to, because it allows for an encounter and exchange between practitioners who come from the four corners of Europe, from Portugal to Siberia, from Ireland to Bulgaria, without forgetting the more distant regions like Israel, Australia, the United States, Canada and Reunion Island.

These practitioners inscribe their work in the multiple networks of the Freudian Field, a vast ensemble comprising of: the Schools of Psychoanalysis which constitute the EuroFederation of Psychoanalysis, as well as the Regional Associations attached to the various Schools; the FIPA (Federation of Institutions of Applied Psychoanalysis) with in particular the CPCT (Psychoanalytic Centres for Consultations and Treatments); the Institute of the Child, bringing together the New Cereda Network (psychoanalysis with children), Cien (Interdisciplinary Centre on the Child) and RI3 (Network of Childhood Institutions); TyA (Drug addiction and Alcoholism); the CERA (Centre for Study and Research on Autism); UFORCA with its clinical sections.

Whether working in an office, in a consultation centre, in a care institution or in any other place, speech is the foundation of their practice. Beyond the diverse horizons, what brings them together is the common language of psychoanalysis of Lacanian orientation.

The Simultaneous Sessions of PIPOL 10 will consist of 120 clinical cases presented throughout the day, simultaneously in 10 rooms, bi- or trilingual (English, Spanish, French, Italian).

If you want to be part of it, now is the time!

"Wanting a Child? Desire for Family and Clinic of Filiations" is a theme that, like it or not, concerns everyone. Any speaking out on the subject involves this irreducible "residue" that the family has become. The clinic abounds with how each one is subsumed by the questions they raise. And the manner in which science grasps "wanting a child", to the contrary, by touching the real, does not reduce these questions.

The Sections and subsections that structure the PIPOL 10 blog, while not exhaustive, are indicative of one or the other aspect of the theme which may facilitate an elaboration and a  writing of a case. On the PIPOL 10 blog (www.pipol10.eu) you can find orienting texts for each Section. Here’s a reminder.

1. Sexuality: Procreation outside of sex – Sexuality outside of procreation – Pregnancy dream or denial

2. Love: Child substitute – Adopted child – (non) Desired child

3. Time: Death and birth – Time freeze – Clinic of the origins

4. Name-of-the-Father?: Fragmented families – New filiations – Family fictions

5. Disruption: No kids – Certissima/uncertus? – Gender issues

6. Science: Anonymous gametes – Predict the child – New desire, new right

You have until midnight on Saturday the 3rd of April to submit your text to the following address: poblome.guy@gmail.com

It can be sent to us in one of the following: French, English, Italian or Spanish.

In order that your Case is considered, please follow these instructions:

– Maximum 7500 characters including spaces

– Word format, Arial 12 font, 1.5 line spacing

– File name: NAME-LANGUAGE (for example: DURANT-FRANÇAIS)

– At the top of the first page, centred: Title of the text; on the next line: your Surname and First name, and the Region where you work.

 

Guy Poblome, Responsible for the Simultaneous Sessions

For the PIPOL Team

 

 

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Attention!

The Newsletter will be distributed exclusively by our mailing list

 

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Les simultanées de PIPOL 10

APPEL À CONTRIBUTION

 

Depuis le lancement des congrès PIPOL, la journée du samedi a toujours été consacrée à la clinique. C'est un moment que beaucoup attendent car il permet la rencontre et les échanges entre praticiens qui viennent des quatre coins de l'Europe, du Portugal à la Sibérie, de l'Irlande à la Bulgarie, sans oublier les régions plus éloignées comme Israël, l'Australie, les Etats Unis, le Canada et l'île de La Réunion.

Ces praticiens inscrivent leur travail dans les multiples réseaux du Champ freudien, vaste ensemble regroupant : les Ecoles de Psychanalyse qui constituent l'EuroFédération de Psychanalyse, ainsi que les associations régionales attachées aux différentes Ecoles ; la FIPA (Fédération des Institutions de Psychanalyse Appliquée) avec notamment les CPCT (Centres Psychanalytiques de Consultations et de Traitements) ; l'Institut de l'Enfant rassemblant le Nouveau Réseau Cereda (Psychanalyse avec les enfants), le Cien (Centre interdisciplinaire sur l'enfant) et le RI3 (Réseau des Institutions Infantiles) ; le TyA (Toxicomanie et Alcoolisme) ; le CERA (Centre d'Etude et de Recherche sur l'Autisme) ; UFORCA avec les sections cliniques.

Qu'ils travaillent en cabinet, en centre de consultation, en institution de soins ou dans tout autre lieu, c'est la parole qui fonde leur pratique. Au-delà des horizons divers, ce qui les rassemble est la langue commune de la psychanalyse d'orientation lacanienne.

Les simultanées de PIPOL 10, ce seront 120 cas cliniques présentés tout au long de la journée, dans 10 salles simultanées, bi- ou trilingues (anglais, espagnol, français, italien).

Si vous voulez en être, c’est le moment !

« Vouloir un enfant ? Désir de famille et clinique des filiations » est un thème qui concerne tout le monde, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas. Toute prise de parole implique ce « résidu » irréductible qu’est devenue la famille. La clinique grouille de la façon dont chacun est pris par les questions qu’il soulève. Et la façon dont la science s’empare du « vouloir un enfant » en touchant au réel ne réduit pas ces questions, au contraire.

Les rubriques et sous-rubriques qui structurent le blog de PIPOL 10, si elles ne sont pas limitatives, sont indicatives de l’un ou l’autre des aspects du thème permettant d’élaborer et puis d’écrire un cas. Vous trouverez sur le blog de PIPOL 10 (www.pipol10.eu) les textes d’orientation de chaque rubrique. Nous les rappelons ici.

1. Sexualité : Procréation hors sexe – Sexualité hors procréation – Rêve ou déni de grossesse

2. Amour : Enfant suppléance – Enfant adopté – Enfant (non) désiré

3. Temps : Mort et naissance – Gel du temps – Clinique de l’origine

4. Nom-du-Père ? : Familles fragmentées – Nouvelles filiations – Roman familial

5. Disruption : No kids – Certissima/incertus ? – Question de genre

6. Science : Gamètes anonymes – Prédire l’enfant – Désir neuf, nouveau droit

Vous pouvez dès maintenant adresser jusqu’au samedi 3 avril 2021 à minuit, votre proposition de texte complet, à l’adresse suivante : poblome.guy@gmail.com

Il peut nous être adressé soit en français, soit en anglais, en italien ou en espagnol.

Pour être pris en considération, merci de suivre les indications suivantes :

– 7500 signes espaces compris

– Format Word, police de caractères Arial 12, espacement interlignes de 1,5

– Nom du fichier : NOM-LANGUE (par exemple : DURANT-FRANÇAIS)

– En haut de la première page, centrés : Titre du texte et en dessous vos nom et prénom, et région de travail.

 

Guy Poblome, responsable des Simultanées

Pour la PIPOL Team

 

 

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There is a body

"Writing is a trace in which an effect of language can be read"
— Lacan, XX, 121



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NLS Congress presents

Peggy Papada
There is a body

The body of the mirror stage is constructed as a visual form, as seen via the Other of speech and language. For “the purest moment of the specular relation”[1] is when by a gesture by which the infant turns toward the adult, he seeks the consent of the Other “to ratify the value of his image.”[2] Lack-in-being, which will evolve to be a characteristic of the divided subject, is precipitated here insofar as the infant is alienated from the desire of the Other and there is a discordance of two bodies: the body as organism, real and fragmented, and the body as mirror image with which the infant identifies. [3] Identification with the totality of one’s own image “authenticated by the Other” results in satisfaction[4]; the Freudian narcissism finds its reference there.
 
The body is linked with the ego up to the end of Lacan’s teaching: “The self as a body […] This is what is called Ego.” [5] Yet in Seminar XXIII Lacan will use the knots to speak about consistency. The ego is presented as three dimensional (real, symbolic and imaginary) hence it can no longer be reduced to the imaginary duality. The subject does not identify with its ego which can slide away but with its sinthome, with what is most singular to it. The sinthome, a call for invention and sublimation, supports the consistency of the speaking body. There is no Other to search for being and identifications. Instead “there is the One (Yad’lun), there is no sexual relation and there is a body.” [6] The ‘There is’ is on the side of the One and of existence: The distinction between being and existence puts the subject and the speaking body at stake. [7] We can then approach the trauma incurred by lalangue rather than language breaking into the One of the body.

[1] Lacan, J., “Remarks on Daniel Lagache’s Presentation” (1966) Écrits, trans. B. Fink, London/ New York, Norton, 2006, p. 568. 
[2] Lacan, J., The Seminar of Jacques Lacan, Book X, Anxiety (1962-63), ed. J.-A. Miller, trans. A.R. Price, Cambridge, Polity, 2014, p. 32.
[3] See Stevens, A. “The Bodily Effects of Language” argument for the NLS Congress 2021, available online.
[4] Lacan, J., The Seminar of Jacques Lacan, Book X, Anxiety, op. cit. p. 40.
[5] Lacan, J. The Seminar of Jacques Lacan, Book XXIII, The Sinthome (1975-76), trans. A.R. Price, Cambridge, Polity, 2016, p. 129.
[6] Stevens, A. “The Body in Psychoanalysis.”  Online presentation given at the London society of the NLS, on 10th October 2020, available online. 
[7] Brousse, M.H. “La Lettre et le Corps Parlant” – text presented at the 50th Study Days of the ECF, November 2020, unpublished. 
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NLS Congrès présente

Peggy Papada
Il y a un corps

Le corps du stade du miroir se constitue à partir de sa forme scopique, celle perçue à travers l’Autre de la parole et du langage. En effet, la relation spéculaire trouve « son plus pur moment » [1] dans le mouvement par lequel l’enfant se retourne vers l’adulte et cherche le consentement de l’Autre pour « entériner la valeur de cette image ».[2] Le manque-à-être, qui deviendra une qualité du sujet divisé, est ici précipité : en effet dans la mesure où l’enfant est aliéné au désir de l’Autre, il se produit une discordance entre deux corps : le corps organique, réel et fragmenté, et le corps en tant qu’image spéculaire à laquelle l’enfant s’identifie. [3] L’identification à son image totale “authentifiée par l’Autre” entraîne une satisfaction[4]; le narcissisme freudien trouve ici sa référence.
 
Chez Lacan le corps sera lié à l’ego jusqu’à la fin de son enseignement : « l’idée de soi comme corps (…) est (…) ce que l’on appelle l’ego ».[5] Toutefois, dans le séminaire XXIII Lacan fera usage des nœuds et parlera de consistance. L’ego y est présenté comme tri-dimensionnel (réel, symbolique et imaginaire), irréductible donc à la dualité imaginaire. Le sujet ne s’identifie pas à son ego, qui peut se détacher, mais à son sinthome, à ce qu’il a de plus singulier. Le sinthome, en tant qu’appel à l’invention et à la sublimation, soutient la consistance du corps parlant. Il n’y a pas d’Autre à rechercher qui garantirait l’être et les identifications. Au lieu de cela, « Yadl’Un, il n’y a pas de rapport sexuel et il y a un corps »[6]. Le « il y a » se situe du côté de l’Un et de l’existence : or, la distinction entre être et existence met en jeu celle entre le sujet et le corps parlant[7]. On peut alors aborder le trauma comme séquelle de lalangue alors que le langage appareille l’Un du corps à l’Autre.
 
Traduction: Lorenzo Speroni & Jean Luc Monnier

[1] Lacan, J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache » (1960), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 678. 
[2]Lacan, J., Le Séminaire, livre X, « L’angoisse » (1962-1963), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 42.
[3]Stevens, A., “Bodily Effects of Language”, argument du congrès 2021 de la NLS, disponible en ligne.
[4]Lacan, J., Le Séminaire, livre X, « L’angoisse » (1962-1963), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 49.
[5]Lacan, J., Le Séminaire, livre XXIII, « Le sinthome » (1975-1976), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 150. 
[6]Stevens, A. “The Body in Psychoanalysis”, Séminaires 2020-2021 de la London Society de la NLS, via Zoom, prononcé le 10 octobre 2020, disponible en ligne. 
[7]Brousse, M.-H., « La lettre et le corps », Intervention aux 50ème Journées de l’École de la Cause Freudienne « Attentat Sexuel », via Zoom, Prononcé le 15 novembre 2020.
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Qu'appelons-nous « événement de corps » ?

"L’écriture est une trace où se lit un effet de langage"
— Lacan, XX, 110



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NLS Congrès présente

Daniel Roy
Qu'appelons-nous « événement de corps » ?

Cette expression « événement de corps » comme définissant le symptôme se trouve dans le texte que Lacan a donné pour les Actes du Symposium Joyce en 1975, sous le titre de « Joyce le symptôme ». Voici ce passage : « Laissons le symptôme à ce qu’il est : un événement de corps, lié à ce que : l’on l’a, l’on l’a de l’air, l’on l’aire, de l’on l’a. Ça se chante à l’occasion et Joyce en s’en prive pas »[1]. Pourquoi Lacan nous demande-t-il de « laisser le symptôme à ce qu’il est » ? Au plus simple, cela s’entend comme une recommandation à ne pas séparer le symptôme, dans son « être », de « l’avoir » du corps qui caractérise l’homme : le corps ne tiendrait-il donc qu’avec l’appui du symptôme ? Et le symptôme, lui, ne devrait-il donc plus être considéré sans son « accroche » au corps ?
Une première réponse à ces questions n’est-elle incluse dans la phrase elle-même ? Lacan y indique en effet que le symptôme « ça se chante à l’occasion », sur le mode hors-sens de la ritournelle enfantine. Dans la grande obsession de l’homme aux rats, dans les symptômes corporels de Dora et des premières hystériques « freudiennes », dans les compulsions de l’homme aux loups, dans la phobie des chevaux du petit Hans, pourrions-nous donc entendre une « petite chanson » qui en constitue l’os ? Il me semble que Lacan nous invite là à nous déprendre, comme analystes, de l’appel au sens exercé par la chaîne signifiante en tant que telle, pour accueillir le joui-sens du symptôme comme la petite ritournelle du corps parlant, l’air que l’on a dans l’oreille et qui insiste sans raison, mais pas sans résonances, l’air qui fait notre aire (notre assise) et notre erre (notre errance). La petite chanson qui guide notre existence.
 
Quel corps ?

Si nous partons du corps tel que Lacan l’aborde de façon absolument renouvelée dans ce texte contemporain du séminaire, Livre XXIII, Le sinthome[2], nous sommes frappés par l’affirmation répétée plusieurs fois dans ce texte que « l’homme a un corps et n’en a qu’un », mais une répétition qui s’appuie sur l’extraterritorialité entre parole et écriture, dont Lacan démontre l’efficacité en usant de l’écriture phonétique de cette phrase (« LOM, LOM de base, LOM cahun corps et nan-na Kun »[3]). En effet il opère en faisant ceci un morcellement du sens, qui fait littéralement exploser notre pente à comprendre cette phrase et à la transformer en banalité. En énonçant cette phrase Lacan réalise en acte ce qu’il dit, il crée un « événement de corps », c’est-à-dire un événement de discours qui est en même temps événement de jouissance, en lui faisant faire « le bond du sens »[4]  – qui s'oppose ici au « bon sens » – tout en se servant des mêmes mots. Il donne par là le modèle de l’interprétation : faire surgir avec les mêmes vieux mots, en « les chiffonnant » un peu, leur valeur de joui-sens. Il le réalise parce qu’il réussit à lier ensemble ce qu’il a produit tout au long de son enseignement comme sens-joui à propos du corps, à savoir la construction de trois corps relevant de « trois ordres » : imaginaire, symbolique et réel. Une phrase de ce texte les réunit pour bien faire entendre que l’homme n’a qu’un corps : ce qui en témoigne, dit-il, c’est « le fait qu’il jaspine pour s’affairer de la sphère, dont se faire un escabeau »[5]. Il est ici très important pour nous de saisir cette insistance de Lacan, pour la raison suivante : ce qu’il définit comme symptôme, c’est ce qui arrive (l’événement) à ce corps là et LOM n’a que ça, ce un-corps, n’a pas d’autres ressources que cela pour s’y reconnaître dans ce qui lui arrive.
A la question « Qu’as-tu? », qui sert au sujet à « s’interroger fictivement », mais qui nous met sur la voie, il n’y a qu’une réponse : « j’ai ça… ». Illustrons le simplement : qu’as-tu à pleurer, à crier, à faire la tête, à t’angoisser…? A cela, le sujet ne peut répondre qu’en déclinant un phénomène du corps imaginaire (anatomique, physiologique), ou un phénomène du corps symbolique (de la mentalité, du psychisme), ou un phénomène qui relève du réel du corps (ce qui le traverse, ce à quoi il se heurte, ce qu’il n’arrive pas à dire), c’est-à-dire qu’il répond avec du savoir prélevé dans les discours courants, et s’il est en analyse, il répond avec l’inconscient. Ces divers phénomènes de corps ne s’enregistrent comme « événements de corps » qu’en tant qu’ils adviennent au corps que l’on a comme un. Pris dans d’autres discours qui les maîtrisent, ils ne peuvent trouver leur valeur d’événement. Ils sont événements, sans Autre, en tant qu’ils se disent dans la cure, car c’est dans ce dire que se révèle leur valeur de jouissance, en un éclair. C’est en tant qu’ils se disent que s’enregistre pour celui qui parle, et pour l’analyste, le « taux de corps »[6]  qu’ils charrient à l’insu du sujet : c’est le sujet hystérique qui fait saisir cela, elle/lui qui accommode sur ce symptôme-là chez l’autre, qui perçoit ça sur un autre corps. Mais c’est ce qui fait son drame, en tant qu’elle/il cherche ainsi à s’extraire de ce qui, à la fin de son enseignement, apparaît à Lacan comme la seule limite à laquelle l’homme a à faire, son corps, limite qui est aussi sa seule responsabilité.
 
Trois expériences du corps

1 – « La sphère » ou les effets de la langue sur le corps imaginaire
La sphère, c’est ce à quoi Lacan réduit le corps imaginaire à la fin de son enseignement, ce corps qui, dans le « Stade du miroir », est appelé à s’identifier comme une unité, une image où l’homme se reconnaît, là où il est vu par l’autre qui l’accueille. Mais dans ce mouvement même où l’image unifie les morceaux du corps pulsionnel, jusque-là épars, cette image, le corps imaginaire, lui dérobe son être, et le livre à toutes les prises imaginaires (rivalité, jalousie, concurrence). Ainsi quand le corps se constitue comme image, il n’existe plus comme corps vivant, voilà ce que dit le stade du miroir, et la marque du vivant s’inscrit dans ce corps-là comme manque, désigné par Lacan comme phallus imaginaire. Les effets subjectifs de la langue sur la consistance imaginaire du corps sont doubles : d’une part le narcissisme, terme freudien, auquel Lacan va substituer celui « d’adoration », d’autre part tous les termes qui, dans une langue, désignent ce qui manque à une image pour être complète : « un défaut », « un dommage », mais cela peut aller jusqu’au trou dans cette consistance, en empruntant les trous anatomiques. Donc, deux effets de la langue sur le corps imaginaire : 1) l’adoration du corps ; 2) le manque sous toutes ses formes imaginaires.
Ce qui fait défaut ne s’enregistre pas uniquement comme un « en moins » mais à l’occasion comme un « en trop ». Ainsi pouvons-nous ajouter un troisième effet : 3) ce qui fait tache, tache physique ou tache morale.
 
2 – Les effets de la langue sur le corps décerné par le symbolique
 C’est fondamentalement un corps mortifié par la langue, là où le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant ; c’est le corps de la sépulture antique, entouré des divers biens d’usage et d’échange, voire des autres corps sur lesquels il avait droit de jouissance. Notons ici que ces objets de jouissance ne fondent en rien la jouissance comme absolue, mais au contraire comme bornée, limitée : « voici quel est l’empan possible des jouissances pour un homme, fût-il le plus puissant parmi les hommes ! ». Dans cette perspective, celle du corps décerné par le langage, la marque du vivant est une marque de division qui frappe le sujet, de son vivant et au-delà même de sa mort, division entre le possible de son désir et de ses jouissances, d’un côté, et de l’autre un réel impossible à situer. « Le corps, à le prendre au sérieux, est d’abord ce qui peut porter la marque propre à le ranger dans une suite de signifiants. »[7]. Cette marque, le phallus symbolique, désigne l’effet sur le corps de cette incorporation du corps du symbolique. C’est à la fois une négativation et une localisation de jouissance, à la fois un « non » à la jouissance – l’effet de castration – et un « nom » – le trait unaire. Mais il y a dans le corps vivant quelque chose qui ne se laisse pas négativer, quelque chose qui ne se laisse pas attraper par un « dire que non » et qui de ce fait, en retour, crée un trou dans le symbolique, un trou dans le savoir, « un trou qu’il n’y a pas moyen de savoir »[8], le sexuel.
Deux effets de la langue sur le corps de cette mortification symbolique : 1) La marque, le blason, la brûlure au fer rouge, qui peuvent faire nomination ; 2) Un effet de trou, qui s’enregistre subjectivement comme énigme, fondamentalement énigme du sexuel.
Mais J.-A. Miller nous a appris à reconnaître l’effet d’impact sur le corps vivant du signifiant tout seul, qui s’isole dans un régime de la parole qui privilégie le non-sens, les riens de sens, dans les rêves, les lapsus, les équivoques signifiantes, soit toutes les chutes du discours. C’est là « où le sujet peut s’aviser que cet inconscient est le sien », sinon il peut toujours penser que cela vient de l’Autre, ce qui est la condition commune de celui qui vient voir un psychanalyste. C’est ce savoir-là, cet inconscient-là – qui n’est ni celui des lois de l’alliance et de la filiation, ni celui des signifiants-maîtres — « qui affecte le corps de l’être qui ne se fait être que de paroles, ceci de morceler sa jouissance, de le découper jusqu’à en produire les chutes dont je fais l’objet petit (a), l’a-cause première de son désir »[9]. Il s’agit là des effets corporels du signifiant, non plus mortification, mais effets de jouissance, un mouvement de « corporisation »[10]  de la langue en tant qu’elle affecte le corps vivant. Il y a donc un troisième effet corporel de la langue : 3) l’affect, essentiel pour saisir la clinique actuelle.
 
C’est dans ce moment de bascule dans son enseignement que Lacan va condenser ces trois effets corporels de la langue dans sa dimension symbolique par le verbe « jaspiner » qui désigne dans la langue française le bavardage. Il s’agit là de la pure jouissance de la langue dans sa matérialité, dans son « aboiement » car « jaspiner » est dérivé du mot « japper » qui désigne le petit aboiement du chien !
Ne pas se laisser identifier aux marques du signifiant tel qu’il circule dans ce « jaspiner », ne pas être pris dans sa dimension de semblant, laisse le sujet livré aux objets pulsionnels qui sont venus à la place : le voilà au centre des regards, ou des moqueries dans son dos, il va se faire bouffer ou rejeter comme un déchet. Plus moyen de franchir le seuil du collège ou du lycée, ce corps ne peut plus se loger dans cet espace tissé de marques signifiantes, et il s’éjecte de ce lieu.
 
3 – Il faut parler ici de ces brins de jouissances, de ces bouts de réel, de ces éclats de corps que sont les objets (a). Ils sont en effet le produit de ce « jaspinage pour s’affairer de la sphère » que constitue l’expérience d’une analyse. Prélevés sur la jouissance du corps dans la rencontre avec la demande de l’Autre du langage, issus donc des objets pulsionnels, ils localisent et diffractent cette jouissance dans ces extensions que sont les objets qui causent le désir, comme objets précieux cachés au coeur du fantasme de l’analysant, mais aussi comme objets plus-de-jouir qui augmentent à plaisir le corps que l’on a. Ces objets désignent alors « le réel du corps » tel qu’il infiltre la sphère imaginaire et le jaspinage signifiant. Les effets de ces objets « réels » sur le corps se recueillent 1) comme « ce qui est impossible à supporter », comme « ce à quoi on se heurte », « ce qui ne peut se dire » ; 2) comme ce qui chute, ce qui est rejeté ou ce qui surgit du trou, ce qui fait retour ; 3) mais aussi dans le chiffrage de la langue par les moyens pulsionnels du corps, chiffrage oral, anal, scopique, invoquant de la langue, tel que nous l’entendons chez le tout-petit enfant.
 
Se faire un escabeau

Le corps a d’abord été abordé par Lacan comme morcelé et unifié comme corps imaginaire, puis se présente comme corps symbolique décerné par le langage, qui répartit les jouissances et le fait support de marques, condensatrices de jouissance, pour enfin se produire comme le réel d’un corps morcelé par la frappe « bête » de la langue. Ce qui fait dire à Lacan que c’est la langue qui traumatise le corps, en tant qu’elle lui impose ce travail de chiffrage, qui finira par constituer la jouissance phallique, qui désigne à la fin de l’enseignement de Lacan aussi bien la jouissance de la parole, la jouissance sublimatoire et le plus-de-jouir[11]. Cette jouissance qui apparaît hors-corps au sens de « en dehors » de la « sphère » du corps imaginaire, est pourtant constituante du corps de l’être parlant en tant qu’il est fait de substance jouissante.
Ce corps « que l’homme a » est ainsi fondamentalement un corps qui « se jouit », qui se jouit par tous ces moyens que sont la parole, les objets plus-de-jouir, la sublimation. Lacan va donner un nom à ce corps constitué de substance jouissante, un corps qui n’opère ni dans la substance étendue, ni dans la substance pensante, un corps qui ex-siste à l’espace physique et à l’espace mental. Un corps qui ne se soutient ni d’un « je suis… », ni d’un « je pense » mais d’un « se jouit ». Le nom donné par Lacan à ce un-corps est celui d’escabeau, un corps grâce auquel chacun se croit beau, qui sert à chacun de piédestal, c’est-à-dire aussi bien d’occasion de chutes. Ainsi l’escabeau est la condition même de l’être qui parle, l’homme (LOM) qui n’a d’autre être que le corps qu’il a comme un corps, le « un » désignant ici le Un de jouissance qui fait tenir cet escabeau.
Cet équilibre est à la fois robuste et fragile, comme l’indique cette phrase qui me sert ici de boussole : « il jaspine pour s’affairer de la sphère, dont se faire un escabeau ».
C’est robuste et cela s’enregistre volontiers comme « traits de caractère », comme « la personnalité », c’est-à-dire les habitudes, les modalités de jouissance.

C’est fragile du fait que cet escabeau repose sur un nouage qui, pour un sujet, s’est opéré au petit bonheur la chance, de façon contingente, entre un patchwork d’images, des bribes de discours et des brins de jouissance.
C’est un nouage symptomatique qui contient en son cœur la contingence même de la présence au monde du sujet, contingence qui a pris valeur absolue de jouissance (le mélancolique est confronté sans médiation à cette marque qui fait trou) et auquel s’articule le désir inconscient. C’est ce que l’hystérique déchiffre sur le corps d’un/une autre. Elle lit dans le symptôme qui affecte l’autre corps l’indice de la valeur de jouissance que véhicule le désir en tant que manque. Elle le lit aussi bien dans l’Autre, dans le discours du maître, dont elle révèle la vérité de sujet divisé.
Ainsi le symptôme est l’événement qui vient affecter ce corps-là, qui vient affecter l’escabeau et vient montrer sa trame, sa logique. C’est en ce sens que Lacan parle de Joyce en disant qu’il « est symptomato-logie » ; il actualise en effet dans son écriture et dans sa vie la logique du symptôme, « en faisant le tour de sa réserve » d’escabeaux, tout en s’en faisant piédestal.

Ce symptôme là fonde une nouvelle clinique qui est celle des effets corporels de la langue, effets se produisant dans la consistance imaginaire du corps, dans sa trame symbolique, dans ses épiphanies réelles. Ces symptômes, que nous appelons nouveaux, sont à construire dans la cure comme événement du corps de jouissance, qui sont les seuls véritables événements de vie, d’une vie d’homme.
 
Une psychanalyse se définit alors comme le dispositif qui vous permet de faire de ce qui vous détermine 1) quelque chose « qui vous arrive » comme si vous l’aviez choisi, 2) de faire de ce qui vous arrive un symptôme 3) en tant qu’événement de corps, quand s’actualise dans la séance analytique un dire qui mord sur un jouir. Il fait événement, contingent donc, pour autant qu’il réalise un nouage entre un dire et un jouir « pour se faire un escabeau » : c’est ainsi que Lacan termine sa phrase. Se faire un escabeau du corps de jouissance dans sa consistance imaginaire, son trou symbolique et ses plus-de-jouir, c’est se donner une chance de « scabeaustration », castration de l’escabeau, pour en user de la bonne façon, pour apprendre à se servir de la consistance imaginaire, du trou du symbolique, et de ses plus-de-jouir.
 

[1] Lacan J., Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 569.
[2] Lacan J., Le séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005.
[3] Ibid., p. 565.
[4]Ibid., p. 566
[5]Ibid., p. 565.
[6]Lacan, J. Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à L’autre, Paris, Seuil,  2006, p. 371.
[7] Lacan J. « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, pp. 408-409
[8] Lacan J., Le Séminaire Livre XXI, RSI, leçon du 8 avril 1975, Ornicar n° 5, dec-janv 75/76, p.39.
[9] Lacan J., « …Ou Pire, Compte rendu du séminaire 1971-1972 », Autres écrits, op.cit., p. 550.
[10]Miller J.-A., « Biologie Lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne N° 44, Février 2000, pp. 57-59
[11] Miller J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », La Cause freudienne N° 43, octobre 1999, pp. 24-29.
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Qu'appelons-nous « événement de corps » ?

"L’écriture est une trace où se lit un effet de langage"
— Lacan, XX, 110



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NLS Congrès présente

Daniel Roy
Qu'appelons-nous « événement de corps » ?

Cette expression « événement de corps » comme définissant le symptôme se trouve dans le texte que Lacan a donné pour les Actes du Symposium Joyce en 1975, sous le titre de « Joyce le symptôme ». Voici ce passage : « Laissons le symptôme à ce qu’il est : un événement de corps, lié à ce que : l’on l’a, l’on l’a de l’air, l’on l’aire, de l’on l’a. Ça se chante à l’occasion et Joyce en s’en prive pas »[1]. Pourquoi Lacan nous demande-t-il de « laisser le symptôme à ce qu’il est » ? Au plus simple, cela s’entend comme une recommandation à ne pas séparer le symptôme, dans son « être », de « l’avoir » du corps qui caractérise l’homme : le corps ne tiendrait-il donc qu’avec l’appui du symptôme ? Et le symptôme, lui, ne devrait-il donc plus être considéré sans son « accroche » au corps ?
Une première réponse à ces questions n’est-elle incluse dans la phrase elle-même ? Lacan y indique en effet que le symptôme « ça se chante à l’occasion », sur le mode hors-sens de la ritournelle enfantine. Dans la grande obsession de l’homme aux rats, dans les symptômes corporels de Dora et des premières hystériques « freudiennes », dans les compulsions de l’homme aux loups, dans la phobie des chevaux du petit Hans, pourrions-nous donc entendre une « petite chanson » qui en constitue l’os ? Il me semble que Lacan nous invite là à nous déprendre, comme analystes, de l’appel au sens exercé par la chaîne signifiante en tant que telle, pour accueillir le joui-sens du symptôme comme la petite ritournelle du corps parlant, l’air que l’on a dans l’oreille et qui insiste sans raison, mais pas sans résonances, l’air qui fait notre aire (notre assise) et notre erre (notre errance). La petite chanson qui guide notre existence.
 
Quel corps ?

Si nous partons du corps tel que Lacan l’aborde de façon absolument renouvelée dans ce texte contemporain du séminaire, Livre XXIII, Le sinthome[2], nous sommes frappés par l’affirmation répétée plusieurs fois dans ce texte que « l’homme a un corps et n’en a qu’un », mais une répétition qui s’appuie sur l’extraterritorialité entre parole et écriture, dont Lacan démontre l’efficacité en usant de l’écriture phonétique de cette phrase (« LOM, LOM de base, LOM cahun corps et nan-na Kun »[3]). En effet il opère en faisant ceci un morcellement du sens, qui fait littéralement exploser notre pente à comprendre cette phrase et à la transformer en banalité. En énonçant cette phrase Lacan réalise en acte ce qu’il dit, il crée un « événement de corps », c’est-à-dire un événement de discours qui est en même temps événement de jouissance, en lui faisant faire « le bond du sens »[4]  – qui s'oppose ici au « bon sens » – tout en se servant des mêmes mots. Il donne par là le modèle de l’interprétation : faire surgir avec les mêmes vieux mots, en « les chiffonnant » un peu, leur valeur de joui-sens. Il le réalise parce qu’il réussit à lier ensemble ce qu’il a produit tout au long de son enseignement comme sens-joui à propos du corps, à savoir la construction de trois corps relevant de « trois ordres » : imaginaire, symbolique et réel. Une phrase de ce texte les réunit pour bien faire entendre que l’homme n’a qu’un corps : ce qui en témoigne, dit-il, c’est « le fait qu’il jaspine pour s’affairer de la sphère, dont se faire un escabeau »[5]. Il est ici très important pour nous de saisir cette insistance de Lacan, pour la raison suivante : ce qu’il définit comme symptôme, c’est ce qui arrive (l’événement) à ce corps là et LOM n’a que ça, ce un-corps, n’a pas d’autres ressources que cela pour s’y reconnaître dans ce qui lui arrive.
A la question « Qu’as-tu? », qui sert au sujet à « s’interroger fictivement », mais qui nous met sur la voie, il n’y a qu’une réponse : « j’ai ça… ». Illustrons le simplement : qu’as-tu à pleurer, à crier, à faire la tête, à t’angoisser…? A cela, le sujet ne peut répondre qu’en déclinant un phénomène du corps imaginaire (anatomique, physiologique), ou un phénomène du corps symbolique (de la mentalité, du psychisme), ou un phénomène qui relève du réel du corps (ce qui le traverse, ce à quoi il se heurte, ce qu’il n’arrive pas à dire), c’est-à-dire qu’il répond avec du savoir prélevé dans les discours courants, et s’il est en analyse, il répond avec l’inconscient. Ces divers phénomènes de corps ne s’enregistrent comme « événements de corps » qu’en tant qu’ils adviennent au corps que l’on a comme un. Pris dans d’autres discours qui les maîtrisent, ils ne peuvent trouver leur valeur d’événement. Ils sont événements, sans Autre, en tant qu’ils se disent dans la cure, car c’est dans ce dire que se révèle leur valeur de jouissance, en un éclair. C’est en tant qu’ils se disent que s’enregistre pour celui qui parle, et pour l’analyste, le « taux de corps »[6]  qu’ils charrient à l’insu du sujet : c’est le sujet hystérique qui fait saisir cela, elle/lui qui accommode sur ce symptôme-là chez l’autre, qui perçoit ça sur un autre corps. Mais c’est ce qui fait son drame, en tant qu’elle/il cherche ainsi à s’extraire de ce qui, à la fin de son enseignement, apparaît à Lacan comme la seule limite à laquelle l’homme a à faire, son corps, limite qui est aussi sa seule responsabilité.
 
Trois expériences du corps

1 – « La sphère » ou les effets de la langue sur le corps imaginaire
La sphère, c’est ce à quoi Lacan réduit le corps imaginaire à la fin de son enseignement, ce corps qui, dans le « Stade du miroir », est appelé à s’identifier comme une unité, une image où l’homme se reconnaît, là où il est vu par l’autre qui l’accueille. Mais dans ce mouvement même où l’image unifie les morceaux du corps pulsionnel, jusque-là épars, cette image, le corps imaginaire, lui dérobe son être, et le livre à toutes les prises imaginaires (rivalité, jalousie, concurrence). Ainsi quand le corps se constitue comme image, il n’existe plus comme corps vivant, voilà ce que dit le stade du miroir, et la marque du vivant s’inscrit dans ce corps-là comme manque, désigné par Lacan comme phallus imaginaire. Les effets subjectifs de la langue sur la consistance imaginaire du corps sont doubles : d’une part le narcissisme, terme freudien, auquel Lacan va substituer celui « d’adoration », d’autre part tous les termes qui, dans une langue, désignent ce qui manque à une image pour être complète : « un défaut », « un dommage », mais cela peut aller jusqu’au trou dans cette consistance, en empruntant les trous anatomiques. Donc, deux effets de la langue sur le corps imaginaire : 1) l’adoration du corps ; 2) le manque sous toutes ses formes imaginaires.
Ce qui fait défaut ne s’enregistre pas uniquement comme un « en moins » mais à l’occasion comme un « en trop ». Ainsi pouvons-nous ajouter un troisième effet : 3) ce qui fait tache, tache physique ou tache morale.
 
2 – Les effets de la langue sur le corps décerné par le symbolique
 C’est fondamentalement un corps mortifié par la langue, là où le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant ; c’est le corps de la sépulture antique, entouré des divers biens d’usage et d’échange, voire des autres corps sur lesquels il avait droit de jouissance. Notons ici que ces objets de jouissance ne fondent en rien la jouissance comme absolue, mais au contraire comme bornée, limitée : « voici quel est l’empan possible des jouissances pour un homme, fût-il le plus puissant parmi les hommes ! ». Dans cette perspective, celle du corps décerné par le langage, la marque du vivant est une marque de division qui frappe le sujet, de son vivant et au-delà même de sa mort, division entre le possible de son désir et de ses jouissances, d’un côté, et de l’autre un réel impossible à situer. « Le corps, à le prendre au sérieux, est d’abord ce qui peut porter la marque propre à le ranger dans une suite de signifiants. »[7]. Cette marque, le phallus symbolique, désigne l’effet sur le corps de cette incorporation du corps du symbolique. C’est à la fois une négativation et une localisation de jouissance, à la fois un « non » à la jouissance – l’effet de castration – et un « nom » – le trait unaire. Mais il y a dans le corps vivant quelque chose qui ne se laisse pas négativer, quelque chose qui ne se laisse pas attraper par un « dire que non » et qui de ce fait, en retour, crée un trou dans le symbolique, un trou dans le savoir, « un trou qu’il n’y a pas moyen de savoir »[8], le sexuel.
Deux effets de la langue sur le corps de cette mortification symbolique : 1) La marque, le blason, la brûlure au fer rouge, qui peuvent faire nomination ; 2) Un effet de trou, qui s’enregistre subjectivement comme énigme, fondamentalement énigme du sexuel.
Mais J.-A. Miller nous a appris à reconnaître l’effet d’impact sur le corps vivant du signifiant tout seul, qui s’isole dans un régime de la parole qui privilégie le non-sens, les riens de sens, dans les rêves, les lapsus, les équivoques signifiantes, soit toutes les chutes du discours. C’est là « où le sujet peut s’aviser que cet inconscient est le sien », sinon il peut toujours penser que cela vient de l’Autre, ce qui est la condition commune de celui qui vient voir un psychanalyste. C’est ce savoir-là, cet inconscient-là – qui n’est ni celui des lois de l’alliance et de la filiation, ni celui des signifiants-maîtres — « qui affecte le corps de l’être qui ne se fait être que de paroles, ceci de morceler sa jouissance, de le découper jusqu’à en produire les chutes dont je fais l’objet petit (a), l’a-cause première de son désir »[9]. Il s’agit là des effets corporels du signifiant, non plus mortification, mais effets de jouissance, un mouvement de « corporisation »[10]  de la langue en tant qu’elle affecte le corps vivant. Il y a donc un troisième effet corporel de la langue : 3) l’affect, essentiel pour saisir la clinique actuelle.
 
C’est dans ce moment de bascule dans son enseignement que Lacan va condenser ces trois effets corporels de la langue dans sa dimension symbolique par le verbe « jaspiner » qui désigne dans la langue française le bavardage. Il s’agit là de la pure jouissance de la langue dans sa matérialité, dans son « aboiement » car « jaspiner » est dérivé du mot « japper » qui désigne le petit aboiement du chien !
Ne pas se laisser identifier aux marques du signifiant tel qu’il circule dans ce « jaspiner », ne pas être pris dans sa dimension de semblant, laisse le sujet livré aux objets pulsionnels qui sont venus à la place : le voilà au centre des regards, ou des moqueries dans son dos, il va se faire bouffer ou rejeter comme un déchet. Plus moyen de franchir le seuil du collège ou du lycée, ce corps ne peut plus se loger dans cet espace tissé de marques signifiantes, et il s’éjecte de ce lieu.
 
3 – Il faut parler ici de ces brins de jouissances, de ces bouts de réel, de ces éclats de corps que sont les objets (a). Ils sont en effet le produit de ce « jaspinage pour s’affairer de la sphère » que constitue l’expérience d’une analyse. Prélevés sur la jouissance du corps dans la rencontre avec la demande de l’Autre du langage, issus donc des objets pulsionnels, ils localisent et diffractent cette jouissance dans ces extensions que sont les objets qui causent le désir, comme objets précieux cachés au coeur du fantasme de l’analysant, mais aussi comme objets plus-de-jouir qui augmentent à plaisir le corps que l’on a. Ces objets désignent alors « le réel du corps » tel qu’il infiltre la sphère imaginaire et le jaspinage signifiant. Les effets de ces objets « réels » sur le corps se recueillent 1) comme « ce qui est impossible à supporter », comme « ce à quoi on se heurte », « ce qui ne peut se dire » ; 2) comme ce qui chute, ce qui est rejeté ou ce qui surgit du trou, ce qui fait retour ; 3) mais aussi dans le chiffrage de la langue par les moyens pulsionnels du corps, chiffrage oral, anal, scopique, invoquant de la langue, tel que nous l’entendons chez le tout-petit enfant.
 
Se faire un escabeau

Le corps a d’abord été abordé par Lacan comme morcelé et unifié comme corps imaginaire, puis se présente comme corps symbolique décerné par le langage, qui répartit les jouissances et le fait support de marques, condensatrices de jouissance, pour enfin se produire comme le réel d’un corps morcelé par la frappe « bête » de la langue. Ce qui fait dire à Lacan que c’est la langue qui traumatise le corps, en tant qu’elle lui impose ce travail de chiffrage, qui finira par constituer la jouissance phallique, qui désigne à la fin de l’enseignement de Lacan aussi bien la jouissance de la parole, la jouissance sublimatoire et le plus-de-jouir[11]. Cette jouissance qui apparaît hors-corps au sens de « en dehors » de la « sphère » du corps imaginaire, est pourtant constituante du corps de l’être parlant en tant qu’il est fait de substance jouissante.
Ce corps « que l’homme a » est ainsi fondamentalement un corps qui « se jouit », qui se jouit par tous ces moyens que sont la parole, les objets plus-de-jouir, la sublimation. Lacan va donner un nom à ce corps constitué de substance jouissante, un corps qui n’opère ni dans la substance étendue, ni dans la substance pensante, un corps qui ex-siste à l’espace physique et à l’espace mental. Un corps qui ne se soutient ni d’un « je suis… », ni d’un « je pense » mais d’un « se jouit ». Le nom donné par Lacan à ce un-corps est celui d’escabeau, un corps grâce auquel chacun se croit beau, qui sert à chacun de piédestal, c’est-à-dire aussi bien d’occasion de chutes. Ainsi l’escabeau est la condition même de l’être qui parle, l’homme (LOM) qui n’a d’autre être que le corps qu’il a comme un corps, le « un » désignant ici le Un de jouissance qui fait tenir cet escabeau.
Cet équilibre est à la fois robuste et fragile, comme l’indique cette phrase qui me sert ici de boussole : « il jaspine pour s’affairer de la sphère, dont se faire un escabeau ».
C’est robuste et cela s’enregistre volontiers comme « traits de caractère », comme « la personnalité », c’est-à-dire les habitudes, les modalités de jouissance.

C’est fragile du fait que cet escabeau repose sur un nouage qui, pour un sujet, s’est opéré au petit bonheur la chance, de façon contingente, entre un patchwork d’images, des bribes de discours et des brins de jouissance.
C’est un nouage symptomatique qui contient en son cœur la contingence même de la présence au monde du sujet, contingence qui a pris valeur absolue de jouissance (le mélancolique est confronté sans médiation à cette marque qui fait trou) et auquel s’articule le désir inconscient. C’est ce que l’hystérique déchiffre sur le corps d’un/une autre. Elle lit dans le symptôme qui affecte l’autre corps l’indice de la valeur de jouissance que véhicule le désir en tant que manque. Elle le lit aussi bien dans l’Autre, dans le discours du maître, dont elle révèle la vérité de sujet divisé.
Ainsi le symptôme est l’événement qui vient affecter ce corps-là, qui vient affecter l’escabeau et vient montrer sa trame, sa logique. C’est en ce sens que Lacan parle de Joyce en disant qu’il « est symptomato-logie » ; il actualise en effet dans son écriture et dans sa vie la logique du symptôme, « en faisant le tour de sa réserve » d’escabeaux, tout en s’en faisant piédestal.

Ce symptôme là fonde une nouvelle clinique qui est celle des effets corporels de la langue, effets se produisant dans la consistance imaginaire du corps, dans sa trame symbolique, dans ses épiphanies réelles. Ces symptômes, que nous appelons nouveaux, sont à construire dans la cure comme événement du corps de jouissance, qui sont les seuls véritables événements de vie, d’une vie d’homme.
 
Une psychanalyse se définit alors comme le dispositif qui vous permet de faire de ce qui vous détermine 1) quelque chose « qui vous arrive » comme si vous l’aviez choisi, 2) de faire de ce qui vous arrive un symptôme 3) en tant qu’événement de corps, quand s’actualise dans la séance analytique un dire qui mord sur un jouir. Il fait événement, contingent donc, pour autant qu’il réalise un nouage entre un dire et un jouir « pour se faire un escabeau » : c’est ainsi que Lacan termine sa phrase. Se faire un escabeau du corps de jouissance dans sa consistance imaginaire, son trou symbolique et ses plus-de-jouir, c’est se donner une chance de « scabeaustration », castration de l’escabeau, pour en user de la bonne façon, pour apprendre à se servir de la consistance imaginaire, du trou du symbolique, et de ses plus-de-jouir.
 

[1] Lacan J., Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 569.
[2] Lacan J., Le séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005.
[3] Ibid., p. 565.
[4]Ibid., p. 566
[5]Ibid., p. 565.
[6]Lacan, J. Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à L’autre, Paris, Seuil,  2006, p. 371.
[7] Lacan J. « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, pp. 408-409
[8] Lacan J., Le Séminaire Livre XXI, RSI, leçon du 8 avril 1975, Ornicar n° 5, dec-janv 75/76, p.39.
[9] Lacan J., « …Ou Pire, Compte rendu du séminaire 1971-1972 », Autres écrits, op.cit., p. 550.
[10]Miller J.-A., « Biologie Lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne N° 44, Février 2000, pp. 57-59
[11] Miller J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », La Cause freudienne N° 43, octobre 1999, pp. 24-29.
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